"Nous roulerons unis dans les ténèbres sans retour et le puits d'ombre nous accueillera, nous et nos dieux absurdes, nous et nos valeurs criminelles, nous et nos espèces ridicules."
Albert Caraco. Bréviaire du chaos. L'Age d'Homme. 1999
Voilà un bien intéressant cliché qui nous montre que l’esprit de la fête
et l’amour du vivre-ensemble ne sont pas restés lettre morte dans notre
beau pays en dépit des efforts de MM. Les Censeurs pour déclarer la joie de
vivre hors-la-loi. Mais quel est cet endroit et qui sont ces gens ? Des
participants de la dernière édition de Solidays ?
Le fan-club d’Exploited en tournée
mondiale dans la Sarthe ? La faune interlope d’un rassemblement de musique
électronique à vocation festive ?A
défaut de le savoir, on peut toujours essayer de l’imaginer.
En partant de
la gauche, juste derrière l'épaule du débile qui fait le macaque, Olaf, un
jeune fasciste scandinave, arrive d'un bon pas, de très bonne humeur. Il s'est
levé à 6h, a fait ses 50 pompes et ses 200 abdos matinaux, s'est régalé d'un
grand verre de jus d'orange et d'un oeuf mollet, il est en pleine possession de
ses moyens, a l'esprit clair et s'apprête à défoncer la gueule de ces deux
déchets qui se sont invités on ne sait comment dans cette 8e édition de la
Danish White Supremacist Pride.
Juste au-dessus de la tête du débile de gauche
toujours, on remarque Pierre-Emmanuel, 18 ans, jeune étudiant en révolte contre
son milieu familial et en légère surcharge pondérale. Ces parents continuent à
le faire suivre par un pédopsychiatre pour ce problème mais aujourd'hui
Pierre-Emmanuel s'en fout. Il vient de gober coup sur coup un double panoramix
et un dragon noir. Il est bien, il kiffe trop le son, il ne sent plus la
fatigue, ni la sueur, ni le froid mais seulement la transe. Il n'y a plus que
lui et la musique. Dans deux minutes et 23 secondes, Pierre-Emmanuel va être
victime d'une embolie cérébrale qui le plongera dans un coma de six mois dont
il se réveillera hémiplégique et plus complexé, nul et naze que jamais.
A droite de Pierre-Emmanuel, encore un peu en
arrière-plan, portant un T-Shirt blanc et un short bleu, presqu'au centre de
l'image, un autre homme s'apprête à sombrer. Il s'appelle Jean-Marc, il a 55
ans et il en a marre. Tenu éveillé depuis plus de 48 heures par le chaos sonore
incessant vomi par les enceintes, il est à bout de nerfs et arpente depuis le
début de l'après-midi le teknival qui s'est installé depuis trois jours dans le
champ juste en face de la maison dont il risque d'être exproprié au printemps
prochain, à cause du nouveau tracé du TGV. Lui aussi, un peu comme
Pierre-Emmanuel, est un peu au-dessus de tout ça. En revanche, Jean-Marc n'a
pas consommé de drogues mais une quantité impressionnante de tranquilisants
qui, mêlés aux litres de café qu'il ne cesse d'ingurgiter, forment un mélange
détonnant. Il a décidé de mettre un terme à tout cela. Dans deux minutes, il va
s'emparer du Manhurin 9 mm qu'il cache sous son T-Shirt et tirer au jugé dans
la foule, tuant trois personnes, en blessant gravement deux avant de retourner
son arme contre lui. La balle qui devait atteindre Pierre-Emmanuel, le manquera
de peu, passant au dessus de son crâne au moment où il s'effondrera dans la
boue, victime d'un malaise cardiaque, pour aller se loger dans la tête de
Peutri, le débile de gauche qui n'aura pas le temps de comprendre ce qui lui
arrive mais qui de toute façon n'a jamais été foutu de comprendre quoi que ce
soit depuis qu'il est né.
Toujours plus à droite, au-dessus de l'épaule
gauche de Krevar, le vieux punk à crête rose qui paraît avoir 50 ans et qui en
a en réalité 30, Jean-Patrice et Hervé trottinent gaiement du même pas pour
aller s'enfiler dans les bois.