jeudi 8 août 2013

Pathetic Rim

                Pendant que certains Idiots se la coulent douce à Binic en écoutant du blues et en buvant de la bière tiède, d’autres s’offrent la dernière bouse de l’été pour profiter de la clim’ dans une salle de cinéma pendant au moins 2h30. A douze euros la place, ça fait quand même cher pour un bol de fraîcheur accompagné d’un gros hamburger hollywoodien en 3D.



Prévenons tout de suite les éventuels lecteurs de cette chronique que son rédacteur est un triste réac qui n’a jamais été impressionné par les prouesses techniques de la 3D ni capable d’apprécier les niaiseries surévaluées d’Avatar, alors qu’il écrase une larme à la dérobée à chaque fois qu’il revoit une Histoire sans fin, reste encore bouche bée devant Ray Harryhausen et a toujours l’audace d’exiger d’un film à grand spectacle qu’il soit impressionnant tout en restant drôle, éventuellement émouvant et doté de personnages attachants comme CJ dans Dawn of the dead, Wikus dans District 9 ou Falcor, le dragon porte-bonheur (bon ok j’arrête avec l’Histoire sans fin).

Hello, i'm Wikus!

Disons-le tout de suite, Pacific Rim ne possède aucune des qualités susnommées hormis des scènes d’actions et des effets spéciaux suffisamment impressionnants pour renvoyer James Cameron (Avatar, avec ses GI Joe dans des caisses à savon couleur treillis qui affrontent des schtroumpfs de 2m40) et Michael Bay (Transformers, détenteur éternel du titre de film de série Z le plus con et le plus cher de l’histoire du cinéma) à leur ardoise magique. Quand un jaeger (le nom donné aux robots géants pilotés par les humains dans Pacific Rim) de la taille de l’Empire State Building colle une tartine de phalanges ou une poutrelle à un kaiju (les über-godzilla extraterrestres), la mandale est cosmique et la salle est estomaquée. Ajoutez à cela un doigt de steampunk, une touche d’Evangelion et un zeste de Macross et vous obtenez un produit tout à fait susceptible de faucher une génération entière en pleine puberté, ainsi que tous ses aînés qui, encore plongés dans l’infantilisme et l’adolescence attardée.



En revanche, passés les excipients et les colorants artificiels, les autres ingrédients de Pacific Rim semblent cruellement dénués de saveur, à commencer par les personnages, tous aussi cons qu’une boite à outils. Une fois de plus, je me dois ici d’être clair. Je suis bien conscient qu’un spectateur lambda qui se laisse séduire par les sirènes (d’alerte) de Pacific Rim ne devrait pas avoir la naïveté d’être trop exigeant en ce qui concerne le scénario et les personnages du film. Bien sûr, j’ai entendu les mises en garde des amis cinéphiles (« Pacific Rim ? Mais qu’est-ce qui te prend d’aller voir cette daube ? ») que j’ai superbement ignorées, considérant qu’un jaeger qui marche va beaucoup plus loin et plus vite qu’un amateur de Béla Tarr assis. Mais quand même ! (comme dirait Manuel Valls). J’avais apprécié dans les précédents films de Del Toro (Le labyrinthe de Pan et même les HellboyI & II) l’inventivité et la fantaisie du cinéaste et, souvent, l’originalité des personnages et la drôlerie des dialogues. Avec Pacific Rim, il faut bien reconnaître que ces qualités se sont diluées dans le chaudron à blockbuster hollywoodien. Le personnage principal, incarné par un Charlie Hunman aussi expressif qu’un roulement à bille et doté d’autant de personnalité qu’une chambre à air, n’est qu’une énième version du stéréotype lassant du bellâtre au lourd passé, rejoué cent fois au moins depuis Patrick Swayze et le Bodhi de PointBreak. Au programme donc, tablettes de chocolat, regard d’acier et menton carré, amitié virile, héroïsme ou inconscience et musique assourdissante. 



Après avoir perdu son frère dans un combat de trop contre un kaiju qui constitue l’introduction pétaradante de Pacific Rim, notre héros abandonne les robots géants et va traîner sa bogossitude désoeuvrée sur les chantiers en s’engageant dans le bâtiment. C’est là que le retrouve l'admirable général Pentecost (Idris Elba, admirable) qui lui remet la main dessus (juste avant que Jean-Paul Gaultier ne lui propose de l’embaucher pour défiler en pompier dans sa prochaine publicité). Le général Penthouse (Idris Elba, magnifique) lui adresse donc un court laïus patriotique et le convainc de reprendre les commandes de son ancien robot, le Gipsy Danger, qu'on traduira par Menace Manouche [1], en choisissant un nouvel équipier.
En l’occurrence ce sera une nouvelle équipière, une jolie japonaise timide (Mako Mori, timide), jeune protégée du capitaine Pantacourt (Idris Elba, incroyable) qui tombe immédiatement amoureuse des tablettes de chocolat du héros qu’elle observe à la dérobée par l’œilleton de sa cabine parce que les Japonais sont des gens très réservés et très polis. Les japonais, comme chacun sait, sont aussi très forts en karaté. La séduisante jeune femme, caution féminine et ethnique du film, réussit donc à convaincre le capitaine Pentéstostérone (Idris Elba, merveilleux) qu’elle possède tous les atouts pour devenir la coéquipière du gentil héros en démontrant qu’elle est aussi forte que les mecs à la bagarre, même si elle reste en toute occasion polie et réservée. 

Mako Mori, timide mais très forte à la bagarre.

Après avoir longuement hésité, le capitaine Panzani (Idris Elba, époustouflant), qui a recueilli des années auparavant la petite japonaise esseulée après avoir transformé le kaiju qui attaquait sa ville natale en plat d’épinards sans branche (Idris Elba, toujours fantastique, sort de son robot auréolé de soleil et accompagné par les violons langoureux d’un orchestre symphonique jouant une version martiale des Chariots de feu, une des scènes les plus ridicules du film mais passons), décide de la laisser faire équipe avec son bellâtre à tête de surfeur. Afin de sceller cette grave décision, le capitaine Pantera (Idris Elba, émouvant), après avoir hésité et minaudé pendant trois quarts d’heures et avoir bassiné sa protégée (et nous avec) au sujet de sa dangereuse instabilité émotionnelle, qui peut à tout moment compromettre sa mission, sa vie et celle de son coéquipier, ne trouve rien de mieux à faire que de remettre à la pauvrette sa petite chaussure rouge qu’elle avait malencontreusement égarée le jour où elle a été recueillie après que toute sa famille et sa ville natale aient été réduites en miettes par un lézard de cinquante mètres de haut. Le capitaine Pandatagueul (Idris Elba, qui n’a pas inventé l’eau chaude) est peut-être capable de faire de beaux discours en combi moulante, juché sur un chariot élévateur ou un pied de robot mais en matière de finesse psychologique, il ne faut pas trop lui en demander.
Il est important de préciser ici rapidement que les jaegers, ces robots géants qui servent donc à poutrer des lézards géants venus des mers par une faille dimensionnelle au fond des océans (voilà pour le scénario, ça c’est fait), sont trop complexes et énormes pour être contrôlés par un seul pilote. Il est donc nécessaire de réunir deux têtes brûlées dont les petites cervelles sont à la fois reliées entre elles et au robot par quelque miracle de la cybertechnologie pour en contrôler les mouvements. Ce qui signifie que les pilotes mêlent leurs souvenirs et leurs pensées au moment où ils se connectent de concert au jaeger et que la jeune et timide Mako Mori pourra ainsi avoir l’occasion de découvrir des souvenirs de Charlie Hunman raide bourré avec un string éléphant et les fesses peintes en bleu lors du dernier spring break à Cancùn ou quelques fantasmes pas piqués des vers dans lesquels elle aurait l’honneur de figurer en train de s'amuser avec de la nourriture. Mais je m’égare et il n’était certainement pas question d’évoquer cet aspect des choses et des possibilités offertes par la « dérive » (nom donné au processus de connexion-fusion des esprits des deux pilotes au robot) dans un film à 200 millions de dollars.
Passons rapidement sur le reste des personnages qui sont représentés par les équipages des trois autres jaegers : soit un couple de russes peroxydés tout droit sortis d’un film d’Uwe Böll, trois triplés chinois qu’on aperçoit brièvement faisant du basket en arrière-plan et une sorte de fermier bourru et son fils demeuré qui pilotent le robot australien. Car, précisons-le, Pacific Rim présente une géopolitique tout à fait limpide : le vieux jaeger américain, dans lequel on ne croyait plus, finit par reprendre du service pour sauver le monde, le jaeger australien, vague évocation de l’allié anglais à travers le bouledogue qui sert de mascotte à l’équipage, joue honnêtement les seconds rôles, le jaeger russe, qui se prénomme « Cherno Alpha » et possède en effet une tête en forme de centrale nucléaire, livre un combat honnête avant d’être mis hors service et le jaeger chinois, une sorte de motoculteur géant avec trois bras en forme de débroussailleuses, fait à peine de la figuration avant de se faire ouvrir comme une boîte de thon pour permettre à un kaiju de croquer les triplés comme des saucisses apéritifs. Evidemment, il n’y a pas de jaeger européen. C’est dommage, je trouve qu’un robot allemand prénommé « Jaegermeister », ça aurait bien sonné (ça aussi c’est fait).



Concluons brièvement : il fut un temps où les capacités techniques déployées dans un film comptaient moins que l’inventivité et les capacités d’évocation démontrées par l’équipe de tournage et le réalisateur. Aujourd’hui, toute critique formulée à l’encontre d’un navet comme Pacific Rim se doit d’être balayée, semble-t-il, par l’argument massue de la prouesse technologique, capable de tout excuser, scénario indigent et désespérément prévisible, acteurs nuls, mise en scène scolaire, un peu comme si l’on se devait d’écouter béatement les solos interminables de Joe Satriani en raison de la maîtrise technique dont il fait indéniablement et pesamment la démonstration dès qu’il touche une guitare ou s’extasier devant un aigle peint à l’aérographe sur le capot d’une Fuego parce que ben ouah c’est trop bien fait quoi.
Avec Pacific Rim, Del Toro pousse les capacités techniques de la 3D plus loin que jamais et livre des scènes d’actions toujours plus grandiloquentes et époustouflantes, certes, mais il ne fait aussi que rajouter un titre de plus à la liste de plus en plus longue des navets dispendieux, mélangeant bluette et patriotisme à gros flonflons, qui ont pour fonction de rassurer les Etats-Unis sur leurs capacités d’hyperleaders du monde libre. J’ajouterai qu’en termes d’action, les empoignades titanesques de Pacific Rim sont gentiment reléguées au placard en neuf petites minutes par le dynamisme et l’inventivité graphique de la scène d’action centrale de District9 tandis qu’en matière de bluette, excusez-moi mais je repars écraser une larme devant l’Histoire sans fin



[1] ou encore, suivant l'excellente critique de l'Odieux Connard, le Danger Rabouin....

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