vendredi 27 mai 2022

Pétales pour une fleur de lys d'or

 


Quel beau titre !  Sachant que les pétales volent et se dispersent au vent pour rassembler dans le ciel invisible, et dans les cœurs secrets, la fleur royale et hermétique du lys d’or. Ainsi nommé, le dernier essai de Baptiste Rappin quitte les territoires balisés de la théorie critique du management pour emprunter les chemins de traverse qui ne mènent nulle part – dans ces lieux qui ne peuvent pas être cartographiés par le système. La forme est menue, à peine 72 pages, et la présentation aérée puisque se succèdent les aphorismes, les scolies et les citations. Une série de fragments poético-politiques qui, sciemment, se détournent de l’argumentaire logico-rationnel.

Il n’empêche que le contenu est dense puisqu’il s’agit de mettre à jour les fondements ou plutôt les non-fondements de la société industrielle pour lui opposer, à partir de la figure symbolique du roi qui vient, la possibilité d’une autre liaison au monde, d’une autre fondation de l’être-en-commun. Pour ce faire, l’auteur parvient à convoquer tous les grands penseurs et visionnaires de notre temps (Anders, Baudrillard, Debord, Legendre, Benjamin, etc.) pour dresser le diagnostic implacable de la Grande Parodie, du Simulacre générale, bref, du monde d’après la Catastrophe. Aussi, le recours à la tradition est-il devenu un pis-aller auquel seuls certains conservateurs, réactionnaires ou autres traditionalistes feignent encore de s’accrocher pour ne pas s’avouer vaincus. La caractéristique principale de la société industrielle, prélude à l’utopie cybernétique, est justement de rompre toutes les attaches, c’est-à-dire de déconstruire toutes les instances normatives et symboliques qui ont permis à une communauté d’élever une digue – une civilisation – face aux pulsions destructrices de l’homme. C’est l’occasion de rappeler qu’une partie de la gauche radicale se berce également d’illusion en promouvant à tous crins la « destitution du monde ». Pardieu, le capitalisme s’en charge très bien, merci pour lui ! 



A travers des textes courts et impétueux, c’est toute l’architecture de la société techno-capitaliste qui se dévoile : la toile du Réseau (contre la symbolique de l’Arbre), la programmation du réel (contre la proportion des mondes), la transparence spectaculaire (contre les mystères hermétiques), l’Immédiation (contre la Médiation), etc. Et l’homme qui en résulte : une matière biomécanique jetée dans une réalité simulée et un temps objectivé pour devenir une ressource exploitable. « Bref, pour exister, il faut être une matière première : être, c’est "être-matière-première" – telle est la thèse métaphysique fondamentale de l’industrialisme » écrit Gunther Anders.

Seulement, il y a encore les pétales… Et Baptiste Rappin d’évoquer avec bonheur la figure du « Roi qui vient » pour rappeler qu’au fond de l’être, à l’état poétique, gît le corps ancestral et se tient, haute, secrète, la figure du Revenant. Ce Roi n’est plus souverain de rien, héritier de personne, il est au contraire l’acte par lequel la puissance se vide (kénose), la langue qui porte l’invisible (analogie), l’« Incompétent qui inaugure la politique du Rien ». Ainsi, le lys d’or brûle le cœur des Sans-Roi, comme le prédisait Henry Montaigu :

 

                            « Le Roi est le Soi

                            Et ce n’est pas ailleurs qu’en toi-même

                            Que doit d’abord être restaurée

                            L’universelle Monarchie »

 





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire