samedi 8 mai 2021

Portrait imaginaire : un antimoderne par temps de peste

 

 


 

Seule une tératologie, peut-être, pourrait rendre compte de l’époque et de ces protagonistes tant leurs gueules qui se croisent et se ressemblent sont abominables. Ce ne sont pas en tous cas les mois d’épidémie qui contrediront cette hypothèse puisqu’elle aura été l’occasion de découvrir quelques beaux spécimens de monstres, et parmi ceux-là le monstre antimoderne, moitié beauf à la Cabu moitié Festivus, qui s’est révélé être l’un des  plus hideux : récalcitrant à la moindre autorité, acharné à faire la fête ou à la promouvoir, à transgresser tout ce qu’il pouvait transgresser, révélant par là qu’il n’a pas choisi le camp des vaincus par idéal, ou parce que son tempérament justement s’y accorde, mais parce qu’au fond il est un transgresseur, un enfant de l’époque, qui dit « non » pour tester sa puissance et qui aurait pu dire non à tout y compris, pour peu d’être né en face, à ce qu’il défend censément –  ce qu’il fait d’ailleurs actuellement et, tant pis pour le pléonasme, en acte.

Sans honte ni remords, sans mauvaise conscience à maquiller, il se fout de tout et de tous, convaincu comme le gauchiste, son rival mimétique, d’appartenir au camp du Bien et avide de se distraire. À peine devine-t-on que ce qui l’a surtout dérangé durant cette plaie centennale, c’est sa longueur, l’ennui auquel elle l’a  contraint et le fait qu’il ait été obligé de renoncer à profiter un maximum. On aurait pu imaginer qu’il trouve là la confirmation de ses valeurs : la nécessité de protéger les plus faibles, le sacrifice de l’individu au bénéfice de la communauté, la joie de servir le bien commun, sans même parler de la nécessité des frontières, et qu’il se fasse le promoteur bruyant d’une morale antimoderne désormais démontrée par les faits. On craignait l’inquisiteur dont il aime prendre la pose : il nous a offert le spectacle d’un adolescent mal élevé, ingrat, et hypnotisé par son nombril, frondant les limites en bon soldat libéral-libertaire ; c’est qu’il y a peu de plaisir à cesser de faire semblant, peu d’intérêt à la rigueur, à l’honnêteté, on ne gagne rien à abandonner le paraître pour l’être, et puis à quoi bon se sacrifier, humblement et sans panache, quand on demande à tout le monde de le faire  et que l’on peut continuer tranquillement à dissoner en meute tandis que d’autres se cassent le cul à notre place ?

« Même pas peur de la mort ! » Scande-t-il entre deux claquages de bises et deux apéros nécessaires à maintenir selon lui cette convivialité prétendument traditionnelle, dernière soupape psychologique d’une jeunesse vitrifiée dans la jouissance, étrangère à la moindre forme d’introspection, son moyen à lui d’être sanitaire à la façon d’une « soirée médecine ».  Plutôt : « Même pas peur de la mort des autres ! », parce que soyons honnêtes, notre ami se serait terré en rampant dans le tréfonds d’une cave si le virus l’avait menacé ne serait-ce qu’à la puissance avec laquelle il menace les vieux, les gros, les malades, les trisomiques, les « déchets » d’une société toute entière tournée vers la performance et qui, comme lui, pense la vie en rapport qualité/prix. Il  se serait fait troglodyte et non grande gueule. C’est toujours commode d’afficher des valeurs quand on n’a pas à les prouver et d’avoir du courage sur le dos des autres. Oh ! Bien sûr, sa qualité de proscrit, de réprouvé, ou je ne sais encore de quel nom dont il aime s’affubler, suffirait à démonter mes propos, me dit-on. Il est rebelle, à contre-courant, persécuté, antimoderne comme il le beugle à qui veut l’entendre, mais il est surtout d’un camp, d’un groupe, d’une meute, et si celle-ci n’a pas encore la faveur de dominer c’est parce que le monde est ainsi fait, et que si le vent tourne à son avantage, il vient de nous prouver par son exemple qu’il ne représentait certainement pas, du point de vue de la qualité, une alternative :  rebelle en bande, il suit le courant de son camp,  et ne s’en laisse pas compter par qui l’empêche de faire la fête, ce qui promet un bon potentiel de persécuteur. On attendait de lui l’héroïsme et l’abnégation, il a été prolixe en sophismes susceptibles de lui permettre de continuer à profiter en toute bonne conscience, et aussi, ce qui revient au même, en slogans et bons mots, qu’il a par ailleurs tendance à confondre avec la littérature, prétextant la légèreté contre le cul de plomb. Il peut se féliciter, léger il l’aura été à tous les niveaux, sans gravité ni profondeur, voué au vent de son appétit, fake, un corps libre de toutes convictions, de toutes souffrances spirituelles, qui refuse la contrariété qui nous grandit et nous élève au-dessus de notre misérable petit « moi », un ectoplasme dans des chairs mortes, un zombie, le monstre d’une époque abominable.

 


 

 

 Commandez le dernier numéro d'Idiocratie !


https://www.helloasso.com/associations/idiocratie/paiements/idiocratie-numero-moins-deux

                                     

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire