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Le scénario ne brille pas par son
originalité ; il peut même inquiéter par sa tonalité vaguement fantastique
et son histoire de romance post-adolescente. En vérité, Lost river brûle
d’un autre feu, celui d’une superbe vision de l’Amérique déchue retournée à ses
fantasmes de violence et de rédemption. On l’aura compris, les dialogues
parsemés ici et là se fondent dans une ambiance crépusculaire qui est
l’occasion pour Ryan Gosling de produire une esthétique très clairement
inspirée de David Lynch. Cela est d’autant plus étonnant que le film plonge ses
racines dans une réalité sociale âpre et ô combien concrète : l’abandon de
quartiers résidentiels entiers situés à la périphérie de Detroit. Ainsi, les
premières séquences voient un jeune garçon déambuler dans des friches
industrielles à la recherche de cuivre, se perdre dans de vastes étendues que
la nature sauvage a reconquises et retourner enfin dans son quartier en ruine
dont les maisons fantômatiques attendent d’être rasées. Les derniers qui
restent sont, bien sûr, ceux qui n’ont pas les moyens de partir, de s’enfuir
vers d’autres horizons.
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Lost river n’est pas pour autant
un simple film d’ambiance puisque la tension monte crescendo jusqu’à
l’explosion finale. Dans ce cadre, et sur le rythme d’une musique électronique
lancinante (comme chez Refn), les personnages (le plus souvent silencieux)
évoluent dans des paysages mentaux comme des spectres au milieu de la nuit.
Ainsi, la photographie toute en couleurs vives et en contrastes vaporeux tranche-t-elle
avec l’imagerie brute d’une ville en décomposition. C’est toute la beauté de ce
premier film que de parvenir à faire remonter de la surface du monde social une
surréalité belle et fantasmatique, à moins que ce ne soit l’inverse.
[1]
Notons que ce dernier fait également une apparition remarquée dans 71,
un film d’une incroyable tension réalisé par Yann Demange et consacré au
conflit anglo-irlandais. On peine à comprendre comment une œuvre si intelligente (sur
cette thématique pourtant rebattue) ait pu passer à peu près complètement
inaperçu en France, et également en Grande Bretagne d’ailleurs.
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