dimanche 2 avril 2017

Simulacre présidentiel



« Nous sommes en démocratie et Monsieur-Tout-Le-Monde est à présent monarque (…) plus misérable que jamais, que l’on fesse, en lui jurant qu’il est le maître (…) » Albert Caraco



En 1991, Jean Baudrillard constatait dans un livre volontiers provocateur que la guerre du Golfe n’avait pas eu lieu. Le déferlement d’images s’était finalement emparé de la réalité pour en constituer une simulation parfaite. Par la suite, le jeu des montages multiples et des commentaires incessants avaient fini par déformer la simulation elle-même pour atteindre le stade du simulacre, soit la représentation fantasmatique d’une réalité seulement entrevue par le filtre des médias. On peut se demander aujourd’hui si l’élection présidentielle ne subit pas le même processus de déréalisation avancée : va-t-elle seulement avoir lieu ? Comme la guerre du Golfe auparavant, elle se déroule sous les yeux médusés de citoyens-spectateurs à qui l’on demande quotidiennement, par sondages interposés, d’en commenter les soubresauts. Ce n’est plus une élection démocratique mais un feuilleton tragico-comique : les programmes politiques se sont rapidement effacés derrière les querelles de personnes, les vagues d’émotions ont envahi l’espace public au détriment des discours rationnels, les journalistes se sont repus des affaires judiciaires avec un plaisir à peine dissimulé et les réseaux sociaux ont déversé leur bile mi-sarcastique mi-haineuse sur ce qui restait de la dignité du personnel politique. Bref, l’élection s’apparente à un jeu de massacre. Il ne restera plus à la fin que le candidat qui a réussi à traverser toutes les épreuves sans trop de dommages. Il sera lessivé, littéralement vidé, mais adoubé par les foules médiatiques.
A son époque, Jean Baudrillard considérait Disneyland comme un lieu hyperréel qui, en simulant le mode de vie américain, donnait au sujet l’impression de se mouvoir dans un monde imaginaire dans lequel tout le monde jouait. A la fin de la journée, il y avait pourtant une caisse qui enregistrait les profits et des employés qui indiquaient la sortie pour retourner au monde réel. Par analogie, on peut également considérer l’élection présidentielle comme un événement qui ne cesse de se déployer dans l’espace virtuel jusqu’à saturer toute tentative de décryptage. Les électeurs s’y promènent avec plus ou moins d’intérêts comme dans un parc d’attraction démocratique, essayant ici et là de gagner quelques points de citoyenneté. Espérons seulement qu’à la fin de la journée, c’est-à-dire au lendemain de l’élection présidentielle, le retour à la réalité ne soit pas trop amer ni la facture élective trop élevée.
A cette simulation qui tourne au simulacre, il semble que les plus hautes instances de l’Etat se soient déjà préparées en coulisse pour en dénoncer par avance l’illusion. Ainsi, le président le moins légitime de l’histoire de la Cinquième a déjà fait savoir qu’il ferait don de son corps pour en empêcher le dénouement si jamais les résultats contrevenaient aux sacrosaints principes républicains, par ailleurs piétinés allègrement. « J’ai encore à faire pour éviter que le populisme, le nationalisme, l’extrémisme ne puissent l’emporter, y compris dans mon propre pays » a-t-il prononcé énigmatiquement lors de la conférence de Singapour. Certains journalistes ont avancé que le Premier ministre lui-même n’aurait « aucunement l’intention de déserter le front de Matignon au cas où Marine Le Pen emporterait la présidentielle » – interprétation démentie par Matignon. Dans une parodie de démocratie, quelles que soient les intentions des uns des autres, il ne serait pas surprenant que la volonté du peuple soit une nouvelle fois bafouée. On connaît la sentence de Bertolt Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple » ; ne reste plus qu’à la mettre en pratique. 





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