vendredi 23 janvier 2015

To be or not to be Charlie (2)

L'écrivain Sarah Vajda nous a confié sa réflexion personnelle sur les attentats, l'islam, les cancres indispensables et surtout les femmes dont les voix méritent de s'élever aujourd'hui bien au-dessus de toutes celles des Princes de la pensée. 

To be or not to be Charlie

Générationnelle toute vie.

Particulièrement la mienne, destinée à ne pas l'être. Désinstitutionnalisée, hors jeu, dès le commencement,  décentrée dans l'espace comme dans le temps,  père,  sujet de l'empire austro-hongrois, né  là-bas en 1908,  à Budapest où,  enfant,  il vit l'impératrice Sissi en personne et en majesté  saluer ses chers Hongrois,  et assista à la chute du dernier empereur d'Occident. 
Ce père,  contemporain de Roth – Joseph le géant pas Philip le surévalué –,   de  Zweig, appartenant au « monde d'hier » et moi, sa fille en révolte, mauvaise élève, même pas obtenue la mention assez bien au bac et encore avec l'oral de rattrapage, pas gravi les échelons : hypokhâgne, khâgne, je reçus en guise de formation littéraire des fragments de Talmud pour mon éternité. Lui vivait en compagnie de Maïmonide et du docteur Angélique, quand ses confrères œuvraient à l'heure de Durkheim, de Weber, de Lévi Strauss, du structuralisme, de la phénoménologie... comment n’eus –je pas trouvé naturel de vivre de plain-pied en compagnie des poètes et des dramaturges, m'endormant à Woodstock (le film) ne comprenant rien à Easy rider, n'écoutant ni Barbara ni Brassens ni les Pink Floyd ni les Stones encore moins les Beatles.. allergique au jazz, préférant Baudelaire et Mallarmé à Prévert, Corneille, Giraudoux et Claudel à Céline et  n'adorant en la beat generation que les orages désirés de René enfin venus, pourtant de la génération Charlie,  je suis,  qui n'en lus pas un avant 2008.  Chacun de nous, fils de ses parents et  de sa génération, à parts égales.   


Contrairement à mes amis et mes camarades de la classe 75, j’ignorais jusqu’à l’existence de Spirou, Fluide glacial, Hara-kiri ou Charlie Hebdo. Le dessin me rebutait sans doute d'avoir été longtemps interdite de BD. Et pourtant aujourd'hui, j'ouvre Charlie-Hebdo et me découvre,  bien malgré moi,  fille du Professeur Choron, sœur de Charb, Luz et les autres, d'Elsa Cayat aussi, mais pour d'autres raison que le rabbin Delphine Horviller sut si bien énoncer dans son hommage funèbre. Pas un accent ou presque, que je ne reconnaisse pour mien Et je ne vois rien ici qui blesse la pensée ou fasse frissonner... Au contraire, lire le dernier Charlie me revigore. Charlie is alive, le rire sied aux désespérés.  Nul n'est si seul qu'il ne se l'imagine. Je jubile découvrant :  «S'en fout la mort, abonnée à Charlie», cet autre dessin « Demain, ils liront L'équipe, Gala, Closer» ; deux autres encore : «Kouachi,  employé municipal au tri sélectif se tient, tel l’âne de Buridan, dubitatif, entre deux poubelles, incapable de choisir du bien, jaune et du vert, mal » ; me plaît aussi ce rachitique Bangladais cousant « Je suis Charlie » sur un tee-shirt...

Le courage et la lucidité des survivants m'impressionnent. J'en sais toute la dérision et comme tout un chacun devine  les ténèbres  proches : « C'est bien plus beau lorsque c'est inutile et je ne me bats pas dans l'espoir du succès/ je sais bien qu'à la fin etc...» comme  Hercule Savinien Cyrano dit Cyrano de Bergerac, assassiné naguère par un crétin du genre Kouachy-Coubaly, les survivants de Charlie combattent pour le droit à l'impertinence, celui de s'en aller quand bon leur chante dans la lune. Les hommes estimables,  peu ou prou, ont été et seront toujours des socrates, attachés à leur liberté de penser, de rêver, dans un monde de tous temps voué au pragmatisme et à l'efficacité. Les partisans de l'action directe non poétique comme les révolutionnaires ne sont jamais,  quoiqu'ils le prétendent souvent,  des rêveurs éveillés, mais des gros Messieurs rouges qui additionnent des cadavres pour atteindre le sommet sans goûter un instant l'air des cimes. Qui prétend changer le monde autrement que par l'exercice de la joie devant la mort perd sur l'heure son statut d'homme libre. Aucune négociation avec le réel. La belle équipe n'avait pour seule utilité que d'illustrer cette résistance à l'endoctrinement qui, de la gauche à la droite, en passant par les extrêmes et le centre, sourde  à la voix de ceux que le pays prétend honorer, domine. Au mot massacre, immédiatement accolé celui de padamalgame ! J'enrage ! Merdre, père Cabu, merdre ! C'est mourir deux fois que de mourir pour rien.
Immédiatement, les droitards se souviennent que Charlie était leur ennemi. Pape, popes et imans, par la qualification d’exagération, atténuent la salauderie des bourreaux. Il n'est d'union sacrée que dans la solitude des alcôves et le mais catholique ressemble à s'y méprendre aux « innocents français » de la rue Copernic d'un ministre portant chaussettes de Cardinal. Je ne connaissais ni Charb ni Luz, pas la grosse tête en dépit du succès. Si tous les écrivains et les  donneurs de leçons du cher vieux pays  avaient cette modestie ! Aucun mot, aucun dessin, aucun livre n'arrête les balles. Un jour sans doute nous devrons passer les portes ouvertes de la guerre. Que nous ayons été entrepreneurs ou professeurs, boulangers ou poètes, nos corps alors s’aligneront dans le même carré. Les charlies savent leur journal du jour, déjà en passe d'être oublié, se savent des travailleurs comme les autres : « dessinateur, vingt-cinq ans de travail, terroriste, vingt-cinq secondes, un métier de fainéants.» Plus facile de mourir que de vivre et de donner la mort que d'enfanter. Plus facile de détruire un château de sable que de l'ériger, des heures durant, à la face de la marée du soir et des tempêtes annoncées.  Demain, la belle équipe  retaillera ses crayons, sans s’estimer héroïque d'avoir frôlé la mort, et à l’instar d’autres communautés, la juive, la kurde, les civils en terre d’islam, rira, dansera, s’amusera comme une folle, avant que la nuit ne tombe. Guerre déclarée à l'intelligence depuis l'interdiction de ce chef-d'oeuvre de cocasserie et de santé qu'était Les Versets sataniques ; depuis  2004, l'assassinat de Theo Van Gogh par un frère des Frères K: huit balles dans le buffet, égorgé et  au cœur qui avait tant battu, deux couteaux plantés pour servir de support à une liste de cibles à venir. La première,  Ayaan Hirsé Ali, somalienne et députée néerlandaise,  la première,  quoiqu'elle fut musulmane, à oser le mot de guerre. Soumission   comment se fait-il qu'aucun critique n'ait rappelé ce titre, quand parut le roboratif ouvrage de  Houellebecq ?–   la première partie du court-métrage de Van Gogh était loin d'être blasphématoire, qui montrait une jeune fille musulmane empêchée d'aimer qui elle aimait, mariée à un homme sans doute malheureux de ne la posséder jamais entière et la frappant, interdite d'aller et de venir sans tchador, rêvant de sentir le vent dans ses cheveux, le soleil sur sa peau et aussi de voyages. Juste empêchée, misérable Poucette au terrier de la taupe descendue et cloîtrée, de vivre. 



Ce film inachevé, son réalisateur assassiné pour avoir dit l'évidence, est une manière de poème. Disponible sur l'araignée, il devrait être vu, commenté et loué par quiconque en France aujourd'hui possède un dernier zeste de raison. Tombeau pour Theo Van Gogh. Pour avoir dit l'assassinat d'un sexe, un vertueux fut assassiné ;  pour avoir dit l'ignoble, satanisé et nous n'avons pas, réalisateurs, écrivains, femmes du monde entier, pères et mères,  marché dans les rues du monde encore libre. Presque seul Charlie en 2008 a hurlé :  Basta ! De quel droit refuser à une jeune fille ce que réclamait Agnès dans l'école des femmes : épouser qui vous chante ? Comment refuser à une moitié de l'humanité de sentir le vent dans ses cheveux, de parler à visage découvert  à des hommes ? Le moyen, cher Georges Darien, de tolérer l'intolérable ?  Je ne veux plus compter parmi mes amis personne qui me joue l'aria de la différence culturelle ou naturelle et admette le voile au nom des femmes soumises à la charia. Pas de négociation avec la Bête. S'il faut se dire Femen, je me dirai Femen contre qui arrache à la moitié du monde le plus cher de ses dons cette jeune liberté d'aimer : la lune s’attristait, des séraphinsen pleurs, c’était le jour béni de ton premier baiser, la bohème rimbaldienne, les prières au soleil, le droit, belles chimènes,  de crier nos révoltes, celui pauvres antigones, d'affronter la dureté de la loi ... 

Est-ce que les femmes n'ont pas de sens, pour être interdites de vent et de soleil ? N'ont-elles pas de cœur, pour aimer et pas de raison,  pour discerner ? Est-ce que quand on les fouette pour désobéissance, leur chair ne rougit pas ? Ne saignent-t-elles pas quand on les mutile ? Quel relativisme culturel admet cela ? Seuls les indifférents et les machos, lassés des femmes libérées, soutiendraient cela. Le soutiennent. Ça commence par les trois K nazis, les  femmes à la cuisine et ça se termine par l'enfermement dans la maison du père,  puis du mari. Les trois M : mosquée, mariage et ménage. Les jours de grand cafard, je relis Les Amours d'Ovide ;  mon esprit s'en revient au puits de Rebecca et au champ où Booz était endormi ; je revois Hector enlacer une dernière fois Andromaque sous les remparts de Troie et entends Antigone faire ses adieux à Hémon et au soleil et je me dis qu'il est bien tard, que compas déréglé, le navire Humanité fait marche arrière.  Les jours de pluie,  je relis les Mille et une nuits et contemple Shéhérazade rendre un Sultan fou d'amour et le faire,  de son plein gré,  renoncer  à la polygamie. Des larmes pleins les yeux,  je fixe le noir de la nuit dont l'étoile du berger s'est absentée. Charlie s'est levé, honneur à lui et merdre, père Charb,  à l'apostat Deifel de Ton.  On est jamais mieux  trahi que par les siens. 

Shéhérazade, par Sanî’-ol Molk


 « Fils de Marx et du Coca Cola », disait Godard, Fils d’Auschwitz et d'Hiroshima, rajouté-je. Avoir eu douze ans en 1968, ça vous change un homme. Mon père,  toujours lui,  parlait de fin d'un monde. Quelques années plus tard,  écoutant les intellectuels français se gargariser du doux nom de Khomeiny en exil à Neauphle-le-Château, le vieil orientaliste se gaussait : « ils ne savent pas ce qu'ils font ». Non, nos maîtres du Quartier latin ne savaient pas, se fichaient du monde comme il va comme d'une guigne, pourvu, air connu, qu'ils vendissent des livres, fissent parler d'eux, se pavanassent à la télévision et remplissent leurs amphis. Responsabilité illimitée de qui prend la parole sur la place publique. À chaque charge, ses devoirs. Surtout déjà nos « intellectuels » détestaient plus que tout l'Amérique et ses hommes de paille. Plus que Staline,  plus que Mao,  plus que le Che. Il leur suffirait de plaider la jeunesse et de retourner leur veste sans quitter la partie. Mon père encore. Quand, adolescente et enfin avertie par un certain Marcel Ophuls de ce qu'avait été Vichy, je lui demandais « mais enfin comment as-tu pu rentrer à Paris, retourner à l'École pratique des Hautes Études,  à la bibliothèque nationale... en un mot,  continuer à vivre en France en 1945,  comme si de rien n'était ? Comme si rien n’était arrivé et que la France t’avait aimé et qu’aux rives de la Seine et non pas du Lignon, la mère patrie t’avait protégé ? »  Les yeux brillants d'un si triste sourire, il me répondait avoir été,  être las de jouer le juif errant mais enfin insistais-je « un poste l'attendait à l'Université hébraïque de Jérusalem » un poste, qu'il avait refusé,  prenant soin de proposer un candidat « plus digne que lui du grand honneur ».  La raison invoquée ?  Les dormants de l'islam ! Moi, je me sentais Elvire entendant Sganarelle bafouiller : Alexandre et les autres grands sont causes de notre départ..  Et pourtant !  Ce réveil, préparé par la laïcisation forcée de l'ancien empire ottoman par ces hommes honorables que furent les nationalistes arabes, serait tôt mis sur le dos du jeune état d'Israël. La belle aventure tournerait vite court. Mon père s'y refusait  aussi par amitié pour l'islam et pour l'humanité,  déjà menacée de djihad. Aussi préféra-t-il dédaigner cet honneur et, inlassable,  chaque jour,  s'évertuer à  déchiffrer les secrets de transmission de l'islam dans l’Espagne médiévale, celui du jihad [1]... Sur ce point,  il avait,  hélas pour nous,  tellement  raison : la critique textuelle et elle-seule atténuerait la violence des fameux dormants, empêcherait la Ouma de se reconstituer sur fond d'indifférence politique aussi bien arabe qu'occidentale et éviterait à quelques générations de mourir par la main d'assassins se recommandant d'une tradition dont ils ignoreraient l'alpha et l'omega, cerceaux lavés par quelque dianétique teinte d'islam. La menace islamique passée, le tiers-monde trouverait sans doute l'occasion de se venger d'une Europe et d'une Amérique coupables et décider à l'être mais nul n'aurait pu alors crier Padamalgame. Comme la Toinette du Malade imaginaire, les deux continents, depuis 1967, ne cessent de se morigéner : Nous sommes coupables et plus coupables que vous ne le pensez !   Je ne m'étais pas mise en tête de vous parler de mon père mais du lien mystérieux qui m'unit,  à mon esprit défendant, à Charlie mais il faut bien confesser être née dans un autre siècle, un autre monde : une province où la religion était une représentation du monde parmi d'autres, en lice intellectuelle avec le néo-platonisme, le thomisme et l’aristotélisme, et non pas un tombeau pour sept milliards d'êtres humains. Par son effort herméneutique, la psyché paternelle –  son humour, son goût pour le vaudeville, sa passion de l'absurde et son honnêteté intellectuelle –  s'apparentait plus sûrement à l'esprit  de Charlie,  qu'à  vulgate  synagogale. De Maïmonide à l'époque contemporaine, une seule voie, qui conduit de la nécessité critique à l'indulgence pour toute action mue par un esprit libertaire. J'étais donc prête à affronter  les années soixante-dix,  moins les années quatre-vingt... Mon père mourut,  me laissant seule face au cancer capitaliste, sa furie consumérisme et à son double fatal, ce regain obscurantiste, autorisé par le désespoir subséquent. Les dés étaient jetés, la révolution islamique en marche,  parallèle en tous points  à la seconde vague de destruction de ce qu'il était convenu d'appeler le tiers-monde, puis pays émergents qui bientôt  n'émergeraient plus. Le monde entrait en zone de turbulences et les Français chantaient : « Mitterrand, du soleil », se la jouaient « copain copain » avec les potes,  prétendant recevoir,  d'eux et d'eux seuls,  l'antidote à certaine lubie sollersienne. À défaut de nous en revenir  à Vichy-sur-Allier, nous entrâmes à la cour du roi Pétaud, tout sens en fuite, le couteau de la valeur, absent de la table du banquet, nus et seuls, dans l'enfer du chacun pour soi, jetés à la poursuite de fétiches, devant sur l'heure être remplacés. Le vide devint maître de la place. Chacun pour soi valait pour chaque partie du monde. L'Europe se mit à douter de ses valeurs déjà bien entamées par l'intermède nazi. Champ libre. La bêtise put faire retour, précédée par l'inculture,  élevée au rang des beaux-arts. Je ne vis,  comme sœur Anne rien venir ou presque, excepté lors des infâmissimes célébrations du Bicentenaire de la guerre civile en France dite révolution française et des non moins méprisables messes sportives. Empêtrée dans des soucis qui n'avaient rien d'existentiels, je résolus de laisser la partie, occupée d'abord à  reconduire Clio  au cœur de la dramaturgie française et à commettre une thèse  qui ne me mènerait nulle part, du moins pas à enseigner à l’Université. Au seuil de l'an 2000, le réveil  fut brutal et le jour où,  pour la première fois,  je remis le pied dans une classe du Secondaire, je mesurai,  sidérée, hébétée, interdite,  les ravages de la politique scolaire et l'infinie misère où  le Capital et le mépris des puissants avaient  plongé les jeunes âmes.  Entre la lecture de Jeune et jolie pour les filles et de Télé foot  pour les garçons, le bruit de leurs chaînes m'émut si fort que je pris la tangente et me résolus à dissider du monde comme il allait, jusqu'à ce que le capitalisme, la sottise et la peur ne fassent leur entrée jusque dans mon existence, m'empêchant de vivre à ma guise et me forçant à m'en aller de par le pauvre monde quérir quelques Béranger pas encore devenus des rhinocéros... Au seuil de la vieillesse, à nouveau,  s'adonner au rêve des Pléiades,  celles de Gobineau, et aux charmes sans égal de l'amitié selon Épicure, sous peine de mort psychique immédiate.     



 Je n'ai de ma vie acquis que deux numéros de Charlie, celui de 2008 où parurent les fameuses caricatures du Prophète et le Charlie du Lendemain, le numéro bordé de noir, le numéro funèbre,  où le regard de Cabu est comparé à celui de Monsieur Hulot, celui où il est fait l'éloge de Francesco Rosi, mort le 10 janvier et me souviens,  non sans un vif pincement au cœur, que pour mes jeunes amis, le cinéma naquit avec Kubrick. Ils ignorent ce cinéma européen, capable de divertir, d'émouvoir et d'éduquer dont ma génération admit intrinsèquement le programme.  Pire,  ils  le jugent  ringard : ce n'était que Benjamin Constant, Malraux, Gary... poursuivis avec une autre grammaire, une autre langue.  Je me souviens avoir découvert l'Italie dans le Christ s'est arrêté à Éboli. Pas seulement l'Italie : un modèle pour l'éternité que le portrait de ce médecin, peintre, écrivain, ethnographe turinois, ce touriste stendhalien, rencontrant,  relégué au fin fond des Pouilles,  la misère et « la question méridionale ». De Rosi, adolescente, j'appris la seule question qui vaille : quel humain prétends-tu devenir ? Quel horizon d'attente sera le tien lorsque tu seras grande ? Ce film m'a façonnée et voilà qu'au centre des pages de Charlie, je retrouve son nom et aussi avec  lui, le secret de Charlie, pas le voltairianisme ou la liberté d'expression mais l'esprit d'enfance. Ce je sais très bien quoi qui fait les hommes souvent meilleurs que les femmes, cette capacité de découvrir derrière le plus sérieux d'entre eux, le mâle le plus dominant, l'homme le plus en cour, un gamin en culottes courtes.  Je me méfie des hommes qui se prennent au sérieux et  prétendent guider le monde.  À eux toujours,  je préfèrerai les  sales gosses de Charlie, ceux qui ne pleurent pas à la télévision, histoire de prendre les spectateurs en otage, à tous les beaux esprits qui savent leur monde. Mauvaise élève, j'aime pas les professeurs et ne respecte que les libérateurs. Les maîtres véritables étant denrée rare, je me rabats sur les émancipateurs. Charlie en fut. Adoré le dessin,  illustré par ces mots : « Certains enfants dessinent des bonshommes pour comprendre le monde bizarre des adultes et sonder le leur.
On a tous été des gosses, on a tous dessiné. Certains, incapables de  comprendre ce monde d'adultes dont ils font  pourtant partie, continuent à dessiner des petits bonshommes... » Dur de se faire flinguer pour avoir voulu demeurer un enfant ! Logique. L'essence même du fascisme : « Interdit aux juifs » ;  jamais réussi à entrer dans un square,  un espace de jeux, un jardin ou un parc avec ma fille,  sans songer  à cette pancarte.  Justement cela le fascisme :les gamines vendues comme esclaves sexuelles par Boko Aram, les enfants-soldats, les meurtres de civils ... Un antidote, le petit prince, dédié au juif  Léon Wert en 1941 par Saint Ex. Désormais,  aucune transgression possible. Interdit,  le monde selon Charlie, un monde vu par des mioches, un monde où les dames sont fessues, ventrues ou admirables pin-up et où les hommes affichent des gros sourcils, arborent des poils dans le nez  et où  le prophète a forcément une tête de bite, puisque selon son enseignement,  il est interdit à un enfant de regarder la bite des ânes pourtant impressionnante et qu'il convient de cacher les pis des vaches, comme Tartuffe, le faux cul l'exigeait, du sein de  Dorine ! Le monde est vieux et il lui faut parler comme à un enfant, solfiait La Fontaine, dans la préface de ses Fables. Ce n'est pas de censeurs ou de diseurs de vérité contraires que notre monde a nécessité,  mais comme à l'accoutumée, d'artistes véritables, de tous les frères et les sœurs du grand Theo Van Gogh,  détruits,  un à un,  dans la guerre silencieuse que  le Capital livre aux artistes par le biais du marché de l'art et de l'industrie du livre où les derniers éditeurs indépendants, Farenheit 451, la dernière alternance au marché est devenue le pré carré des seuls militants.
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Que les débatteurs fassent silence. Que dans tous les collèges de  France,  des forts diseurs,  à haute et intelligible  voix,  lisent Le village de l'allemand de Boualem Sansal,  les Versets sataniques, tous les romanciers interdits en terre d'islam. Tout ce que prescrit la charia est mien, tout ce qui est impur aussi. Honneurs aux blasphémateurs du mensonge ! Honneur à l'enfant, qui crie le roi,  nu et sait du vrai prophète distinguer la beauté... Honneur aux fous du roi et honte aux fous de Dieu ! Le pouvoir temporel exige la folie,  quand Dieu ne requiert que l’humaine sagesse. 


Intérieurement, je souris de savoir le dernier mot au transhumanisme, qui mettra les plaideurs d'accord, en nanométrant et les uns et les autres,  après la mort du dernier écrivain, du dernier cinéaste, du dernier amuseur, licenciés de la planète Terre pour cause d'obsolétude. Souvenir d'horizon, qu'est ce ô toi que la terre ? Personne ne se souviendra plus d'Homère, de Shakespeare, de Goethe, de Dante... et de Charlie pas davantage, quand nous ne serons plus. Peut-être un jour, plus tard, dans une lointaine galaxie, un lecteur du Coran,  échappé,  subreptice,  à l'emprise de google and co, redécouvrira-t-il La Bible  et  à nouveau,  une humanité phénix renaîtra loin d'ici la boue est faite de nos pleurs.  Alors, de Vico à Hegel,  renaîtra un nouveau monde, un vert paradis où l'homme et la femme se partageront le poids du monde, béniront leur premier né et souhaiteront le voir berger. On s'est gaussé des babas et du power flovers, de la liberté sexuelle,  abrasée par un virus venu d'ailleurs.  Sans doute étaient-ils sots en quatre lettres. Pourtant, devant ce monde glacial où même les adolescents draguent sur le net, honteux de dire le désir et terrifiés à l'idée de se voir rejetés, difficile de ne pas voir en leur infirmité un soupçon d'islam. 
En attendant ce jour béni du renouveau de la culture occidentale,  et pour répondre à la question du titre,  je ne suis pas les morts de Charlie, je suis vivante. Je ne suis pas juive, puisqu'il faudra redevenir maranne ou périr. Je ne suis pas musulmane,  d'avoir fait mes classes à l'EHESS et d'avoir appris à tenir pour plagiat le fait de modifier un texte source comme le saint Coran le fit de l'aventure d'Isaac au Mont Moriah,  devenue, subreptice,  ni vu ni connu,  pas vu pas pris, celle d'Ismaël. Je ne suis pas davantage garde du corps, flic ou fliquesse, gendarme ou gendarmette.  J'aimerais bien être de Funès, ou encore avoir à nouveau sept ans et me tenir les côtes  au cinéma Le Féerique,  rue de Belleville au temps de sa splendeur post communarde,  en compagnie du très sérieux Georges Vajda,  ignorer devoir vivre ce que je vécus, ce que vivent des milliards d'humains,  sous les règnes conjoints du Capital et des Vengeurs du Tiers-monde, attachés à souiller puis à détruire toute condition de possibilité  du bonheur.  Je suis Gary,  qui dans son livre testament,  La Nuit sera calme notait, honneur à lui   :
 Seuls, le manque de respect, l’ironie, la moquerie, la provocation même, peuvent mettre les valeurs à l’épreuve, les décrasser et dégager celles qui méritent d’être respectées. Une telle attitude (...) est pour moi incompatible avec toute adhésion politique à part entière. La vraie valeur n’a jamais rien à craindre de ces mises à l’épreuve par le sarcasme et la parodie, par le défi et par l’acide, et toute personnalité politique qui a de la stature et de l’authenticité sort indemne de ces agressions. La vraie morale n’a rien à redouter de la pornographie – Pas plus que les hommes politiques, qui ne sont pas des faux-monnayeurs, de Charlie hebdo, du Canard Enchaîné, de Daumier ou de Jean Yanne. Bien au contraire : s’ils sont vrais cette mise à l’épreuve par l’acide leur est toujours favorable. La dignité n’est pas quelque chose qui interdit l’irrespect et elle a au contraire besoin de cette acide pour révéler son authenticité."

Je suis Gary et son dibbouk,  aussi le pigeon  à qui il plut de conchier notre Président. Lui seul, le pigeon inconnu –  le cocu de l’Histoire - savait,  à  l'instant précis où il la fientait, sa victime digne de  figurer dans les livres de classes du Futur aux côtés de Daladier dans la rubrique « accélérateurs de particules », rayon immobilisme, veulerie et insouciance.
Du pigeon inconnu,  je me veux la féale et révère, merdre de merdre,  sa matière fécale, car enfin contre un tel monde, à moins de mourir sur le champ les armes à la main dans un combat sans frontières et sans territoires marqués, ne demeurent,  chers Jary, Gary, Charb, Cabu… les autres,  que les armes de l'enfance. Aussi pour uniques slogans, n'avons-nous pour continuer à vivre que  caca, bite et con et comme uniques armes, des textes maladroits, des crobars tremblés, des fous rires jaunâtres à opposer aux forces de mort,  en tous lieux, du Ponant jusques à l’Orient, déployées.   



Sarah Vajda





[1] http://www.idref.fr/02752521X#haut

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