lundi 6 mars 2017

Massacre présidentiel





        Depuis le tour de passe-passe de Chirac en 2002, l'hyperprésidence de Sarkozy et la "normalitude" de François Hollande, il était devenu habituel d'entendre que nous avions à la tête de l'Etat des gens très compétents pour prendre le pouvoir, mais forts peu capables de l'exercer. Voilà au moins un trait détestable de la vie politique française qui s'efface, puisque nous avons désormais des candidats de droite et de gauche parfaitement infoutus de conquérir le pouvoir et donc, en toute logique, de l'exercer. On objectera que François Fillon fut déjà Premier ministre. Mais servir de paillasson à Nicolas Sarkozy durant cinq ans peut-il être réellement qualifié d'expérience déterminante en termes d'exercice du pouvoir suprême? On ne le saura peut-être jamais tant son propre camp semble désormais décidé à le mettre sur la touche. Quant à Benoît Hamon, en tant que ministre de l'Education intérimaire, il n'eut même pas le temps de connaître une rentrée des classes. Pour le dire vite, il fallait juste quelqu'un pour servir de concierge rue de Grenelle, pendant la pause estivale de 2014. 

Le fait se confirme en tout cas : il y a bien une malédiction des primaires, plus terrible que celle de Toutankhamon. A gauche comme à droite, les ténors supposés ont été écartés par des électeurs mal embouchés qui n'ont adoubé que les perdants pour le match présidentiel. François Fillon et Benoît Hamon dans la course à la présidence, c'est un peu comme si vous lanciez Teddy Riner avec une jambe cassée sur un tricycle pour faire le Tour de France ou Sébastien Chabal avec des skis aux pieds dans l'épreuve de natation des Jeux Olympiques. Teddy Riner a beau être très fort, comme François Fillon semblait l'être à l'issue des primaires, si vous lui cassez une jambe et que vous le collez sur un tricycle en bas du col du Ventoux, il n'ira pas bien loin. Quant à Benoît Hamon, qui est un peu aux présidentielles ce que le T-Shirt Che Guevara est à la conscientisation politique, si vous êtes un électeur de gauche et que vous avez contribué à son intrônisation à l'issue de la primaire de gauche, vous risquez d'obtenir le même résultat qu'en propulsant Sébastien Chabal chaussé de skis dans un bassin olympique: dans les deux cas ils coulent.

On pourra dire, à la décharge des électeurs de François Fillon, qu'ils ne savaient pas forcément que leur poulain risquait de se retrouver avec la magistrature française sur le dos, dans le cadre d'une opération mani pulite à la française qu'on sent un peu (mais juste un peu) téléguidée par l'Elysée et Bercy. Les (derniers) partisans de François Fillon clament encore que les fonds qu'il a employés pour payer son épouse faisaient partie d'une enveloppe parlementaire dont l'usage est à la discrétion du député et qu'il est, de fait, très difficile de mesurer le travail d'une attachée parlementaire. Il n'y aurait donc pas réellement d'éléments permettant de faire déboucher l'instruction judiciaire sur une condamnation, le "système Fillon" ne reflètant au pire que la culture du népotisme partagée par toute la classe politique française, à droite comme à gauche. Qu'importe, l'occasion était peut-être trop belle de coller une mise en examen sur le dos d'un candidat trop estampillé "conservateur catholique" pour pouvoir être toléré plus longtemps dans la cour des grands. 

On remarque que la justice est moins diligente dans le cas d'Emmanuel Macron, accusé par les députés Christian Jacob et Philippe Vigier d'avoir détourné 120 000 euros d'argent public au bénéfice de sa campagne électorale; une accusation formulée sur la base des révélations faites par les journalistes Frédéric Says et Marion L'Hour dans leur ouvrage Dans l'enfer de Bercy (éd. J.C. Lattès)[1]: "Emmanuel Macron a utilisé à lui seul 80% de l'enveloppe annuelle des frais de représentation accordée à son ministère par le Budget. En seulement huit mois, jusqu'à sa démission en août". Dans cet ouvrage tout à fait passionnant, les deux journalistes, l'une en poste au service économique de France Inter et l'autre journaliste politique à France Culture, nous révèlent les liens très privilégiés entretenus par le ministère des Finances et la présidence de la République. De là à imaginer que l'actuel locataire de l'Elysée a adoubé le très europhile Macron et compte bien sur la crémation judiciaire de Fillon au premier tour et sur le "front républicain" au second pour faire passer Prince Vaillant aux manettes, on serait presque tentés de devenir complotistes. Bon, en ce qui concerne Benoît Hamon, pas d'inquiétude et pas de problème avec la justice, seulement une erreur de casting. Là, en revanche, on ne peut pas dire que ses électeurs n'étaient pas au courant. Comment faut-il nommer les partisans de Benoît Hamon au fait ? Les "hamonites" ? C'est pas un genre de fossile, ça ? 

                                  Mouvement des jeunes fillonistes serrant les rangs face à l'adversité

Nous voilà donc, à un mois et demi des présidentielles, face à un quarté original : en tête une Marine Le Pen et un Emmanuel Macron dont l'affrontement au second tour, s'il avait bien lieu comme tous les sondages le pronostiquent, avaliserait la mise au rencard du vieux clivage gauche-droite au profit d'une franche opposition entre boniment europhile et démagogie antilibérale, et au bas du podium François Fillon, ravalé médiatiquement au rang de candidat de la "Manif Pour Tous", et Benoît Hamon, avec sa Brigade anti-discriminations et son Revenu Universel, candidat des nostalgiques de Nuit Debout et du prêt-à-penser de la révolution libertaire. En somme, les deux candidats sociétaux, peu à peu lâchés l'un comme l'autre par leurs troupes et leur famille politique. Il n'y a pas qu'aux inaugurations de la LGV présidées par François Hollande qu'on se fait tirer dans les pattes. 

Ainsi, pendant que le duel attendu entre la France d'en bas et la France d'en haut se prépare, les seconds couteaux supposés rejouent un vieux scénario gauche-droite que les médias adorent: celui de la France réactionnaire et rance contre les partisans du progressisme éclairé ; Fillon dimanche au Trocadéro  pour lancer un appel solennel et quelque peu désespéré au peuple de droite et la gauche comme-il-faut à République pour protester contre l'appel de Fillon. Oui, mais voilà, comme le titrait Laurent Binet en 2012 dans son récit-hagiographie de la campagne de François Hollande : Rien ne se passe comme prévu[1] Voilà que François Fillon a transformé son baroud d'honneur en démonstration de force au Trocadéro. Voilà soudain que le cortège funéraire s'est transformé en sacre populaire, au grand dam des barons de la droite et des seconds couteaux qui s'entendaient déjà pour préparer la sortie du candidat Fillon. On ne se lancera pas, à ce stade, dans les prévisions hasardeuses mais une chose est sûre: François Fillon n'a pas donné l'impression qu'il était sur le départ. Il se paye même le luxe de s'offrir, en lieu et place d'un discours d'adieu, une sorte d'adoubement gaullien marqué par un discours volontaire qui, pour un peu, s'inscrirait presque dans une tradition de dénonciation, très fidèle à l'esprit des débuts de la Ve République, de la dictature des partis. C'est la seule chance qui reste à François Fillon:  jouer la carte gaullienne de l'homme providentiel, seul contre tous mais prêt à tendre la main à ceux qui dans sa famille politique se sont prononcés peut-être un peu trop vite sur sa mort politique. Face à une opinion aussi lassée de sa classe politique, le candidat des Républicains sait qu'il peut avantageusement troquer sa défroque de mis en examen contre celle de l'inflexible revenu de tout. Quelle alternative s'offre d'ailleurs sérieusement à une droite qui risquerait, en activant un illusoire plan B, de précipiter une partie de son électorat dans les bras de Marine Le Pen et d'annihiler plus sûrement encore ses dernières chances de remporter l'élection ?

Reste à savoir ce qui sortira de la réunion du Comité politique des Républicains. François Fillon semblait cependant pleinement mesurer ses atouts sur le plateau du 20h dimanche soir, affirmant avec un calme certain sa détermination et sa volonté de ne pas se laisser dicter sa conduite "par des présidents de régions et des candidats malheureux à la primaire de la droite et du centre." A ce petit jeu, Fillon est assez fort. La manière dont il avait rappelé à David Pujadas, lors du troisième débat de la primaire de droite, que les candidats et non les journalistes étaient maîtres du débat lui avait déjà permis de se démarquer de ses adversaires. Cette fois, Fillon semble être en mesure de rappeler à son propre parti qu'il reste maître du jeu en tant que candidat désigné par 4 millions de personnes, capable qui plus est de rassembler en quelques jours une foule de manifestants venue braver la pluie et la tempête judiciaire pour le soutenir. Finalement, il ne se débrouille pas si mal Teddy Riner avec son tricycle et sa jambe cassée.


Article publié sur Causeur.fr


[1]    http://www.20minutes.fr/economie/2001831-20170125-enfer-bercy-president-protectionniste-heurterait-mur-obstacles-bercy
[2]     http://www.liberation.fr/apps/2017/03/compteur-lacheurs-fillon/
[3]     Laurent Binet. Rien ne se passe comme prévu. Librairie Générale Française. Le Livre de poche. 2013

2 commentaires:

  1. "On objectera que François Fillon fut déjà Premier ministre. Mais servir de paillasson à Nicolas Sarkozy durant cinq ans peut-il être réellement qualifié d'expérience déterminante en termes d'exercice du pouvoir suprême"

    On se rend compte ce que cette phrase signifie ? Elle est aussi vraie que triste... Certains sont prêt à voter pour un type qui aura été rien d'autre qu'un paillasson, personne ne se souvient même qu'il fut premier ministre de la France pendant 5 ans.

    RépondreSupprimer
  2. La mémoire politique de l'électorat est courte. C'est un phénomène inhérent aux systèmes représentatifs sur lequel tablent toujours les politiques. Ou peut-être Sarko poussa-t-il si loin la logique "hyperprésidentielle" que la fonction ministérielle de Fillon fut dès le départ occultée.

    RépondreSupprimer