mardi 28 février 2012

Mademoiselle n'est plus


Une grande victoire, qu’il faut saluer ici, à Idiocratie, vient d’être obtenue par les ligues féministes (et par les restrictions budgétaires !). Après une longue bataille médiatique et juridique, celles-ci ont enfin obtenu la disparition des formulaires administratifs du titre « Mademoiselle ». Qualificatif ô combien dégradant, évocateur de sages froufrous, de regards furtifs, de silhouette gracile et de cœur à prendre, « Mademoiselle » est priée d’aller promener ailleurs ses jupons et de cesser ses manières. On ne tolérera désormais que la dignité un peu austère de « Madame », qui elle au moins sait se tenir et ne s’avise pas de minauder avec les airs de charmante victime de sa consoeur. « Madame » n’est ni prise, ni à prendre, ni à séduire, foin désormais de cette distinction discriminante entre la jeune fille et celle qui sera adoubée par l’institution rétrograde du mariage. Circulez SVP, phallocrates et profiteurs sexistes ! « Madame » désormais se tient fière et droite sur le podium de l’égalité des sexes aux côtés, ou plutôt en face, d’un « Monsieur » qu’on tient à l’œil et qu’on ne reprendra plus à couler des regards en coin vers les « Mademoiselles » dans les recoins des formulaires.

Au-delà du juste combat pour une égalité parfaite que nous ne nous aviserons pas de discuter ici, cette avancée législative est aussi une avancée linguistique. Soucieux que nous sommes de valoriser chaque nouvelle bataille remportée par la modernité, il nous faut ici saluer une avancée décisive en termes de langage. Il y a plus de soixante-dix ans, un penseur réactionnaire établissait dans un méchant petit ouvrage, avec une mauvaise humeur teintée d’ironie acerbe, que les combats menés par les avant-gardes, pour revenir à la pureté originelle d’un langage qui ne trahirait plus la pensée, interdisaient désormais d’employer des lieux communs comme « des yeux fondus » ou « douceur vespérale », clichés auxquels, d’un point de vue stylistique, on pourrait certainement adjoindre « ironie acerbe », « pureté originelle » et « penseur réactionnaire » tant ces maladroites constructions traduisent des évidences… Ce combat était en tout cas d’un autre temps. La chasse aux clichés et aux lieux communs dans les années d’entre-deux guerres n’était qu’un prélude esthétique qui ouvrait modestement la voie aux réalisations formidables des grandes utopies révolutionnaires (ah ! encore un cliché !). Aujourd’hui, tandis que nous vivons une époque au sein de laquelle nous avons matériellement et juridiquement conquis un bien-être relatif et une harmonie sociale apparente, les conquêtes, après s’être réalisées dans les lois, doivent se poursuivre dans les cœurs et les consciences.

On ne demande plus, comme aux temps héroïques (tiens, encore un…) des avant-gardes historiques (et de trois…), à la littérature de préparer les temps nouveaux. En fait,  on ne lui demande plus rien. Cependant, si le bannissement des demoiselles représente une avancée législative comme on n’en avait plus vu depuis le droit de vote des femmes en 1944, il convient de continuer à mener la bataille du langage pour finalement gagner celle des âmes en entreprenant, partout, de traquer le démon protéiforme de la pensée discriminante. Amen. On peut d’ores et déjà suggérer que les ligues de vertus égalitaires ne se contentent plus, dès aujourd’hui, d’écarter des formulaires administratifs l’ombre menaçante des jeunes filles en fleur, mais qu’elles osent s’attaquer aux forteresses inexpugnables (et de quatre !) du sexisme ordinaire (cinq ?), à « Monsieur », le Minas Morgul de la terreur phallocratique, et à « Madame », le Minas Tirith du consentement bourgeois. Dès à présent, nous osons soumettre à la bienveillante sagacité (nous vous prions d’agréer nos salutations les plus distinguées…) de nos maîtresses en anti-sexisme, les jolis termes, bien plus égalitaires, de « compère » et « commère » pour remplacer « Monsieur » et « Madame ». Avec un peu de chance il y aura bien un usager qui se prénommera Goupil ou Ysengrin : fou-rire et bonne humeur assurés au guichet des ASSEDICs, même en cas de radiation définitive… 



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