lundi 3 octobre 2022

Raoul Vaneigem, une politique sans royaume

 



         Adeline Baldacchino a repris les rênes de l’excellente collection «Le bien commun » (Michalon) fondé par le juriste Antoine Garapon, et ouvre en quelque sorte le bal avec la parution de son propre ouvrage consacré à Raoul Vaneigem. Les fondamentaux de la collection sont amplement respectés : clarté du plan, fluidité du propos et synthèse d’une pensée à partir d’un thème central, d’où le titre : « Une politique de la joie » - l’on verra que le titre est trop beau, malheureusement, pour être vrai.

En tous les cas, nous plongeons dans l’ouvrage avec d’autant plus de curiosité que le nom de Vaneigem a souvent été croisé au fil des lectures, notamment aux côtés de penseurs atypiques de la gauche radicale, sans que nous n’ayons eu l’occasion de l’explorer plus avant. C’est d’ailleurs l’un des avantages de cette collection : introduire à une pensée et faire découvrir un auteur. En l’occurrence, Baldacchino fait tout pour nous rendre sympathique un homme qui, issu d’une famille ouvrière et communiste du bassin industriel de Hainaut (Belgique), étudie la philologie romane, devient professeur, contacte Henri Lefebvre et rencontre Guy Debord avec lequel il participera activement à l’aventure situationniste. Et elle y parvient sans mal : avec son tempérament anarchiste, Vaneigem apparaît comme une sorte d’esthète réfractaire qui cherche à concilier révolution et poésie pour faire de la vie une expérience créatrice au quotidien. 

 

 

La parution en 1967 du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations constitue avec La société du spectacle la Bible du situationnisme et forge les esprits pour la révolte de mai 68. La suite est plus chaotique tant les guerres prichocholines que se livrent les situ, entre la rédaction de tracts bien sentis et des beuveries sans nom, plongent le mouvement dans l’apathie. Guy Debord, excommunicateur en chef, est encore proche de Vaneigem avant que ce dernier, fatigué des frasques du mentor, s’en éloigne inéluctablement. L’on regrettera que Baldacchino, si elle nous restitue bien l’ambiance cafardeuse de ces années, n’explore pas davantage le contenu du Traité qui demeure le livre le plus important de Vaneigem.  

Car après, tout de même, pas grand-chose, et cela a été une surprise (pour nous) de découvrir un Vaneigem qui ne brille guère ni par son originalité ni par son style. Ainsi, le gauchiste révolutionnaire cède la place au gauchiste raisonnable. La critique de la marchandisation de l’homme demeure mais la violence est remisée au placard des vieilleries tandis que certaines outrances idéologiques, dont le féminisme, sont âprement dénoncées. On comprend aisément cette critique de la radicalité pour la radicalité mais elle relève davantage de l’introspection psychologique que de la prospection idéologique. D’autant plus que Vaneigem n’abandonne pas certains de ses réflexes de jeunesse dont la critique virulente de la religion comprise comme la matrice de toutes les dominations. C’est un peu court, comme le remarque justement Baldacchino en rappelant les liens qui existent entre la mystique et l’anarchisme. 

 


Le dernier Vaneigem est toujours aussi sympathique dans son ode à la vie, à l’amour et à la nature, et l’on irait volontiers trinquer au bistrot avec lui après une manifestation des Gilets jaunes (qu’il a soutenu activement). Mais, en terme de pensée, nous sommes très loin du situationnisme ; les derniers ouvrages déplient péniblement le catalogue des recettes d’une écologie de gauche : démocratie directe, autogestion, nouvelle pédagogie, appel à la gratuité, etc. Le tout enrobé d’une forme d’irénisme avec, notamment, la proposition d’une Internationale du genre humain et de ses 58 droits ! Le dernier Vaneigem se résume en une formule : « La générosité humaine est notre pierre de touche ».

Aussi nous terminerons avec la très belle citation de Thoreau qui ouvre l’ouvrage : « Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n’est pas vain ; c’est là qu’ils doivent être. A présent, donnez-leur des fondations », en précisant que ce n’est certainement pas avec la politique hédoniste du quotidien proposé par Vaneigem que nous y parviendrons. 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire