Si la droite possède son excuse à toutes les compromissions, le « Réel » vanté partout sur les ondes de ses médias ; la gauche elle aussi, comme elle vient de le prouver, possède son alibi démoniaque, son « Réel ». Son « Réel », c’est « l’Antifascisme » grâce à quoi elle s’autorise tout, et spécifiquement ce qu’il y a de plus bas, de plus puant, de moins moral et de plus anti politique. Car, comme ce « Réel » qu’on n’interroge jamais et auquel on subordonne tout, en l’ayant au préalable confondu dans un tour de passe-passe machiavélique avec l’opinion travestie désormais sous son nom, « l’Antifascisme » de la gauche est aussi peu antifasciste qu’est réel le fameux « Réel » invoqué par les animateurs télé, prétendus parfois penseurs, de la galaxie bolloréenne. Bien évidemment, le véritable antifascisme ça n’est pas le but de la gauche aujourd’hui, puisque son but, c’est de conserver ses prébendes. Son but, c’est perdurer dans son être afin de garantir sa puissance, chose qui explique, bien au-delà de la gauche, que tous les alibis malhonnêtes qu’on se trouve sont moins des erreurs d’appréciation qu’une question de pouvoir, une volonté de puissance mauvaise qui se résume à optimiser trivialement sa domination de la façon la plus vile.
On ne s’y trompera donc pas : pas plus aujourd’hui que dans les années 80, il n’existe de menace fasciste à proprement parler. Le RN est un parti volontiers problématique parce que potentiellement incompétent, ses accointances probables avec la Russie doivent légitimement inquiéter, mais rien dans son programme ne laisse craindre un véritable fascisme en bottes prêt de se déployer, matraque à la main, aussitôt les élections remportées. Au contraire de LFI qui se félicite de compter parmi ses nouveaux élus le chef d’une milice violente, le RN dégage les amateurs du Troisième Reich et les antisémites que charrie encore, en guise d’héritage maudit, les vieux fonds de soutes abandonnés là par Le Pen père. Au contraire de LFI qui bordélise l’Assemblée dès que s’en trouve l’occasion, le RN joue au maximum le jeu de la respectabilité et travaille à se présenter comme responsable. Imaginons néanmoins que tout ça soit un pur jeu de dupes et que le RN mente. Reste qu’on ne peut que juger sur pièce. Entre un parti qui se dit soucieux de se dédiaboliser, multiplie les renoncements sur toutes ses mesures problématiques — chose qui lui profite électoralement parlant, et donc l’oblige auprès d’une base électorale que manifestement il ne cherche pas à frénétiser pour le moment —, et un autre qui enchaîne les outrances, se vautre dans le clientélisme islamiste, flirte à la moindre occasion avec l’antisémitisme, pense en terme de races et de prétendus dominations à renverser partout et par tous les moyens, autrement dit dont l’imaginaire revendiqué est brutal et révolutionnaire, entre le RN et LFI aucune alliance ne se justifie avec ces derniers, même en se bouchant le nez, sinon l’imminente accession au pouvoir d’un authentique régime fasciste.
Et quand bien même le RN serait authentiquement fasciste : on peut s’allier avec Staline quand une guerre à mort est engagée contre les nazis, mais quand les nazis n’existent plus… C’est d’ailleurs l’argument hypocrite de ceux qui ont fait alliance avec LFI. LFI ne pouvant accéder au pouvoir, il devenait alors permis de collaborer avec eux pour faire rempart au RN. Pourquoi pas ? Mais en ce cas le NFP aurait dû se dissoudre aussitôt les élections révolues. Et tant pis si émergeait alors un bloc central réunissant macronistes et LR contraires aux idées que porte la gauche ; puisque la menace du « nazisme » s’évaporait dans l’immédiat, la politique récupérait alors ses pleins droits. L’urgence à gauche, si la gauche aime le peuple comme elle le prétend, c’est de préparer l’avenir et pour ce faire de s’interroger sur les raisons pour lesquelles une bonne partie du peuple la fuit désormais afin de se réfugier auprès du RN, souvent même contre ses intérêts de classe, et non de se précipiter aux commandes d’un navire qu’elle ne pourra pas diriger, simplement pour être aux affaires.
On aurait pu rêver, sans y croire, une gauche morale et intransigeante quant à ses valeurs : forcément, pour l’heure et sans surprise, il n’en est rien. Le NFP réclame le pouvoir qu’il ne peut obtenir à gauche qu’avec LFI, ou sans LFI en se compromettant avec Macron, révélant ainsi son manque de sincérité idéologique et se décrédibilisent comme alternative, faisant ainsi le lit non seulement du RN qu’il prétend combattre, mais d’abord de LFI, répétons-le, parti outrancier, populiste et potentiellement séditieux, trumpiste dans ses méthodes, qui dans ces conditions n’est plus seulement le rondin nécessaire au barrage mais, bel et bien, la composante matricielle de la gauche future, légitimée désormais par le combat « antifasciste ». Dans une sorte de retournement ironique de l’histoire, ce sont donc les modérés de gauches, comme les modérés de droite des années 30 l’ont fait avec les nazis, qui pavent la route vers le pouvoir de l’extrême gauche dans sa pire formule. Par conviction ? Non ! Par « antifascisme », pour conserver sa place, son pouvoir, et sa posture morale… Bienvenue dans le réel.
Article tiré de la Newsletter Première Nouvelle : https://premierenouvelle.substack.com/