lundi 27 juin 2016

Maurice Dantec

Nous l'avions rencontré à l'occasion de son passage au Cercle Cosaque mais nous goûtions depuis plusieurs années déjà le plaisir de ses chevauchées littéraires et extra-lucides, entre William Gibson, Georges Bernanos et Philip K. Dick. Il nous avait fait le plaisir de nous accorder un entretien à l'occasion de la sortie des Résidents, son dernier roman. Avec respect, les idiots rendent hommage à celui qui sut transfigurer l'apocalypse moderne avec autant de talent et qui fut un authentique écrivain punk, l'un des derniers sans doute. 


"Et c'est pourquoi, à l'instant même, la Vérité me rend libre." (Maurice G. Dantec)






lundi 20 juin 2016

Jaroslav et Djamila



Nous empruntons à l'excellent blog Mauvaise Nouvelle cette recension du non moins excellent roman de Sarah Vajda, Jaroslav et Djamila, publié récemment par les éditions Nouvelle Marge.


Je range Jaroslav et Djamila, le dernier roman de Sarah Vajda, juste à côté de Soumission de Houellebecq. Je sais, cela défie toutes les règles des bibliothécaires et relègue l’alphanumérique aux calendes grecques. Mais quand même, il y a une sorte de correspondance entre ces deux livres. Parfois une projection féminine, parfois un complément ou encore même une image inversée. Soumission fut le roman essentiel de l’année 2015, il reste comme le symbole de l’incarnation de l’animal occidental, animal triste post-coïtum, clone postmoderne incapable de désirer Dieu, mais capable de soumission, de compromission, d’abandon…
Comment une romance de banlieue peut-elle rentrer en résonance avec Soumission ? Simplement parce qu’il y a l’Islam et ses misères en background ? Sans doute et pas seulement. Parce que la femme, figure absente du dernier roman de Houellebecq, lance son chant du cygne avec Djamila, avant la mort et la folie… Parce que les deux romans manifestent la nécessité pour la personne humaine de vivre une aventure (amoureuse), et l’impossibilité désormais dans notre âge glaciaire de la vivre.

L’islam et ses misères

« Je pars sans avoir rencontré l’Afrique, ses sorciers, ses contes et ses mystères. Seul l’islam et ses misères, d’une rive à l’autre de l’océan. Plus d’ailleurs. Le béton est le même dans les faubourgs de Casa et la périphérie de Paris. » Djamila est bien cette petite fille de harki, petite fille de France, de cœur, de culture, élevée dans le welfare de province d’une France fière de sa liberté guidant le peuple. Djamila est bien née Mila. Et il a suffit simplement que sa mère Cherifa meurt pour que tout un monde bascule, que l’identité de la petite fille se perde, que son avenir disparaisse. Le père veuf, pas méchant, ne sait rien faire d’autres, dans sa tristesse, que revenir au bled, que de retourner en islam. Et si on lui refuse les circonstances atténuantes de la tristesse, on note que la dissimulation du père du temps du vivant de Cherifa est le symbole de l’islam sachant ramper le temps qu’il faut avant d’ériger son califat comme on fait dresser le serpent au son du pipeau.
Dans Soumission, ce n’est pas Mila qui se réveille Djamila, c’est toute une société, une fois la patrie honteuse morte. Le gentil père du peuple devenu président, Mohamed ben Abbes, ramène toute la France au bled. Les boutiques de la place d’Italie sont modifiées, les fesses des filles ne s’exhibent plus sous les jeans, les sociétés publiques deviennent uniquement des sociétés fades faites d’hommes. Mila devenue Djamila consentit à un mariage forcé dans l’espoir de revenir chez elle, en France. Et elle ne retrouvera plus ce chez elle, il n’existe plus pour elle, comme il n’existe plus pour tous chez Houellebecq. « Résider dans "le plus beau pays du monde" comme s’ils résidaient ailleurs, Kirche, Kinder, Küche, traduit en langue française : Mosquée, Maternité, Ménage. » s’amuse Djamila.
Le héros de Houellebecq est spectateur de la disparition de la femme dans le monde public, jouisseur en devenir de la domestication des femmes, leur chosification voire fétichisation comme sex toys légaux, dans la sphère privée. Djamila le vit. Emmurée vive dès la première page du roman. Son mari honnête n’est pas méchant (lui non plus), mais la place de la femme dans cette nouvelle vie, sa place, est celle d’un objet et non d’une personne.

La culture et le fétichisme identitaire

La révolte de Djamila, dans sa folie, entre en résonance avec l’apathie du héros de Houellebecq. L’héroïne sacrifiée ose donner sa lecture des choses, alors que le héros de Soumission n’est que le narrateur-spectateur de sa vie et du monde. Il cherche dans les livres de Huysmans de quoi se comprendre. Djamila existe dans le livre de Sarah Vajda en feu de paille, en final, une fois pour toutes, sous la forme d’un monologue qui concentre toute son existence. Il faut dire qu’elle avait pu faire des réserves d’existence depuis l’âge de ses 15 ans qui l’en avait privée. Elle balance son ironie pour que d’autres sachent ce que c’est que d’exister. « Le malheur naît avec l’héritage refusé. Ce nouvel état des choses ne suffisant sans doute pas à notre malheur, il aura fallu y ajouter une sous-culture des banlieues américaines, l’islam à l’usage des classes dangereuses via l’aumônerie de la zonzon, un islam vert-de-mort, prince de la dynamite. À l’école de la haine, tous furent de gré ou de force menés, misérables conscrits dans la grande bataille de la Oumma, aux abattoirs de la Raison. »
Djamila est faite comme les autres, comme toutes les femmes qui l’ont précédée, aucune raison d’accepter plus facilement ses chaînes. Djamila est faite comme tous les êtres humains, elle est faite pour la liberté, elle est faite pour guider le peuple… Elle le dit avant de se taire définitivement. « Le crime capital de la modernité – pour cause de grand nombre, sept milliards de voix saturent le silence – aura été d’emmurer chaque tribu dans ses rites. Les Gaulois, les muslim, les Renois, les feujs, les gays, les… les… les… Je hais le pluriel dont on fait les charniers. Charniers d’âmes ou de corps. »

Le désir religieux, le désir d’aventure

Que ce soit dans Soumission ou Jaroslav et Djamila, on veut bien se soumettre, mais pas sans avoir vécu une aventure, ne serait-ce que l’amorce d’une aventure, quelque chose dont on peut se sentir propriétaire. On veut bien se soumettre car on sait que l’on va mourir. Mais on veut avoir vécu. Dans Soumission le héros organise sa fuite, croit vivre quelque chose, imagine se mettre en situation de se convertir sur les pas de Huysmans, sent son « individualité se dissoudre » face à la Vierge de Rocamadour, et… revient au bercail se soumettre (éventuellement).
Dans le roman de Sarah Vajda, Djamila entre en parenthèses avec Jaroslav. Le désir de conversion de Houellebecq correspond à ce désir de tomber amoureuse de Djamila. Quelques jours à thésauriser l’amour d’adolescent qu’elle n’a jamais eu. Se rendre propriétaire de ce prénom, Jaroslav, mâché et remâché par Djamila. Quelques jours seulement avant de redescendre dans son mariage, d’être à nouveau emmurée vive, et soumise (éventuellement). Cet instant d’aventure dans les deux romans semble suspendu, en marge du cours de choses inéluctables, ce cours des choses qui se passe des personnes humaines et de leur volonté. « Je n’existe pas et ne suis pas une autre. Personne. Un nom dans le dossier "acculturation" de Nico, lettre D. Djamila. »

Le trash et la chasteté


Sarah Vajda a souhaité cette histoire d’amour très chaste, afin de pouvoir se concentrer justement sur le sentiment amoureux et ce que ce sentiment dit de la personne humaine et de son infinie liberté. « le nom de Jaroslav, le nom de l’homme qui ne t’a jamais touchée comme les hommes d'ordinaire affectent les femmes, le nom de l’homme que tu ignorais aimer. »
Le héros de Houellebecq vit un sexe sans désir. Le sexe est triste comme toujours chez Houellebecq. A vrai dire, le sexe est encore un élément du décor de l’incarnation, mais il tente de disparaître. Soit volontairement du fait d’une recherche spirituelle, soit involontairement du fait d’une profonde lassitude d’un homme qui a tout vécu. Dans son aventure vers Rocamadour, le héros de Soumission est chaste, et c’est le retour à la société qui va le faire côtoyer à nouveau le trash. Mais la vraie vulgarité n’est pas dans le trash de la jouissance, mais dans la légalisation de ce trash, voire son rendu obligatoire.
Que ce soit le trash de Houellebecq ou la chasteté souhaitée par Vajda pour son héroïne, les deux ont la capacité à faire émerger la vulgarité d’une société fondée sur une anti-culture. La vulgarité véritable, celle qui transforme les femmes en objet de consommation sexuelle, Vajda l’exprime ainsi : « Des journées entières au hammam, apprendre à s’aimer, se laisser pousser les cheveux, parure naturelle de la femme, et manger afin de donner faim. » Et cette vulgarité qui fait de la femme un outil de purification des hommes, une déchetterie ! « Le sperme, selon mes tantes, était comme de l’urine, une souillure à expulser sous peine de devenir fou et notre devoir, à nous les femmes, de recueillir cette saleté et ensuite d’aller se laver. Et fissa les filles ! Bain rituel, hygiène publique, hygiène mentale, contrôle social. Fosses d’aisance, vases de nuit, putes et pourtant propres. Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière ! Islam, terre de mensonges et terre d’oxymores. » Face à ce trash sociétal, ce trash de coutume, ce trash de rite, la personne humaine ne peut exprimer sa liberté que dans la quête d’une forme de chasteté impossible. Rocamadour pour Houellebecq, Jaroslav pour Djamila : « Ce n’est pas "aime-moi" que j’aurais voulu crier à Jaroslav mais "décontamine-moi". Je n’ai pas osé. »





jeudi 9 juin 2016

Quand on a que l'amour...



            Un petit clip mis en ligne sur une plate-forme numérique de l’Education nationale, destiné à servir de support de cours pour l’édification des élèves, narre les aventures de Noisette et Pignon qui, comme leurs noms l’indiquent, sont deux graines : l’une, ronde aux yeux bridés est une petite noisette népalaise, l’autre, oblongue aux idées courtes est un pignon bien franchouillard. Rageur et méchant, Pignon ne supporte pas les étrangers. Archétype de l’horrible « souchien », il n’aime pas ce qui ne lui ressemble pas et regarde d’un sale œil sa petite voisine, Noisette aux yeux bridés, dont la vidéo éducative nous apprend qu’elle maîtrise mal la langue française, ce qui énerve encore plus le vilain Pignon qui est naturellement raciste. Car ce ne sont pas des attitudes ou des mots qui dérangent Pignon, c’est la différence seule, inacceptable en elle-même. Noisette, elle, symbolise une sorte d’innocence ontologique : Népalaise descendue de son toit du monde, elle est parée de toutes les vertus et rien ne semble justifier l’hostilité de Pignon : Noisette ne traîne pas dans les cages d’escalier, elle ne deale pas devant les barres d’immeuble, elle ne brandit pas de drapeau de son équipe de foot en apostrophant les « sales Français », elle ne semble tentée par aucune forme de repli communautaire ou de radicalisme religieux, elle est simplement Autre et en tant qu’Autre, elle est présentée comme une sorte d’être idéal qui n’a d’autre défaut que celui d’être Autre. La parabole éducative sur le racisme devient ici si abstraite qu’elle semble peu compréhensible. A moins que les auteurs aient vraiment voulu attirer l’attention sur les difficultés d’intégration de la communauté népalaise en France, on ne voit pas trop ce qu’ils ont voulu dire…

Dans son dernier livre, Les Blancs, les Juifs et nous, publié en mars 2016 aux éditions La Fabrique, Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, ne prend pas autant de précautions que les auteurs de la vidéo sur Noisette et Pignon. Bouteldja veut éduquer elle aussi, elle veut éduquer les Blancs, auxquels il faut faire rentrer dans le crâne, leur statut de coupables éternels, de la conquête de l’Amérique jusqu’au nazisme en passant par la colonisation. Pour Houria Bouteldja, Pignon le blanc n’est plus seulement bêtement raciste, c’est l’ennemi radical, le mal absolu, le coupable par nature, le monstre qui engendre les monstres. Pas facile pourtant, pour Houria Bouteldja, d’assumer les contradictions de sa propre biographie : «  Pourquoi j’écris ce livre ? Parce que je ne suis pas innocente. Je vis en France. Je vis en Occident. Je suis blanche. Rien ne peut m’absoudre. » Bouteldja, née Noisette à Constantine, en Algérie, en 1973, a embrassé la cause des Pignon en s’installant en France. Elle a vendu son âme contre un LEA d’anglais et d’arabe et une intégration durable à l’univers politico-médiatique français. Elle ne s’en remet pas et maudit tout autant les fascistes blancs avec lesquels elle a pactisé contre son gré que ces hypocrites occidentaux prêt à lui offrir toute leur haïssable  condescendance: « Je déteste la bonne conscience blanche. Je la maudis. Elle siège à gauche de la droite, au cœur de la social-démocratie. C’est là qu’elle a régné longtemps, épanouie et resplendissante. Aujourd’hui, elle est défraîchie, usée. Ses vieux démons la rattrapent et les masques tombent.» 

Les Blancs, les Juifs et nous, ne fait que répéter ce que Bouteldja dit depuis des années et que la « bonne conscience blanche » devrait écouter avec un peu plus d’attention : les « Blancs » aujourd’hui, qu’ils soient réactionnaires ou confis dans la culpabilité du post-colonialisme à long terme, n’ont aucune excuse, ni plus aucun avenir, autre que celui d’une rééducation lente mais nécessaire. C’est ce que Bouteldja nomme d’ailleurs « l’amour révolutionnaire » : il ne faut pas haïr le blanc, car il serait indigne de tomber au niveau du « sous-chien », mais il faut les aimer, d’un amour sévère qui apprendra à nouveau aux blancs à quel point ils sont coupables et montrera à l’Occident que sa civilisation est un leurre et son mode de vie le plus haïssable. Pour la franco-algérienne Bouteldja, « blanche d’adoption », il n’y aucun échappatoire mais il y a heureusement les figures tutélaires qui peuvent aider à reconstruire son identité et sa conscience victimaire : Malcom X, Jean Genet, Sartre… 


Malcom X est directement élevé au statut de saint : « Malcom X a été tué parce qu’il était beau. (…) Malcom X est un soleil. Sa beauté rayonne. Elle nous irradie. Black is so beautiful lorsque le combat consiste à faire redescendre ceux qui commettent le sacrilège de s’élever au niveau de Dieu. » Jean Genet apporte plus modestement la solution rhétorique au problème d’identité d’une intellectuelle franco-algérienne qui bâtit sa carrière d’intellectuelle médiatique sur l’exploitation du ressentiment : « en naissant blanc et en étant contre les Blancs j’ai joué sur tous les tableaux à la fois. Je suis ravi quand les Blancs ont mal et je suis couvert par le pouvoir blanc puisque moi aussi j’ai l’épiderme blanc et les yeux bleus, verts et gris. » Mais qu’elle cite Genet ou parle en son nom, Bouteldja prend tout de même la précaution de préciser que, quand elle emploie les termes de « Blanc », de « Juif », ou encore de « baltringue », tout ceci n’a rien de raciste, d’antisémite ou d’homophobe, ce sont juste des « catégories sociales et politiques » qui « n’informent aucunement sur la subjectivité ou un quelconque déterminisme biologique des individus mais sur leur condition et leur statut. » Précautions sans doute inutiles, le « pouvoir blanc » n’est plus si terrible que cela : personne n’a d’ailleurs songé à reprocher sérieusement à Houria Bouteldja de louer Genet pour son indifférence vis-à-vis d’Hitler, de traiter les Juifs de « dhimmi de la République » ou de fustiger cette « blanchité chrétienne » qu’il importe de détruire, pour suivre la voie montrée par Genet : « Anéantir le Blanc qui est au centre de nous-mêmes c’est anéantir le Blanc au centre de lui-même. Il sait que nous sommes les seuls à pouvoir l’en débarrasser. » 

Sartre intéresse moins Bouteldja que Genet le taulard céleste ou Malcom X le soleil noir de la critique anticoloniale. Sartre a peut-être eu le mérite de préfacer Frantz Fanon mais à la copie Bouteldja préférera toujours l’original et Sartre l’anticolonialiste eut de surcroît le tort aux yeux de la porte-parole du PIR de refuser de condamner explicitement Israël lors de la guerre des Six Jours. Crime religieux, sanction immédiate : « il faut fusiller Sartre ! « Qu’on lui coupe la tête ! » hurle la Reine de Cœur d’Alice aux Pays des Merveilles. Heureusement que Sartre a eu la bonne idée de mourir il y a belle lurette, encore un qui échappe à un juste châtiment. 


Houria Bouteldja se rêve en pendant féminin de Malcom X ou de Frantz Fanon et elle vient peut-être de trouver son Jean Genet en la personne d’Océane Rosemarie, chanteuse, comédienne, humoriste, militante gay et lesbienne et aujourd’hui passionaria de tous les opprimés. Pour Océane Rosemarie, Houria Bouteldja incarne le contraire de « l’antiracisme à sa mémère ». Comme Bouteldja, Rosemarie pense qu’il n’existe qu’un seul racisme, celui des Blancs dominateurs exercé à l’encontre des populations dominées non-Blanches. Et comme toutes les causes et tous les opprimés se ressemblent, la militante gay et lesbienne pardonne aisément à Houria Bouteldja ses saillies un peu homophobes et pense aussi que l’antisionisme de la porte-parole du PIR « déconstruit la question de l’antisémitisme (…) par une argumentation stimulante et déprise d’européanisme. » Dans une tribune publiée dans Libération, Océane Rosemarie estime que Les Blancs, les Juifs et nous est un « livre (up)percutant, électrique et déstabilisant. » On se demande jusqu’où ira la solidarité d’Océane Rosemarie et si elle trouve aussi uppercutante et stimulante la réaction d’une militante du PIR à l’attentat commis à Tel Aviv mercredi soir. Réagissant au mitraillage de terrasses de café par deux Palestiniens mercredi 8 juin, qui a fait quatre morts et cinq blessés, Aya Ramadan, militante du PIR, a publié sur Twitter un message de soutien aux auteurs de l'attentat commis le jour même à Tel-Aviv : « Dignité et fierté ! Bravo aux deux Palestiniens qui ont mené l’opération de résistance à Tel-Aviv. » Houria Bouteldja n’a toujours pas réagi aux propos tenus par une militante de son parti. Mais peut-être que cet attentat, qui reprend le mode opératoire de ceux du 13 novembre à Paris n’a pas grande importante à ses yeux comme à ceux d’Océane Rosemarie. Car après tout, nous dit cette dernière : « Le seul voile qui pose problème aujourd’hui, c’est ce rideau entre la business class et la classe économique de l’avion, qui permet à ceux qui payent plus cher leur place de croire qu’ils ne sont que vingt dans de grands fauteuils alors que le vol transporte 210 passagers à l’arrière. »[2]



Mais lire les fulminations d’Houria Bouteldja ou la réaction d’Aya Ramadan à l’exécution aveugle de cinq personnes, ce n’est pas au marxisme d’aéroport d’Océane la voyageuse que l’on est tenté de faire crédit mais plutôt à Max Scheler, le philosophe du ressentiment, qui explique sans doute avec plus de justesse ce dont Houria Bouteldja ou le PIR sont le nom : « Je puis tout te pardonner ; sauf d’être ce que tu es ; sauf que je ne suis pas ce que tu es ; sauf que je ne suis pas toi. »[3] La formule de l’« amour révolutionnaire » dont parle le livre de Bouteldja et qui fait s’extasier Océane Rosemarie est d’ailleurs dévoilée à la fin de l’ouvrage, évoquant plus précisément le retour à une transcendance religieuse qui écraserait enfin l’orgueil blanc, objet de toutes les détestations : « En islam, la transcendance divine ordonne l’humilité et la conscience permanente de l’éphémère. (…) Personne ne peut lui disputer le pouvoir. Seuls les vaniteux le croient. De ce complexe de la vanité, sont nées les théories blasphématoires de la supériorité des Blancs sur les non-Blancs, de la supériorité des hommes sur les femmes, de la supériorité des hommes sur les animaux et la nature. » Et de cette épiphanie politico-religieuse est née le credo militant qui rassemble Océane Rosemarie, la militante gay et Houria Bouteldja, racialiste au masque de marxiste, qui achève sa flamboyante démonstration sur un cri : « Allahou akbar ! – terrorise les vaniteux qui y voient un projet de déchéance. Ils ont bien raison de le redouter car son potentiel égalitaire est réel : remettre les hommes, tous les hommes, à leur place, sans hiérarchie aucune. Une seule entité est autorisée à dominer : Dieu. (…) On peut appeler ça une utopie et c’en est une. Mais réenchanter le monde sera une tâche ardue. » Une tâche ardue et éventuellement assez sanglante…Peut-être que les gentils avocats de la cause égalitaire tels qu’Océane Rosemarie devrait prendre soin de lire les petites lignes en bas du contrat avant de donner des gages au premier Malcom X venu. Par ce que l’amour révolutionnaire de Bouteldja n’a rien de très rassurant et qu’il suffit juste de la lire pour s’en convaincre : « Alors, commençons par le commencement. Répétons-le autant que nécessaire : Allahou akbar ! Détournons Descartes et faisons redescendre tout ce qui s’élève. »



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[1] https://www.reseau-canope.fr/lesfondamentaux/discipline/instruction-civique-histoire-geographie/graines-de-citoyens/graines-de-citoyens/connaitre-les-autres.html
[2] Océane Rosemarie. Tribune publiée dans Libération. 30 mai 2016
[3] Max Scheler. L’homme du ressentiment. Gallimard, 1970