jeudi 31 décembre 2015

Haïkus gastriques

En cette fin d'année 2015, nous vous souhaitons à toutes et à tous, avec ce petit poème, une apothéose intestinale et un joyeux Réveillon !



Haïkus gastriques

Mes sucs gastriques,
Riches en sucres lents,
Sont succulents,

Je m'achemine sans mal,
Vers ma destination finale :
L'occlusion intestinale.





lundi 28 décembre 2015

Goodbye Lemmy

Le leader de Motörhead, Ian "Lemmy" Kilmister, est décédé lundi, des suites d'un cancer foudroyant à l'âge de 70 ans. Repose en paix Lemmy. 



"Les fruits et légumes, c'est trop sain pour moi".
Lemmy Kilmister.






samedi 19 décembre 2015

Le dormeur du web ou l'Oblomov contemporain

Merci à celles et ceux qui nous ont fait le plaisir de leur visite lors de la soirée des idiots, au cours de laquelle Romaric Sangars nous a lu quelques-uns de ses poèmes-suicides et Sarah Vajda un extrait de son prochain roman Djamila. 
Et nous avons également lu ce texte idiot qui vous donnera peut-être envie de piquer un petit roupillon. Assurez-vous alors qu'aucun collègue ne vous prendra en photo. 


Dans une entreprise islandaise branchée, à Reykjavik, un employé décide de s’offrir une petite sieste à l’heure du déjeuner tandis que ses collègues vont se mettre en quête d’un restaurant. Fatigué par une matinée de travail – ou peut-être par la soirée qui a précédé, ou la semaine, peu importe – l’homme s’endort profondément sur le canapé trônant au milieu de l’open space de cette entreprise, où l’on aborde de manière moderne et décomplexée ce que l’on appelle d’habitude plus froidement la « gestion des ressources humaines ». Il ne porte pas de costume, ni de cravate ou de pantalon de ville, symboles vestimentaires d’une hiérarchie évincée par une philosophie nouvelle des rapports cool et détendus au sein de l’entreprise. Il est ventripotent, porte la barbe rousse et fournie, est vêtu d’un T-Shirt à l’effigie de Grincheux, l’un des nains de Blanche-Neige, d’un jean et de chaussettes rayées qui lui donne l’air d’un skater rondouillard et infantile de quarante ans.
Il sombre dans un profond sommeil, détendu, bercé par le ronronnement et le cliquetis occasionnels des routeurs et des i-macs de l’espace de travail. Quand ses collègues reviennent de leur pose, ils le trouvent toujours endormi, amoureusement lové entre deux bras du canapé, couvrant de son ronflement le doux cliquetis des routeurs et des i-macs. Impossible de ne pas craquer devant la moue renfrognée de ce gros bébé au sommeil épanoui. On rigole, on pouffe, on échange des blagues sans oser le réveiller ; il dort si bien ! Il est si drôle ce brave salarié abandonné aux bras de Morphée, au ventre retombant avec une gravité comique sur le bord du canapé. Bien vite, l’un sort son téléphone, prend une photo, deux, trois et quelques selfies sans doute. L’image de cet oblomov moderne, si profondément assoupi qu’il ne se rend pas compte qu’il ameute autour de son sommeil tout le personnel, est si touchante qu’on décide de la poster immédiatement sur la page Facebook de l’entreprise. Quelle meilleure publicité que ce sympathique barbu ronflant dans les locaux ? Le capitalisme 2.0 a-t-il jamais eu visage plus humain ?



Avant même que notre barbu n’ait ouvert un œil, la photographie aura reçu quelques 1600 likes et été partagé plus de 300 fois. Dans les heures, les jours qui suivent, elle se transmet d’utilisateur en utilisateur, d’amis en amis, des dizaines de milliers de fois. Elle déboule sur Twitter, sur Tumblr, sur Pinterest ou Instagram, on voit partout l’image du barbu, détournée, photoshopée, travestie, errant dans l’espace, intégrée au plafond de la chapelle Sixtine ou dans le décor de la Guerre des Etoiles en compagnie de Luke Skywalker. En quelques jours, le bienheureux dormeur devient une superstar du web et les journalistes se pressent pour interviewer ce phénomène, lui extorquer son secret et la recette de son succès, mettre une pincée d’humain dans le cocktail parfait de la réussite potache et numérique. A toutes les sollicitations, à toutes les questions, il n’a qu’une réponse : « Je n’ai rien fait d’autres que m’endormir. Je n’ai jamais fait que ce que je fais de mieux dans la vie : la sieste. » Humble, sympathique et peut-être pas tout à fait bien réveillé encore, le dormeur du web est devenu une icône mondial en l’espace de 24h. De quoi donner des complexes à n’importe quelle star de la télé-réalité. Lui n’aura même pas eu besoin de s’exhiber au cours de fastidieuses colocations télévisuelles ou de laborieux radio-crochets. Il lui aura suffi de s’endormir pour conquérir la planète. Sa célébrité, bien sûr, s’est évaporée en quelques semaines, réduite à celle d’un simple meme, d’un gimmick numérique flottant dans les entrailles du world wide web pour le plaisir des internautes, qui redécouvriront encore durant quelques années au bureau ou lors de soirées arrosées la photo du gros barbu qui dort au hasard d’un tweet ou d’une page Facebook. Elle provoquera les mêmes cascades de rires en série, activées d’un point à l’autre du globe par un click empressé sur une pièce jointe ou un lien farceur. 


Notre gros islandais endormi est entré dans une éternité numérique, le temps figé de la répétition sans limite, sans frontière, sans borne. L’ère de la reproductibilité technique de Walter Benjamin mise au service du panoptique de Bentham, le tout dans le temps figé d’une société du spectacle globale dont Debord n’aurait jamais osé rêver. L’inscription de nos existences climatisées dans une sorte d’open space mondial ne saurait être mieux illustrée que par l’aventure de notre islandais amateur de sieste, victime débonnaire du totalitarisme sympa qui place instantanément et partout les individus sous la surveillance conviviale et insistante de millions de concitoyens. Le jour où une météorite éradiquera une moitié de l’humanité l’autre s’empressera de filmer la catastrophe et de s’envoyer en boucle la vidéo qu’elle likera à n’en plus finir, à moins que la terre, fatiguée de nous, ne se soit débarrassée une bonne fois pour toute de notre espèce. Il ne restera de nous que l’image fantomatique d’un gros barbu endormi sur un canapé, représentation idiotique et sympa de notre effondrement. 


mercredi 16 décembre 2015

Soirée idiocratie !








« La danse de saint Guy se contorsionne trop provincialement sur la place rectangulaire, mais ceux qui titubent ivres sur leurs jambes chancelantes tournent en dérision, avec une sainte ironie populaire, les noms des personnes très autorisées du Comité d’honneur. Et l’éclat des pétards et les cris des enfants et le choc violent des baisers dans les coins sombres giflent jusqu’au sang les snobs à l’ironie facile.
         Pour la jeunesse aux rires crépitants et aux yeux scintillants, les feux d’artifice partent comme des flèches sur le CARNARO ;
         Belles couleurs violentes.
         Eclater DÉ CHI RER ciel trop gris et
         CriiiiiER. »
  
Texte de l’association YOGA annonçant la fête de saint Guy à Fiume ; association créée par le génial Guido Keller comme une « réunion d’esprits libres tendant à la perfection » (in Claudia Salaris, A la fête de la révolution. Artistes et libertaires avec D’Annunzio à Fiume, Editions du Rocher, p. 97).




dimanche 13 décembre 2015

Le monde d'hier



Les grands prêtres de l'éternel retour des années trente devraient abandonner leurs analogies simplistes pour se consacrer à quelques grands textes qui sont l'héritage le plus précieux des années trente et éclairent notre époque plus sûrement que tous les rapprochements simplistes de Claude Askolovitch ou Laurent Joffrin. Parmi ces œuvres, il y a Le Monde d'hier, de Stefan Zweig, sans doute le plus beau texte qu'un autrichien ait pu écrire sur le destin de Vienne au XXe siècle, sans doute aussi le portrait le plus lucide qu'un Européen ait pu dresser d'une civilisation s'abîmant dans la barbarie. Quand Zweig  revient en Autriche en 1937, c'est pour dire adieu à ses proches et à ses amis qu'il tente de prévenir du danger hitlérien. En vain. Zweig ne sera resté que deux jours dans sa ville natale et en la quittant, il écrit : « Et à l'instant où le train passait la frontière, je savais comme Loth, le Patriarche de la Bible, que derrière moi tout était cendre et poussière, un passé pétrifié en sel amer. » L'aveuglement que Zweig a perçu dans la Vienne qui se prépare à l’Anschluss est celui d'une société qui s'est bercée d'une telle illusion de puissance et de sécurité qu'elle est indifférente au danger qui est à ses portes, tout comme elle l‘avait été à la veille de la Première Guerre Mondiale : « Personne ne croyait à des guerres, des révolutions et à des bouleversements. Tout événement extrême, toute violence, paraissaient presque impossibles dans cette ère de raison. » Par deux fois, Zweig a vu son monde basculer tragiquement et irrévocablement dans le passé pour devenir le monde d'hier.
Nous avons plus de chance que les Autrichiens de 1914 ou de 1937. Après les tueries de janvier 2015, le carnage du vendredi 13 novembre nous a mis brutalement en face de la réalité et nous a permis de prendre conscience que nous avions changé d'ère et sans doute aussi un peu d'âme. Du monde d'avant, nous apercevons encore les contours, mais ceux-ci s'effacent d'autant plus rapidement que les événements, toujours plus violents, nous imposent de penser à une autre allure. Le monde dans lequel nous vivions encore hier s'est extrait des tragédies qui abattirent celui de Zweig. De la même manière que les amis autrichiens de l'écrivain, l'évolution du monde a pris par surprise tous ceux qui ont pris l'habitude de s'abîmer trop complaisamment dans la contemplation d'un passé simplifié. La brutalité des attaques du 13 novembre, onze mois après les attentats de l'Hypercasher et de Charlie-Hebdo, leur auront fait brutalement comprendre qu'on ne goûte jamais deux fois le même menu au banquet de l'histoire même si le plat est toujours amer. 
Le monde d'hier est celui de Thibaut Pézérat qui, dans Marianne, n'attend pas plus tard que le 14 novembre pour s'insurger contre la récupération des attentats et démontrer qu'en quelque sorte l'Etat Islamique a encore fait le jeu de Front National. Le monde d'hier, ce sont les députés de l'assemblée qui se comportaient comme des collégiens durant le congrès de la défense, enchaînant les selfies devant la cour du château de Versailles. Le monde d'hier, c'est celui du NPA qui affirme dans un communiqué du 14 novembre: « Cette barbarie abjecte en plein Paris répond à la violence tout aussi aveugle et encore plus meurtrière des bombardements perpétrés par l’aviation française en Syrie », c'est aussi celui du collectif Ensemble (FdG) qui appelle « plus que jamais » à « combattre tous les amalgames » et appelle à « à un rassemblement unitaire et populaire pour la solidarité, l’accueil des migrant.e.s et réfugié.e.s, l’égalité, la justice sociale et la démocratie» Des  déclarations comme celle du NPA nous les avons déjà lues, vues, entendues des centaines de fois, jusqu'à atteindre le paroxysme de l'absurdité, tandis que les premiers électrons libres du djihadisme étaient encore pudiquement appelés des « déséquilibrés ». Aujourd'hui on les lit avec un peu d'effarement, comme on s'étonne de voir encore Drucker à la télé le dimanche ou comme on lit un édito vieux de deux ans pour passer le temps dans une salle d'attente du dentiste. En quelques heures, la folie meurtrière des islamistes a non seulement arraché la vie à 130 personnes mais elle a balayé également tout ce verbiage fatigué. 
Les actes et les discours politiques n'échappent pas non plus à cette brusque tabula rasa. Il y a quelques semaines encore, l'Elysée comme le quai d'Orsay répétaient à l'envi que la COP21 serait  la nouvelle apothéose de la diplomatie française. La France, à nouveau investie d'une mission universelle, devait ouvrir la voie au développement durable et à des jours meilleurs. Ce n'était pas un sommet diplomatique qu'attendaient François Hollande et Laurent Fabius mais une épiphanie.  Nous étions encore dans la logique que « l'esprit Charlie » avait plus encouragée que chassée. Intercalée entre la coupe du monde de Rugby et l'Euro 2016, la COP21 s'annonçait comme un événement aussi festif que politique. L'Education nationale mobilisait, avec l'aide des grands médias, écoliers, collégiens et lycéens pour donner la parole, avant le grand sommet pour l'environnement, afin de donner la parole à « ces jeunes que l'on entend jamais. » Vendredi 13 décembre, certains ont parlé à coups de bombes et de kalashnikov pour tuer des gens de leur âge. Et dans le métro, quelques jours après les tueries, l'affiche appelant à la grande marche pour le climat du 29 novembre 2015 fait aussi figure de vestige du passé. Son esthétisme coloré, criard, résume à lui seul nos années Muray, et la niaiserie irréelle de cette figure de manga peinturlurée de cœurs, de rose et de vert, aux grands yeux vides et brillants comme des billes d'enfants ajoute encore une note subtilement angoissante à l'atmosphère d'un quai de métro où les gens se regardent toujours en coin avec méfiance. 


De même que le « pas d'amalgames » est entré au cimetière des éléments de langage, la COP21 a  dégringolé du podium des grandes causes nationales. La négociation est maintenue mais il n'est plus question désormais d'y adjoindre les manifestations culturelles et événements festifs qui devaient s'y associer. Sur l'affiche du métro, la petite baudruche colorée fixe aux grands yeux vides ne sert plus à rien ; sortie du domaine de l'écologie spectaculaire, la COP21 est réduite à un sommet diplomatique qu'il ne sera cependant pas inintéressant de suivre. Car si l'on peut hasarder quelques hypothèses quant aux conséquences de ces attaques, il n'est pas interdit de croire qu'en devenant la première cible du terrorisme de l'Etat Islamique, la France retrouve soudain l'occasion de reprendre un rôle politique en Europe que le leadership allemand lui avait confisqué. On a constaté, dans les jours qui ont suivi les attaques, la tonalité nouvelle du discours de François Hollande et entendu quelques déclarations qui traduisent aussi une évolution certaine du discours tenus à ses partenaires européens. Voilà que Manuel Valls reconnaît sans plus de complexes que la réduction du déficit ne serait pas tenue et les objectifs budgétaires dépassés, tandis que François Hollande affirme sans ambages que «le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité» et appelle même ses voisins européens à plus de solidarité. Comme on a pu le constater au cours des derniers conflits engageant la France que le soutien militaire européen restait des plus modestes, il n'est pas douteux que la solidarité passera par une plus grande tolérance budgétaire de la part de Bruxelles vis-à-vis de la France. Il serait bien sûr hasardeux d'affirmer qu'en vertu des attentats du 13 novembre, nous serions revenus soudain dans un cadre schmittien autorisant le politique à reprendre le pas sur le budgétaire et l'économique. Néanmoins, force est de constater que la France est en première ligne face au danger islamiste et qu'elle est, de très loin, le pays européen qui assume aujourd'hui la plus grande part de l'effort militaire imposé par cette lutte. Cela peut donner, notamment vis-à-vis d'une Angela Merkel malmenée par la crise des réfugiés, une assise plus grande à François Hollande. On parlera de climat lors de la COP21 mais aussi – et surtout ? - du climat du monde au sens le plus politique. Du monde d'aujourd'hui, bien sûr, et plus du monde d'avant.
 

Publié dans Causeur n°30 - Décembre 2015

lundi 7 décembre 2015

Le FN prend Racine......et ce n'est pas une victoire à la Pyrrhus...


La presse et les médias se sont forgés leurs propres éléments de langage qui leur offrent une vision rassurante du monde quand le monde n'a décidément plus rien de rassurant. Hier soir, sur France 2 ou BFMTV, la saison des cyclones avait ainsi repris chez les commentateurs politiques pour qualifier le score réalisé par le Front National après le premier tour: six régions dominées, 40,64 % pour Marine Le Pen en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, 40,55 % pour Marion-Maréchal Le Pen en PACA, 36,06 % pour Florian Philippot en Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine et 27,96 % des suffrages exprimés, devant Les Républicains qui peinent à atteindre 27 %, même avec le renfort UDI-Modem, et le Parti Socialiste, laissé sur le bord de la route avec un peu plus de 23% des suffrages. Gageons que les raz-de-marée et les tsunamis s'abattront une nouvelle fois sur les éditos pour évoquer le succès écrasant du Front National, comme si celui-ci avait encore la soudaineté et l'imprévisibilité d'une tempête tropicale, comme si personne ne voyait monter la marée depuis longtemps, y compris chez les 18-30 ans, que Libé avait cru bon d'affubler du dénominatif de "génération Bataclan" après les attentats de novembre. La réponse a été cinglante, le démenti sévère : la jeunesse n'emmerde plus le Front National, soit elle s'abstient et "nique la France", soit elle soutient de plus en plus notablement le parti de Marine Le Pen, quand elle ne ne s'engage pas tout simplement sous les drapeaux, l'armée faisant face à une recrudescence des candidatures depuis janvier 2015, démultipliées depuis les attentats de novembre. Quand Libé dit "Je suis en terrasse", la jeunesse lui répond "Je suis au front", dans tous les sens du terme. Et le monde ouvrier acquièsce en déposant son bulletin dans l'urne, en disant "et moi je suis la crise."
Laissons tomber les typhons, rangeons les marées noires au placard et coupons le robinet des raz-de-marée. Ce n'est pas M. Météo qu'il nous faut pour commenter ces élections sous état d'urgence mais Jean Racine. Mais si voyons ! Vous ne vous rappelez pas ? Jean Racine ? Le Grand Siècle ! La tragédie ! Il nous faut toujours quelqu'un pour décrire le roman national qui continue à s'écrire sous nos yeux mais il n'y a personne. Qui mieux que Jean Racine chantera le spectacle de la classe politique en pleine tragi-comédie ? Regardez Pierre de Saintignon hier soir, la moue douloureuse, la parole difficile, qui quémande à demi-mot une alliance, se fait souffleter par un Xavier Bertrand crâneur à peu de frais, ne sait plus s'il doit s'unir, se dresser ou cesser d'exister, et finit par annoncer qu'il se retire, désemparé comme Hermione qui s'écrit: "ah ne saurais-je point si j'aime ou si je hais !", " errante et sans dessein je cours dans ce palais !"


Pendant ce temps, triomphante et rayonnante, Marine Le Pen s'adresse aux caméras. Avec une satisfaction si évidente qu'on craint soudain qu'elle ne prenne feu comme un Icare à l'approche de l'astre brûlant du pouvoir, elle prend la voix d'Oreste et tonne: "Avant que tous les Français vous parlent par ma voix, souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix !", tandis que Nicolas Sarkozy tente de rallier à son panache gris et déplumé les quelques troupes qu'il veut rassembler en appelant à un nouvel état d'urgence. Endossant le manteau rapiécé de la République, tendant un doigt accusateur vers les résultats électoraux, le chef des Républicains s'écrit comme Pyrrhus: "Je ne vois que des tours, que la cendre a couvertes, un fleuve teint de sang, des campagnes désertes." Le malheureux Estrosi, de son côté, n'en revient toujours pas, que ses chers électeurs aient pu le laisser à plus de 16 points d'écart de la Maréchale. Fébrile il prend la parole, met une main sur le coeur et s'interroge, comme la belle Andromaque: "Et quelle est cette peur, dont leur coeur est frappé ?", avant d'accepter à son tour de rentrer dans l'ombre, vaincu, murmurant, face à son électorat ingrat : "Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups."
Tous les chefs politiques, au soir du 6 décembre, appellent pourtant l'électeur, le Saint Peuple, à redevenir raisonnable. Xavier Betrand, bravache, annonce que « l'histoire retiendra que c'est en Nord-Pas-de-Calais-Picardie que la progression du Front National sera stoppée ». A droite, à gauche, on appelle au rassemblement républicain, à la victoire de la tolérance, du progrès, de l'amour, de l'intelligence sur la haine et l'obscurantisme mais las ! L'électeur, enragé, sourd à toute supplique, continue à tempêter comme Oreste à Pylade: "Je suis las d'écouter la raison !", "je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne !" Une façon tout de même bien plus belle que la nôtre de conclure en ce premier soir d'élections : on ne sait pas où on va, mais ce qui est sûr, c'est qu'on y va.





Crédit photos: AFP. Philippe Huguen

Article publié également sur Causeur.fr

PS: Tous les lecteurs qui ont un souvenir plus précis d'Andromaque ou plus de temps pour parcourir à nouveau Racine sont invités à proposer d'autres vers pour illustrer les réactions, parmi nos politiques, des déconfits, des triomphants ou des indifférents.