lundi 26 novembre 2012

Mariage homosexuel : le désir et l'ordre




       Le mariage homosexuel provoque davantage de remous que ne l’escomptaient le président Hollande et son Premier ministre Ayrault. Ne s’agissait-il pas d’envelopper le tournant néo-libéral de la gauche dans une réforme sociétale en phase avec les progrès de l’histoire ? Et de montrer une fois de plus, s’il n’était besoin, que le diagnostic de Jean-Claude Michéa est entièrement vérifié : l’ouverture culturelle (libertaire) comme alibi et complément de l’ouverture économique (libéral), le tout se résolvant dans une marchandisation de tous les segments de la société et de l’être. 

         La réforme dite du mariage homosexuel appartient, bien sûr, à ce logiciel libéral-libertaire : promouvoir l’égalité de tous – comprendre l’arasement de tout ce qui dépasse de l’homo consumans – au nom d’une marchandisation généralisée de la société. Mais nous voudrions mettre l’accent sur un autre aspect de cette réforme : l’aspect strictement juridique. L’on sait que le Droit, depuis une dizaine d’années, a quasiment remplacé la Loi, puisqu’il vient souffler au législateur – faut-il rappeler que celui-ci est l’émanation du Peuple – les normes dont il doit se saisir. Et ce, en raison, des poussées sociétales qui contraignent l’organisation sociale et qui finissent par bousculer l’ordre étatique. L’Etat n’est plus ce « gros animal » ou ce « monstre froid », autrefois décrié par les philosophes, mais une machinerie informe dont les rouages s’étendent partout, sans âme directrice.

            Revenons-en aux faits : quelle est la situation, aujourd’hui, en France ? Il existe déjà plusieurs couples homosexuels qui ont pratiqué des inséminations artificielles pour les femmes et des gestations pour autrui pour les hommes à l’étranger. Ils donneront, donc, naissance à un enfant ou le ramèneront en France pour l’adopter. Autrement dit, ces couples se mettent sciemment dans l’illégalité et produisent une situation de droit intenable : avoir un « enfant douteux » dont on ne sait pas si la filiation peut être prouvée ou non[1]. De deux choses l’une : ou l’Etat sanctionne une situation manifestement délictueuse et se voit dans l’obligation de retirer l’enfant aux dits couples en infraction, ou bien il modifie sa législation afin de mettre en conformité le droit avec la réalité sociale. Le problème est que la loi sur le mariage homosexuel ne règle rien : elle accorde un nouveau droit-créance à une catégorie de la population sans prévoir les conséquences de ce droit – situation inepte. 

         On l’aura compris, l’enjeu d’importance n’est pas le mariage, mais la modification du droit de la famille pour ce qui concerne la filiation : doit-elle rester attachée au couple biologique (avec l’exception consentie à l’adoption) ou doit-elle devenir l’effet d’une volonté ? Le débat pourra peut-être avoir lieu, mais sa conclusion semble déjà écrite : comment imaginer, en effet, que l’Etat retire aux couples homosexuels des enfants illégalement conçus ? Et si tel était le cas, la Cour européenne des droits de l’homme mettrait en demeure les autorités concernées de mettre fin à ce qui serait perçu comme une intolérable atteinte au bonheur personnel. 

Ce qui entraîne deux séries de conséquences. D’un point de vue juridique, il sera désormais permis à des individus de contrevenir aux règles sociales (bien commun) pour satisfaire leurs désirs personnels, justifiés ou non. Autrement dit, le droit aura pour mission de consacrer, avec l’appui du législateur, des situations de fait. D’un point de vue politique, cela signifie que la chère volonté générale n’est plus de mise dans nos sociétés démocratiques sectorisées. Il n’appartient plus, en effet, aux représentants du peuple de dessiner les contours de l’organisation sociale à travers l’adoption de lois. C’est au contraire les multiples segments de la société, plus ou moins organisés en groupes d’intérêt, qui imposent à l’Etat son calendrier politique. Cela s’appelle tout simplement du management : le gouvernement répond à la loi de l’offre et de la demande en optimisant, au maximum, son retour sur investissement politique. Mais de démocratie, « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple », il n’en est plus question. Mariage homosexuel ou pas.  

On en cause aussi sur Causeur.fr




[1] Jean Hauser, « Le choix du gouvernement est incohérent », Le Figaro, 8 novembre 2012.

jeudi 22 novembre 2012

On ne se marie pas pour soy (2)




« J’ay vu de mon temps, en quelque bon lieu, guerir honteusement et deshonnetement l’amour par le mariage : les considerations sont trop autres. Nous aimons, sans nous empescher, deux choses diverses et qui se contrarient. Isocrates disoit que la ville d’Athenes plaisoit, à la mode que font les dames qu’on sert par amour : chacun aimoit à s’y venir promener et y passer son temps ; nul ne l’aymoit pour l’espouser, c’est-à-dire pour s’y habituer et domicilier. J’ay avec despit veu des maris hayr leurs femmes de ce seulement qu’ils leur font tort : aumoins ne les faut il pas moins aymer de nostre faute ; par repentance et compassion aumoins, elles nous en devoyent estre plus cheres. » (III, V, p. 854)

« Ce sont fins differentes et pourtant compatibles, dict il, en quelque façon. Le mariage a pour sa part l’utilité, la justice, l’honneur et la constance : un plaisir plat, mais plus universel. L’amour se fonde au seul plaisir, et l’a de vray plus chatouillant, plus vif et plus aigu ; un plaisir attizé par la difficulté. Il y faut de la piqueure et de la cuison. Ce n’est plus amour s’il est sans fleches et sans feu. » (III, V, p. 854)


mardi 20 novembre 2012

Crêpage de chignons





L’UMP est menacée par une grave crise humanitaire. A l’issue des élections devant désigner le futur président du parti, François-Laurent Désiré Fillon a revendiqué pour lui la victoire totale alors même que son rival, Jean-François Avatars Multiples Copé, dénonçait des manœuvres frauduleuses et se proclamait seul et incontestable vainqueur. Cette situation fait craindre des affrontements entre les partisans des deux camps et laisse présager une situation chaotique dont pourraient profiter Jean-François Equilibre Cosmique M’Borloo, leader de la région centre et Marine Intransigeance Le Pen, qui pourrait tirer profit également de l’extrême confusion de la situation pour tenter un coup de force avec ses troupes installées en lisière de la droite conservatrice. Chacun attend avec impatience et espoir l’éclatement possible de l’ex-formation majoritaire, sachant qu’il y aura des places à prendre en cas de lutte fratricide.

         Mais le plus attentif de tous, sans doute, à l’issue de ce conflit, ne peut être que l’ex-président et chef suprême autrefois incontesté Nicolas Sceptre de Puissance Sarkozy, plus connu encore de ses supporters sous le sobriquet « ohé, ohé, capitaine abandonné », qui a tout à gagner dans un affrontement qui le débarrasserait de ces deux anciens et encombrants lieutenants et lui permettrait d’attendre paisiblement que le carnage se poursuive pour se présenter sous les traits de l’aérienne providence voguant, tel l’Albatros gaullien, au-dessus des luttes de partis.

         Dans l’immédiat, le HCR a tiré la sonnette d’alarme et rappelé le sort qui menace, en cas d’explosion de l’UMP, les dizaines de milliers de militants appelés à devenir des réfugiés politiques ou à mourir de désespoir. Le gouvernement français n’a pas encore fait savoir s’il envisageait, comme y appelle vivement le philosophe polycausal Bernard-Henri Lévy, à intervenir pour éviter la crise humanitaire. Interrogé sur la position de la France en la matière, François Hollande a simplement répondu : « mouf » avant de reprendre une part de flan. Vladimir Poutine a proposé pour sa part l’envoi d’observateurs afin de prévenir les irrégularités lors des prochaines primaires. Lionel Jospin a annoncé préventivement qu’il se retirait de la vie politique.

lundi 19 novembre 2012

On ne se marie pas pour soy...

Les amants morts. Matthias Grünewald.

« On ne se marie pas pour soy, quoi qu’on die ; on se marie autant ou plus pour sa postérité, pour sa famille. L’usage et interest du mariage touche nostre race bien loing par delà nous. Pourtant me plait cette façon, qu’on le conduise plutost par mains tierces que par les propres, et par le sens d’autruy que par le sien. Tout cecy, combien à l’opposite des conventions amoureuses ! Aussi est ce une espece d’inceste d’aller employer à ce parentage venerable et sacré les efforts et les extravagances de la licence amoureuse, comme il me semble avoir dict ailleurs. » (III, V, p. 850)

« Il n’est plus temps de regimber quand on s’est laissé entraver. Il faut prudemment mesnager sa liberté ; mais dépuis qu’on s’est soumis à l’obligation, il s’y faut tenir soubs les loix du debvoir commun, aumoins s’en efforcer. Ceux qui entreprennent ce marché pour s’y porter avec haine et mespris, font injustement et incommodément ; et cette belle reigle que je voy passer de main en main entre elles, comme un sainct oracle,

Sers ton mary comme ton maistre,
Et t’en guarde comme d’un traistre,

qui est à dire : Porte toy envers luy d’une reverence contrainte, ennemie et deffiante, cry de guerre et deffi, est pareillement injurieuse et difficile. Je suis trop mol pour desseins si espineux. A dire vray, je ne suis pas encore arrivé à cette perfection d’habilité et galantise d’esprit, que de confondre la raison avec l’injustice, et mettre en risée tout ordre et reigle qui n’accorde à mon appetit : pour hayr la superstition, je ne me jette pas incontinent à l’irreligion. Si on ne fait tousjours son debvoir, aumoins le faut il tousjours aymer et recognoistre. C’est trahison de se marier sans s’espouser. Passons outre. » (III, V, p. 852-853)



« Une femme se peut rendre à tel personnage, que nullement elle ne voudroit avoir espousé ; je ne dy pas pour les conditions de la fortune, mais pour celles mesmes de la personne. Peu de gens ont espousé des amies qui ne s’en soyent repentis. Et jusques en l’autre monde. Quel mauvais mesnage a faict Jupiter avec sa femme qu’il avoit premierement pratiquée et jouye par amourettes ? C’est ce qu’on dict : Chier dans le panier pour apres le mettre sur sa teste. » (III, V, p. 853)


Michel de Montaigne. Essais. Livre III. Chapitre V. "Sur des vers de Virgile."


dimanche 18 novembre 2012

Mademoiselle nous manque...


A l’heure où Najat Vallaud Belkacem présente un plan de lutte contre les discrimination qui peut laisser penser à la lecture des propositions de plus en plus délirantes que nous basculons définitivement du côté de chez Huxley ou Orwell et où le « mariage pour tous » a mis 100000 personnes dans la rue, il est bon de rappeler aussi à ceux qui auraient tendance à ne s’en prendre qu’aux socialistes et à absoudre trop facilement les tocards d’en face que l’UMP n’a pas été avare en son temps de propositions sociétalo-rigolotes et de diversions faciles. Célébrons donc aujourd’hui un anniversaire inutile : Roselyne Bachelot, la dame aux 95 millions de vaccins anti-grippe A, demandait officiellement il y a un an à François Fillon de faire disparaître le terme « Mademoiselle » des formulaires administratifs, premier acte de la longue, trop longue, comédie de boulevard qui se poursuit aujourd’hui avec le mariage homosexuel, sous le gouvernement Ayrault[1]. A l’occasion, nous ressortons des archives cet article et hommage à la défunte « Mademoiselle »…Avant peut-être d’en dire un peu plus sur le reste…
          
Qualificatif ô combien dégradant, évocateur de sages froufrous, de regards furtifs, de silhouette gracile et de cœur à prendre, « Mademoiselle » est priée d’aller promener ailleurs ses jupons et de cesser ses manières. On ne tolérera désormais que la dignité un peu austère de « Madame », qui elle au moins sait se tenir et ne s’avise pas de minauder avec les airs de charmante victime de sa consoeur. « Madame » n’est ni prise, ni à prendre, ni à séduire, foin désormais de cette distinction discriminante entre la jeune fille et celle qui sera adoubée par l’institution rétrograde du mariage. Circulez SVP, phallocrates et profiteurs sexistes ! « Madame » désormais se tient fière et droite sur le podium de l’égalité des sexes aux côtés, ou plutôt en face, d’un « Monsieur » qu’on tient à l’œil et qu’on ne reprendra plus à couler des regards en coin vers les « Mademoiselles » dans les recoins des formulaires.

Au-delà du juste combat pour une égalité parfaite que nous ne nous aviserons pas de discuter ici, cette avancée législative est aussi une avancée linguistique. Soucieux que nous sommes de valoriser chaque nouvelle bataille remportée par la modernité, il nous faut ici saluer une avancée décisive en termes de langage. Il y a plus de soixante-dix ans, un penseur réactionnaire établissait dans un méchant petit ouvrage, avec une mauvaise humeur teintée d’ironie acerbe, que les combats menés par les avant-gardes, pour revenir à la pureté originelle d’un langage qui ne trahirait plus la pensée, interdisaient désormais d’employer des lieux communs comme « des yeux fondus » ou « douceur vespérale », clichés auxquels, d’un point de vue stylistique, on pourrait certainement adjoindre « ironie acerbe », « pureté originelle » et « penseur réactionnaire » tant ces maladroites constructions traduisent des évidences… Ce combat était en tout cas d’un autre temps. La chasse aux clichés et aux lieux communs dans les années d’entre-deux guerres n’était qu’un prélude esthétique qui ouvrait modestement la voie aux réalisations formidables des grandes utopies révolutionnaires (ah ! encore un cliché !). Aujourd’hui, tandis que nous vivons une époque au sein de laquelle nous avons matériellement et juridiquement conquis un bien-être relatif et une harmonie sociale apparente, les conquêtes, après s’être réalisées dans les lois, doivent se poursuivre dans les cœurs et les consciences.

On ne demande plus, comme aux temps héroïques (tiens, encore un…) des avant-gardes historiques (et de trois…), à la littérature de préparer les temps nouveaux. En fait,  on ne lui demande plus rien. Cependant, si le bannissement des demoiselles représente une avancée législative comme on n’en avait plus vu depuis le droit de vote des femmes en 1944, il convient de continuer à mener la bataille du langage pour finalement gagner celle des âmes en entreprenant, partout, de traquer le démon protéiforme de la pensée discriminante. Amen. On peut d’ores et déjà suggérer que les ligues de vertus égalitaires ne se contentent plus, dès aujourd’hui, d’écarter des formulaires administratifs l’ombre menaçante des jeunes filles en fleur, mais qu’elles osent s’attaquer aux forteresses inexpugnables (et de quatre !) du sexisme ordinaire (cinq ?), à « Monsieur », le Minas Morgul de la terreur phallocratique, et à « Madame », le Minas Tirith du consentement bourgeois. Dès à présent, nous osons soumettre à la bienveillante sagacité (nous vous prions d’agréer nos salutations les plus distinguées…) de nos maîtresses en anti-sexisme, les jolis termes, bien plus égalitaires, de « compère » et « commère » pour remplacer « Monsieur » et « Madame ». Avec un peu de chance il y aura bien un usager qui se prénommera Goupil ou Ysengrin : fou-rire et bonne humeur assurés au guichet des ASSEDICs, même en cas de radiation définitive…





[1] Et c’est chose faite trois mois plus tard : http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/02/21/mademoiselle-disparait-des-formulaires-administratifs_1646538_3224.html

vendredi 16 novembre 2012

Les perdants magnifiques (1): Lauro de Bosis



            En juillet dernier, les médias rapportaient une étrange affaire : un petit avion de tourisme avait pénétré illégalement dans l’espace aérien biélorusse et largué sur une ville de province et au sud de Minsk un millier de petits ours en peluche équipés de parachutes et de tracts réclamant la liberté de parole en Biélorussie, toujours dirigée d’une main de fer par Alexandre Loukachenko. Parti de Lituanie, l’appareil piloté par Tomas Mazetti et Hannah Lina Frey avait pu mener sans encombre son opération « coup de poing » avant de regagner la Suède après avoir survolé la Biélorussie sans être à aucun moment inquiété par l’armée de l’air ou la défense antiaérienne. Les différentes sociétés de location d’avions auxquelles s’étaient adressés les activistes s’étaient pourtant récriées, prévenant les instigateurs de cette opération de subversion que l’on pénétrait à ses risques et périls dans l’espace aérien de la nation supposément dotée « de la meilleure défense anti-aérienne d’Europe. » L’aéronef, qui n’avait rien de furtif, a pu cependant tranquillement parvenir jusqu’à Minsk pour y perpétrer son attentat ludique sans voir l’ombre d’un missile et sans que le moindre Mig pointe le bout de son nez.




       L’affaire a suscité un beau remue-ménage au sein de l’Etat-major et du gouvernement biélorusse. Elle a certainement désagréablement rappelé l’époque où les avions soviétiques larguaient des jouets piégés au-dessus des villages afghans et a en tout cas été vécue comme une véritable humiliation par la Biélorussie dont les autorités ont traversé, comme le rappelait Katerina Barushka dans un article plutôt amusant[1], toutes les phases du comportement post-traumatique : déni, colère, négociation, dépression, acceptation. Si une tondeuse à gazon volante peut parvenir à larguer des ours en peluche jusqu’à Minsk, on peut imaginer les dégâts que pourrait causer un bombardier moderne chargé de sucettes atomiques. Le gouvernement a en tout cas limogé deux responsables de l’armée de l’air après cette affaire et fait emprisonner quelques opposants qui avaient eu l’audace de filmer les évolutions de l’appareil pour les poster sur youtube. Des journalistes se sont même fait confisquer les ours en peluche qu’ils tentaient de sortir illégalement du pays mais l’histoire ne dit pas si le KGB local a aussi confisqué les doudous des petites filles et des petits garçons biélorusses pour laver l’honneur bafoué du pays.



         Ce qui dans l’affaire est un peu dommage est qu’elle résulte avant tout d’une opération de publicité montée par une agence de communication suédoise. Ce qui n’est pas sans susciter une certaine gêne car l’équipée a été ainsi pu être perçue à la fois comme un geste humanitaire et comme une jolie opération de com’ menée par quelques geek branchés. Un nivellement des valeurs très post-moderne, c’est-ce qu’on appelle de l’agit-prop fashionable, ma bonne dame. Vous prenez pour cible un pays dont le gouvernement semble être resté bloqué au temps de la guerre froide et dont l’autoritarisme semble être sorti des placards (forcément) poussiéreux de l’histoire et peut idéalement symboliser le ringardisme en uniforme. Vous opposez à cela le dynamisme de jeunes créatifs malins qui luttent à la fois pour les droits de l’homme et l’advertising et vous ajoutez à cela un symbole sympa, par exemple un ours en peluche. Vous obtenez la recette parfaite du buzz sur internet en organisant la seule opération de bombardement menée contre un pays de l’ex-union soviétique par un pays européen, vingt ans après la guerre froide et à coups de bisounours. Tout un symbole.

          L’opération prend pourtant une autre dimension en rappelant l’aventure, il y a un peu plus de 80 ans, vécue en 1931 par un jeune écrivain et dramaturge italien, monarchiste et farouchement opposé au régime de Benito Mussolini, qui prenait place dans un petit monoplan et réussissait à survoler Rome à basse altitude pour y larguer 400000 tracts antifascistes avant de prendre la fuite en direction de la Corse, au-dessus de la mer Tyrrhénienne où il a disparu, peut-être abattu par la chasse italienne ou tout simplement à court de carburant : il s’appelait Lauro de Bosis et son nom s’est perdu dans les méandres de l’histoire aussi sûrement que son avion s’est perdu en mer. Ce jeune révolté n’a pas non plus marqué la littérature. Sa principale œuvre est une pièce écrite deux ans auparavant, au titre prémonitoire : Icare. André Gide évoque brièvement son nom au cours d’un entretien rapporté par René Crevel, venu réclamer au « contemporain capital » une signature et son soutien en faveur d’Aragon, au cours de l’affaire Front Rouge [2]. A cette demande, Gide avait répondu sans ambiguïté: 

GIDE. — C’est compliqué. J’ai été quatre nuits sans dormir, on est venu me demander une préface pour de Bosis, cet aviateur qui a jeté des tracts antifascistes. Il y a laissé sa vie. Le malheureux en appelait au roi, au lieu d’appeler à la révolution, de sorte qu’il a été désavoué par tous les partis. Il n’aura ni statue, ni laurier et je n’ai pas fait la préface.[3]


Tout le monde n’a pas la chance de protester du bon côté du manche. Aragon, qui reste un très grand poète et un magnifique romancier, a fait au sein du Parti Communiste une carrière de crapule couronnée de succès. De Bosis n’était peut-être pas un grand auteur et personne ne se souvient de lui. Son acte, courageux et inutile, ne lui a valu, comme dit Gide, ni statue, ni laurier et on ne savait pas à l’époque ce que pouvait être un « buzz » ou internet. De la même manière, cependant, que nos aventuriers suédois, De Bosis avait humilié l’armée italienne en donnant cependant à son geste une portée beaucoup plus politique et moins « communicante ». Son geste dérisoire pourrait s’apparenter à ce que Charles Péguy appelait les « prodromes annonciateurs », les événements infimes qui sont les signes annonciateurs et presque invisibles de grands bouleversements à venir. Mais Péguy était un mystique et De Bosis, un romantique. Nous en revanche, nous sommes des gens rationnels. Nous ne croyons plus à ces histoires-là. L’essentiel, c’est de faire un bon buzz, n'est-ce pas? 
****
Note: De Bosis avait beau été médaillé olympique dans la section poésie en 1929 pour son Icare, il est bien difficile aujourd'hui de trouver des ouvrages ou des articles lui étant consacrés. On citera au moins cette unique référence : MUDGE, Jean. The Poet and the Dictator : Lauro de Bosis resists fascism in Italy and America. Praeger. 2002





[1] http://www.neweasterneurope.eu/node/423
[2] En 1931, Aragon avait signé un violent poème dont la rhétorique valait bien celle de la « droite au couteau de cuisine » et lui avait valu d’être inculpé pour  « excitation des miliaires à la désobéissance et de provocation au meurtre dans le but de propagande anarchiste. » Il risquait cinq ans de prison et les surréalistes plaidaient sa cause auprès des intellectuels les plus influents. Jean Paulhan ironisa d’ailleurs sur les auteurs qui appellent au meurtre et s’étonnent que l’on veuille les jeter par la suite en prison. Aragon ne sera finalement pas condamné.
« Feu sur Léon Blum
Feu sur Boncour Frossard Déat
Feu sur les ours savants de la social-démocratie
Feu feu j’entends passer
la mort sur Gachery Feu vous -dis-je
Sous la conduite du parti communiste
SFIC
vous attendez le doigt sur la gâchette
que ce se ne soit plus moi qui vous crie
Feu
mais Lénine
le Lénine du juste moment ».
Louis ARAGON. Front Rouge. Poème publié en novembre 1931 dans Littérature de la Révolution Mondiale.
[3] René Crevel, L'Esprit contre la Raison. In André BretonMisère de la poésie." L’Affaire Aragon " devant l’opinion publique, Paris, Editions surréalistes, 1932. Cité à l’adresse suivante : http://melusine.univ-paris3.fr/EspritRaisonCrevel/Gide.htm

jeudi 15 novembre 2012

Une triste vie de con



« Si les gens vivent leurs tristes vies de cons dans ces mornes pays de cons, c’est parce qu’ils ont la trouille. Il leur faut la Sécurité, le Confort et la Dignité. Voilà ce que je pensais. Ils n’aiment pas se fatiguer, ils bouffent comme des vaches, ils boivent l’apéro, ils discutent de conneries à perte de vue, ils jouent aux courses, ils s’intéressent au football, ils prennent du bide sans se dégoûter d’eux-mêmes, ils s’en foutent d’être moches répugnants mous dégueulasses pourvu qu’ils aient une cravate, de se faire chier dix heures par jour et toute la semaine et toute la vie pourvu qu’ils aient la paye et le cinoche avec Maimaine le samedi. »

François Cavanna, Les Ritals (1978).







mardi 13 novembre 2012

Quelques idées reçues sur la révolution française

   Cette semaine, le professeur du dimanche (Hipstagazine/Apache!) nous propose une lecture revigorante de la Révolution française. Nous la complétons par une belle conférence de l'historien Henri Guillemin qui tend à réhabiliter l'oeuvre de Robespierre.





Loin de l’image consensuelle qui présente 1789 comme une victoire du peuple sur la tyrannie, nous voudrions ici lever un coin de voile et ainsi proposer quelques éléments de réflexion. 

La Révolution française est certes très complexe au vu des nombreux acteurs et idéologies contradictoires qui la traversent ce qui ne nous empêchent pas cependant de circonscrire des courants dominants qui vont façonner l’histoire dont nous sommes encore les héritiers. 1789 est tout d’abord un esprit dont la matrice idéologique a été façonné par les encyclopédistes. Parmi eux nous retrouvons notamment Voltaire et Diderot, les BHL et Attali de l’époque.  Connus pour leur combat pour la liberté de conscience contre le pouvoir de l’Eglise, leurs idées politiques se réduisent à la défense des intérêts bien compris d’une classe. Ainsi Voltaire, dans son Essai sur les mœurs pouvait écrire : «  un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. » Quant à Diderot, il affirme dans le chapitre « représentant » de l’encyclopédie que seuls les propriétaires sont légitimes pour être députés. En somme, toute l’histoire de la révolution française va être la constitution de la confiscation du pouvoir par une classe et une élite de représentants contre le peuple et la notion même de démocratie. Le rôle du peuple, et particulièrement de la paysannerie, ne peut être négligé comme l’a montré Kropotkine dans son ouvrage aussi monumental qu’occulté La grande révolution[1], mais il est le grand vaincu de cette histoire. Il est intéressant de revoir ici quelques faits.

Tout d’abord le mythe de l’abolition des droits féodaux, qui nous ferait croire que les aristocrates décident eux-mêmes de renoncer à leurs privilèges.

L’idée est belle et on y croirait presque.  La nuit du 4 août 1789, au vu de la situation quelque peu préoccupante dans le pays, les aristocrates décident de calmer le jeu. Le duc d’Aiguillon monte alors à la tribune pour déclarer que l’aristocratie est prête à renoncer à ses droits féodaux. Tous les journaux reprennent alors la nouvelle dès le lendemain avec enthousiasme. Seulement, lorsqu’on regarde le texte de plus près, on constate une petite condition qui a son importance : « Nous sommes prêts à envisager de renoncer à nos droits féodaux si on nous les rachète au denier trente ». Autrement dit, c’est seulement lorsque le paysan aura payé trente annuités de droits féodaux qu’il pourra en être exempté. Nous avons ici la formulation du droit formel (découplé de toute capacité réelle) dans toute sa splendeur, où l’on voit qu’une partie de l’aristocratie est déjà contaminée par l’idéologie bourgeoise. L’abolition réelle des droits féodaux aura lieu en juillet 1793. C’est dans cette perspective de la formalité des droits qu’est proclamée la déclaration des droits de l’homme : les noirs des Antilles demeurent esclaves et certains citoyens sont plus citoyens que d’autres : pour pouvoir voter il fait payer une somme équivalente à trois journées de travail, et pour être éligible l’équivalent de cinquante journées de travail.

Le mouvement de 1789 est clairement en faveur des possédants (aristocratie et bourgeoisie) contre le peuple.

Quant à la question politique en tant quel telle, il est fondamental de revenir à Sieyès pour comprendre que la notion même de « démocratie » est bannie d’emblée.

Sieyès tient un rôle de premier plan dans la révolution : célèbre pour sa brochure « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? » publié en 1789, il rédigea notamment le Serment du jeu de Paume et travailla à la rédaction de la Constitution. L’essentiel tient dans ses propos tenus le 7 septembre 1789, et qui conditionnent encore notre régime :

Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants.[2]

Sièyes, toujours le même, considère qu’il ne peut y avoir qu’une volonté commune et donc qu’une seule association de laquelle résulte la nation. Hors de cette association il ne peut y avoir que des individus isolés et leur intérêt privé. Les associations intermédiaires sont alors considérées comme dangereuses pour l’unité de l’Etat, d’où la loi Le Chapelier, promulguée le 14 juin 1791, qui interdit toute constitution de corporation, et qui va faire le beau jeu de la bourgeoisie notamment en interdisant aux ouvriers de se coaliser. Elle ne sera abrogée que le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, qui abolit le délit de coalition, et le 21 mars 1884 par la loi Waldeck-Rousseau, qui légalise les syndicats.

Autre mythe qui vient attester l’identité et l’esprit de ceux qui gouvernent : la France se serait défendue contre les puissances étrangères venues étouffer la révolution dans l’œuf.

Or il se trouve que là encore, pour des raisons économiques, il s’agit bien d’une guerre de conquête initiée par l’Etat français (à laquelle par ailleurs s’oppose Robespierre) Le 14 décembre 1791, Narbonne, le ministre de la guerre, déclare cyniquement à la tribune de la Législative que la guerre est indispensable aux finances : « Le sort des créanciers de l’Etat en dépend. » C’est ainsi qu’est déclarée la guerre à l’Autriche. La bourgeoisie semble cependant un moment dépassée par les évènements : la plèbe commence à se manifester violemment. En 1792 s’ouvre le cycle de la terreur. Le suffrage universel est instauré le 11 août dans un contexte qui n’est pas optimum pour des élections sereines. L’Etat contrôle une grande partie de l’économie. C’est ainsi notamment qu’est instauré un maximum notamment sur le prix des grains et sur les marges. Ces mesures ne sont populaires qu’en partie : autant le salarié se réjouit du maximum sur les prix, autant il regrette que les salaires soient gelés par la même occasion. Suite à une brève période de révolution sociale entachée par la dictature jacobine, les Girondins reprennent le contrôle et s’empressent de remplacer l’écusson républicain adopté en 1792 : « Liberté, Egalité,  Fraternité », dont la dimension christiano-hippie leur déplaisait, par « Liberté, Egalité, Propriété », qui avait le mérite d’annoncer plus clairement la couleur.

La bourgeoisie et sa révolution se présente comme commencement et fin de l’histoire. Faisant table rase du passé elle n’ouvre sur rien d’autre que la relative égalité juridique et la liberté de commerce.

En ce sens en effet, comme le soutient François Furet, la révolution française est terminée mais nous sommes toujours en plein dedans. Il existe cependant une autre manière de l’envisager, comme l’explique le journaliste Odysse Barrot (1830-1907) qui, établissant un parallèle entre la commune de Paris et la révolution française, a bien saisi l’ambivalence de cette dernière et souligné la possibilité d’en sélectionner l’héritage :

En tant que révolution sociale, 1871 procède directement de 1793, qu’il continue et qu’il doit achever (…) En tant que révolution politique, au contraire, 1871 est réaction contre 1793 et un retour à 1789…Il a effacé du programme les mots " une et indivisible " et rejeté l’idée autoritaire qui est une idée toute monarchique…pour se rallier à l’idée fédérative, qui est par excellence l’idée libérale et républicaine.





[1] Disponible en ligne ici : http://www.marxists.org/francais/general/kropotkine/1909/03/kropo.htm
[2] Dire de l'abbé Sieyes, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789

samedi 10 novembre 2012

Les idiots en folie (4)



« Le monde et la mort,
enlacés, endiablés,
au-dessus de l’homme
dont la tête vide
résonne dans l’univers »



mercredi 7 novembre 2012

National-dadaïsme



Qu'est-ce que le national-dadaïsme ?
Le national-dadaïsme dit la vérité intime du pouvoir, sa bouffonnerie constitutive et sa cruauté intrinsèque. Il est un miroir tendu à tous les puissants.
Idi Amin Dada est national-dadaïste pour son nom, son anthropophagie rigolarde et ses fausses décorations, Kadhafi pour ses déguisements et ses discours sur l'origine du pepsi cola, Saddam Hussein pour les différentes poses qu'il prenait sur les affiches de propagande (cavalier romantique, chasseur tyrolien, soldat au front, bédouin, mécanicien, téléphoniste en costume, danseur de Tikrit etc.), Jean-Marie Le Pen pour ses déambulations sur la scène, ses bastons, ses chansons, ses voyages troublés par des contre-manifestants et la gueule de ses adversaires, la junte birmane pour son inquiétant anonymat, Hafez Al-Assad pour ses soldates mangeuses de serpent et s'être fait surnommer "le Bismarck du Moyen-Orient", Fidel Castro pour ses interminables discours et avoir donné sa propre recette de la paella à une journaliste espagnole, Pinochet pour la très antipathique photo officielle de sa junte...


Article odieusement volé chez Anarchrisme

mardi 6 novembre 2012

Kill the poor




        Aujourd’hui, dans le Nouvel Obs, on joue à se faire peur avec la droite américaine. C’est un exercice assez commun en réalité. La plupart du temps, quand les médias français s’intéressent aux Etats-Unis, c’est pour coller un type devant un agrandissement de carte postale de Manhattan qui clame fièrement : « Ici, en direct de Niouillorque !!! », ou alors pour dévoiler au public français les accointances idéologiques répugnantes de la droite américaine (non pas celle-là, l’autre droite). Donc aujourd’hui, c’est Ayn Rand qui prend la relève de Samuel Huttington (rappelez-vous, Le choc des civilisations, le discours de G.W. Bush sur les Rogue-states, que de souvenirs…) et c’est Nicole Morgan qui se charge de lui tirer le portrait.
Première question : qui est Nicole Morgan ? Réponse : c’est une philosophe et sociologue qui a notamment publié Le manuel de recrutement d’Al Qaïda et Haine froide. A quoi pense la droite américaine ? aux éditions du Seuil. On ne serait pas surpris de la trouver aussi derrière le scénario de Alien vs. Predator mais bon on ne va pas commencer à être mauvaise langue…
Deuxième question : qui est Ayn Rand ? Réponse : Ayn Rand (1905-1982) est une philosophe et écrivain d’origine russe et naturalisée américaine. Anticommuniste farouche, athéiste convaincue et rationaliste indomptable, elle est devenue l’idole littéraire du mouvement libertarien, un peu comme si Christine Angot s’était mise à lire Stirner et à se coiffer comme Judith Butler en vénérant Bernard Tapie. Elle professe un « égoïsme rationnel » qui en fait une théoricienne de l’individualisme et est en général bien peignée sur les photographies.
Troisième question : faut-il avoir peur d’Ayn Rand ? Dans son ouvrage La Grève[1], qui semble être devenu culte. Ayn Rand met en scène des chefs d’entreprises en pleine crise d’adolescence. Puisque l’Etat leur vole tout, ils décident de bouder et de ne plus rien faire, comme ça vous verrez bien, vous serez bien contents, nananère…On ne la faisait pas comme ça à Ayn Rand et elle nous explique notamment dans son ouvrage phare que l’Etat n’est finalement qu’un moyen de mettre à la tête de nos sociétés un paquet de voleurs, de menteurs et d’assassins qui ont pour fonction de nous voler, de nous assassiner et de nous mentir afin de nous empêcher nous-mêmes de voler, d’assassiner et de mentir. Jusqu’ici tout va bien, on était au courant. Ce qu’on savait moins c’est que, quand l’Etat disparaît la concorde et l’harmonie apparaissent naturellement entre les êtres humains guidés par le consentement mutuel et la recherche de l’intérêt individuel qui ne peut s’obtenir que par le biais de la collaboration et de l’entente, concourant ainsi indirectement à l’intérêt général. J’ai déjà lu ça quelque part…Ah oui, chez Adam Smith ! Et est-ce que ça fonctionne bien dans la réalité ? Oh, à peu près autant que Karl Marx…
Chez Ayn Rand, les hommes d’élites, les entrepreneurs courageux, les inventeurs géniaux, les artistes avant-gardistes finissent par en avoir marre de la mainmise de l’Etat corrompu qui les empêche de créer et d’innover en rond. Du coup ils plaquent tout et vont boire des coups entre aristoï, au bar du coin chez Platon qui paye sa tournée à tous les grévistes de l’excellence. Il faut donc rassurer Nicole Morgan en considérant Ayn Rand pour ce qu’elle est : un auteur de science-fiction. La lecture de ses textes ne va pas inciter les républicains à exécuter tous les pauvres en cas de victoire aux présidentielles pas plus qu’elle ne va amener Paul Ryan ou Mitt Romney à supprimer l’Etat et à placer les Etats-Unis sous le contrôle des mégacorporations (que Romney ou Obama soit élu ne change d’ailleurs pas grand-chose à ce niveau…). Ayn Rand est une manifestation un peu folklorique et pas vraiment passionnante sur le plan littéraire (c’est à peu près du niveau de Paulho Coelho quoi) d’un courant intellectuel qui a produit des auteurs bien plus pertinents et des analyses plus fines que celles qui sont proposées dans La Grève. L’américain moyen lui n’a pas attendu Ayn Rand ou les libertariens pour savoir qu’il n’a pas besoin de l’Etat pour défendre son carré de propriété privée.





[1] Publié seulement en 2011 en France. Voir la critique du journal Contrepoints : http://www.contrepoints.org/2011/08/03/37958-atlas-shrugged-en-librairie-le-22-septembre-2011

lundi 5 novembre 2012

Poisson ou poulet ?


         La revue The American Conservative a invité un certain nombre de ses collaborateurs réguliers à exprimer leur intention de vote et à l’expliquer. Andrew J. Bacevich est actuellement chercheur invité à Notre Dame's Kroc Institute for Peace Studies International.



La chose la plus importante à propos des élections présidentielles de 2012, c'est que le 6 Novembre, elles se termineront. Enfin, la fièvre retombera, l'hystérie se calmera, et quelque chose qui ressemble à la normalité sera de retour, au moins pendant quelque temps.

Nous devons prier pour que le scrutin lui-même produise un résultat décisif, contrairement, disons, à 1876 ou 2000. Cependant, que celui qui gagne reste assuré d'une chose: les résultats ne seront pas à l'image du battage médiatique. Que les quatre prochaines années nous obligent à composer avec un président Obama ou un président Romney, la République survivra.

Comme l’a parfaitement montré la fin de la campagne présidentielle, quand il s'agit de politique étrangère, le choix est entre Tweedledee et Tweedledum. Sans égard pour celui qui pourra s'asseoir dans le bureau ovale, le penchant post-guerre froide pour l’ingérence militarisée est susceptible de persister. Tout au plus, prendra-t-il une autre forme, Obama et Romney, prenant tous deux leurs distances vis-à-vis des interventions terrestres, chantent les louanges des drones lanceurs de missiles comme nouveaux instruments des assassinats ciblés. Ce n’est pas grand chose peut-être, mais ne versons pas une larme sur cette modeste reculade par rapport aux folies des décades passées.

Quand il s'agit d’envisager les facteurs qui vont déterminer l'avenir du pays, qu'ils soient culturels ou économiques, le choix est entre clichés et absence de vue. Avouons-le, les candidats à cette élection n’approchent pas vraiment le niveau intellectuel des duels John Adams vs Thomas Jefferson ou encore Woodrow Wilson vs TR.

Pour la petite histoire, j'ai voté (une fois de plus) pour Obama. Mais en termes d'importance, je place cette décision au même niveau que le choix entre poisson ou poulet au restaurant. Quand tout est dit et fait, c'est le nombre de zéros sur le chèque qui compte. A mon avis, peu importe celui qui paiera la facture, celle-ci sera lourde. Rien que ceci suffit à me couper l’appétit.

Andrew J. Bacevich


(traduit par un Idiot)