samedi 27 mai 2023

La tribune d'Emile Boutefeu

 

 


 

 

MEETIC (XIV)

Saillie à la chaîne par des brutes sans visage
Jusqu'aux talons laquée de foutre
- Les dégoûtées n’ont qu’à rester filles !

 

 


 

 

mercredi 17 mai 2023

Braises anarchiques XVII

 


 

"Tu n’as rien de spécial à accomplir.

Nulle part où aller en particulier.

Personne de précis à être.

Poursuis ta route.

Le soleil se lève le matin sans te demander la permission.

Le soleil se couche le soir quoi que tu en penses.

Parfois, il pleut. Et ton opinion sur la question n’y change rien.

Parfois, quelqu’un meurt. Chaque milli-seconde, quelqu’un meurt. Ni ton chagrin ni ta colère n’opère sa résurrection.

Poursuis ta route.

Ta voiture ne démarre pas. Les moteurs n’obéissent pas aux jurons.

Tu as trouvé l’âme-sœur. L’univers en baille d’indifférence.

Le président des Etats-Unis fait quelque chose de particulièrement idiot, stupide et peu avisé.

Tes problèmes de transit ne le font pas changer d’avis.

Après des heures, des années d’effort, tu gagnes cette course, tu obtiens cette grosse promotion. On continue de mourir de faim aux quatre coins du monde.

Ta coiffure ne ressemble à rien. Comme c’est rafraichissant.

Le vent tourne et tu l’as en pleine face. Tu as du mal à avancer. Ça tombe bien : tu es déjà là où tu dois être.

Poursuis ta route.

Tu rencontres quelqu’un qui compte pour toi et tu lui fais forte impression. Dommage. Il va falloir assurer tout le reste de ta vie.

Tu rencontres quelqu’un qui compte pour toi et tu lui fais très mauvaise impression. Parfait. Tu vas pouvoir essayer autre chose la prochaine fois.

Poursuis ta route.

Tu as l’impression que personne ne te prête attention. Tu ignores ta chance. Si seulement les gens cessaient de prêter attention, on pourrait lâcher prise et être qui on veut être à chaque instant.

Mais quand on sait que quelqu’un prête attention, alors on se restreint, on se fige dans un rôle. Et le rôle qu’on voulait vraiment reste au fond du coffre à costumes.

Poursuis ta route.

Si les hommes allaient jusqu’au bout de leurs tendances récentes et faisaient sauter la planète, ne laissant que quelques fragments de nos civilisations avancées, qu’est-ce qui serait perdu au juste ? Davantage que lorsque Rome, l’empire inca ou les dinosaures se sont éteints ?

Nous croyons que notre science, nos arts, notre littérature ont accompli quelque chose de forcément éternel, mais l’univers serait-il moindre sans la découverte du pouvoir de l’atome, du vaccin contre la polio, de la pénicilline ? L’univers évolue et pour chaque maladie que nous guérissons ou faisons disparaître, il en conçoit dix nouvelles. L’énergie nucléaire, Internet, le téléphone portable ou la télévision par satellite ont-ils rendu l’humanité meilleure ?

L’humanité s’en tirerait-elle mieux si tout était détruit et qu’on repartait de zéro ? On ne sait pas, mais on sent que la question mérite d’être posée.

L’art et la littérature ? Combien d’êtres humains vivants ont vu Médée, et l’ont apprécié ? Dans dix mille ans, les humains auront tellement changé que Guerre et Paix leur paraîtra aussi étrange que la majeure partie de la littérature de la Grèce antique l’est aujourd’hui à la plupart de nos contemporains.

Tout ce que nous faisons c’est construire des tas de sable que nous prenons pour des montagnes. La première bourrasque anéantira ce que nous croyons éternel.

Poursuis ta route.

Rien ne dure. Remercie Bouddha, rien ne dure. Toute vie est bénie et maudite par cette simple vérité.

Rien ne dure. Le paradoxe que les humains s’efforcent de ne pas voir c’est que si une chose était éternelle, elle n’aurait pas d’importance. Seul le changement importe.

Poursuis ta route.

La vie n’est que changement. L’homme que je suis au début de cette phrase a changé à jamais avant d’avoir pu y mettre un point.

Poursuis ta route.

Dieu merci, c’est comme ça. Rien ne dure. Tout est changement. Les humains écrivent des milliers de livres pour célébrer ce qui est éternel, et leurs mensonges font souvent plus de mal que de bien à ceux qui les lisent.

Célébrez le changement parce que c’est la vie même.

Mais les humains combattent le changement et combattent la vie. La plupart de nos malheurs viennent de ce que nous essayons de préserver quelque chose – l’amour de quelqu’un, la santé, un nouveau canapé, un charme enfantin, un talent qui s’effrite.

Laisse-les filer, laisse-les filer. Tout effort pour préserver du vieux empêche l’arrivée du nouveau qui pourrait enrichir ta vie.

Nous rêvons d’une existence parfaite et passons ainsi à côté de la perfection de l’existence.

Poursuis ta route."

Luke Rhinehart, L'homme-dé,1971.