dimanche 16 septembre 2018

J'irai pisser sur Paris



Du génie. Comment qualifier autrement la vidéo financée par la Mairie de Paris pour promouvoir la propreté dans les rues de la capitale ? On savait que les déjections canines étaient devenues un combat emblématique de la ville de Paris depuis les célèbres motocrottes de Jacques Chirac en 1982. Mais après les chiens, Anne Hidalgo fait de l'éducation à la propreté des maîtres une nouvelle priorité de son mandat et l'équipe municipale ne manque pas d'imagination pour se montrer la plus innovante possible quand il s'agit de faire de la voie publique parisienne un temple de l'asepsie propre à faire pleurer de bonheur le plus hygiéniste des touristes scandinaves. Pourtant, face à la persistante et incontinente incivilité des parisiens, le défi semble impossible à relever. Entre les sorties de concert, les sorties de boîtes, les soirées étudiantes, la bière qui coule à flot, les vécés bouchés dans les bars ou squattés par les gens qui n'en finissent pas de vomir, les types bourrés qui pissent sur les murs, les filles pressées qui se soulagent entre deux bagnoles et les chiens qui profitent du chaos général pour lancer une nouvelle offensive urinaire, Paris s'éveille toujours au petit matin avec des airs d'écurie d'Augias et ça, Jacques Dutronc n'en parle jamais dans sa chanson. Fluctuat Nec Mergitur s'est cependant répété Anne Hidalgo en relevant le gant Mapa de la lutte pour l'assainissement de la voirie. Paris aura beau être battue par les flots de l'urine, elle ne sombrera pas.
Après avoir dégainé les uritrottoirs (des pots de fleurs équipés d'une pissotière et d'un bac à compost installés sur les quais de Seine), la mairie de Paris se lance dans la com' décalée sur le pipi citoyen. Enfin, décalée... En faisant appel aux services de la youtubeuse Swann Larrissé pour réaliser une pastille vidéo intitulée « Pas pipi dans Paris », la mairie a sans doute cru miser sur l'humour et le second degré pour appeler ses administrés à plus de tenue dans les rues de la capitale. Le résultat est effarant. En compagnie de deux-trois figurants très bon chic-bon genre, dont on doute fort qu'ils soient en mesure de personnifier le cœur de cible du clip, Swann Larrissé, vêtue d'une robe en papier toilette jaune, se trémousse sur une électro poussive ânonnant un refrain niaiseux : « Je dis merci, un grand et sincère merci à ceux qui ne font pas pipi, pipi dans Paris. » La cause est noble, certes, mais le message est trouble. Avec cette comptine sur l'incontinence, la mairie de Paris a expliqué au journal Libération vouloir « sensibiliser des publics plus jeunes moins touchés par les canaux de communication traditionnels […] grâce à l’humour ». Pour y parvenir, la municipalité a payé quelques humoristes pour faire caca dans Youtube. Objectif atteint : si « Pas pipi dans Paris » réussit quelque chose, c'est illustrer à la perfection l'expression « être à côté de la plaque ». Le clip coche toutes les cases : c'est si peu drôle qu'on est gêné pour les interprètes, c'est prétentieux, faussement décalé, mauvais et interminable. Les auteurs sont tellement soucieux de démontrer leur maîtrise du second degré que le clip est une parodie de lui-même qui a d'ores et déjà trouvé une place de choix au panthéon du ringard et de la branquitude. Itwas acceptable in the eighties chantait Calvin Harris en 2006 mais même dans les années 80, produire une chose comme « Pas pipi dans Paris » n'aurait pas forcément été acceptable, en utilisant l'argent public de surcroît. 
Encore les années 80 avaient-elles à leur crédit une certaine naïveté et une certaine innocence qui transparaissaient dans la production alors balbutiante des clips musicaux. Avec cette vidéo qui heureusement n'aura coûté que 6500 euros, ce qui est déjà cher payé, la mairie de Paris démontre avec une étincelante médiocrité qu'elle a perdu depuis longtemps, si elle l'a jamais eue, la faculté de s'adresser aux habitants de Paris. Sait-elle d'ailleurs encore à quoi ressemble un habitant de Paris ? A regarder cette caricature débilitante maladroitement dissimulée derrière une ironie lourdingue, on prend la mesure du fossé qui s'est creusé entre la réalité et les « gens dans le coup » dont l'humour lessivé au politiquement correct est plus triste qu'une sanisette un lendemain de coupe du monde. Du moins la mairie de Paris, après avoir emprunté le concept de l'uritrottoir à la ville de Nantes, peut-elle espérer faire à son tour des émules dans les autres métropoles de France. On s'attend donc, pourquoi pas, à voir Alain Juppé s'inspirer de l'initiative en finançant la réalisation de « Pas popo dans Bordeaux » ou la région Normandie lancer le futur tube de l'été 2019 avec « Pas caca à Étretat ».




Epilogue:

Quand on est prolétaire, 
Et qu'on a pas de pognon
On va pisser dans l'eau, 
Et ça nous fait des ronds,



Egalement publié sur Causeur

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