dimanche 29 novembre 2015

L'Arbresle qui cache la forêt


L'Arbresle est une jolie petite commune de 6161 habitants (recensement de 2012) dont l'histoire se confond avec l'abbaye bénédictine de Savigny, érigée au XIe siècle et tombée en ruine au XVIIe siècle. Sur la « route Royale » qui reliait Paris à Lyon durant l'époque moderne avant de devenir la Nationale 7, l'abbaye de Savigny dressait jalousement tout autour d'elle les petits bourgs fortifiés qui devaient la protéger des guerres et des invasions : l'Arbresle, Savigny, Saint-Bel, Eveux...Il ne reste pas grand-chose aujourd'hui de l'abbaye, progressivement délaissée par les moines, tout comme du château de L'Arbresle qui la défendait. Le petit village a perdu sa vocation de place-forte pour accueillir une pacifique et prospère bourgeoisie lyonnaise à la Renaissance avant de se convertir à l'industrie textile au XIXe siècle, comme toute la région de Roanne et sa bonneterie trente kilomètres plus à l'ouest jusqu'à Lyon et ses Canuts, dix kilomètres plus au sud. Après le déclin de l'industrie textile à la fin des années 1960, L'Arbresle est retombée dans la torpeur. Il reste aujourd'hui un petit village entouré de champs, avec son donjon et sa porte fortifiée et le pont de la Madeleine, construit dans la « pierre dorée » qui est la marque de fabrique du pays. Les habitants de L'Arbresle ont peut-être conservé dans le folklore local le souvenir de la Bête du Lyonnais qui terrorisa la région entre 1754 et 1756, faisant une trentaine de victimes, principalement des enfants, mais ce sont bien d'autres sujets qui occupent aujourd'hui les conversations depuis que le préfet du Rhône Michel Delpuech a, dans le cadre de l'article 8 de la loi relative à l'état d'urgence, a décidé de fermer la salle de prière, dite « mosquée », située au 33 bis rue Gabriel Peri à l'Arbresle. « Prenez le centre de l'arbresle ,en direction de sain bel vous allez trouver un pont eh bien juste aprés le pont garer vous sur le parking a droite la mosquée est a 30seconde », peut-on encore lire sur le site du Guide Musulman qui précise que les prêches s'effectuent en français et que la salle de prière comporte un espace pour les femmes.
Selon les chiffres du ministères de l'Intérieur, il y avait, en 2012, 2.131 lieux de culte musulmans en France métropolitaine et 318 outre-mer. Il en existait 150 en 1976, 200 en 1979, 900 en 1985, 1035 en 1987 et 1.555 en 2001. Le nombre de mosquées en France a donc été multiplié par dix en l'espace de vingt-cinq ans, de 1979 à 2001. D'après les statistiques données par l'OCDE et le département des affaires économiques et sociales de l'ONU (Fondation Robert Schuman), le nombre d'immigrés s'est stabilisé à six millions et a augmenté plus graduellement à partir de 1980. L'immigration due au regroupement familial et l'installation durable d'une partie des migrants a remplacé la logique de l'immigration de travail qui avait cours jusqu'aux années 1970. Selon le ministère de l'Intérieur, la France compterait aujourd'hui 5 à 6 millions de Musulmans, un chiffre ramené à 4 millions de personnes de 18 à 50 ans se disant musulmanes selon l'INED. Selon les mêmes sources, un tiers environ de ceux que l'on sera bien obligé de nommer, faute d'une expression plus précise, des « personnes de culture musulmane », seraient pratiquants. En 2008, l'INED évoquait 2,1 millions de personnes, pour 11,5 millions de catholiques, qui disposent de 45 000 lieux de cultes en France. Mais parmi les lieux de prière musulmans, bien peu sont en réalité des mosquées et les deux tiers sont des salles de prières ne dépassant pas cent mètres carrés, apparaissant et disparaissant très facilement. Elles sont financées par les fidèles ou par des « donations » venues de France ou de l'étranger, dont l'encadrement peut poser problème, tout autant que l'origine, surtout quand elle est saoudienne. A la date du 29 juin 2015, il y avait en France, 393 projets de construction de Mosquées, dont trois dépassent le million d'euros : Bordeaux, Marseille et Mulhouse1. La grande mosquée de Lyon, inaugurée le 30 septembre 1994, est sortie de terre en grande partie grâce à des fonds saoudiens. « L’Arabie Saoudite nous a accordé le financement qu’elle nous avait promis », rapportait le recteur de la grande mosquée de Lyon au site SaphirNews le 27 août 2014. Le rapport déposé au Sénat le 17 mars 2015 par Hervé Maurey2, sénateur et maire de Bernay (Eure), a pointé du doigt quelques inquiétudes et souligné les avantages que pourrait avoir l'instauration d'un co-financement public complétant le financement par les fidèles, selon les élus locaux (toutes tendances confondues) consultés pour les besoins du rapport, qui ont confié avoir éprouvé : « l’impression d’une certaine opacité dans le financement des lieux de culte musulmans aujourd’hui (liens éventuels entre certains financeurs et des organisations terroristes) et la crainte de financement provenant directement d’Etats étrangers comme l’Algérie, l’Arabie Saoudite ou encore le Qatar (pour ne citer qu’eux) leur suggèrent de prendre des mesures claires afin de réguler ces situations. »
La première inquiétude provient bien sûr de la nature de l'islam salafiste que l'Arabie Saoudite, notamment, finance à coups de pétrodollars depuis plus de vingt ans, et du risque de voir un islam français majoritairement sunnite basculer en partie sous l'influence de la « finance spirituelle » saoudienne. Si les grands projets de « mosquée-cathédrale » comme celle de Lyon ou de Marseille sont des symboles religieux très visibles, les multiples salles de prières (plus de 1500) sont disséminées non seulement dans les cités, comme celle des Minguettes à Vénissieux, fermée le 18 novembre, mais aussi dans les communes rurales, comme à L'Arbresle, visée aujourd'hui par une interdiction préfectorale. "Fréquentée par de nombreux salafistes, dont certains en relation avec des individus pouvant se trouver en Syrie, cette salle, dans le contexte actuel postérieur aux attentats de Paris, présente un risque sérieux d'atteinte à la sécurité et à l'ordre public", explique la Préfecture du Rhône. Le chercheur Samir Amghar, docteur en sociologie à l'EHESS, auteur du livre Le salafisme d'aujourd'hui (Ed. Michalon), estimait en 2012 que : "Selon les renseignements généraux, les salafistes sont entre 12.000 et 15.000 en France, mais les salafistes jihadistes sont ultra-minoritaires", un avis pas nécessairement partagé par son collègue politologue Gilles Kepel, qui jugeait lui, dans le même article de La Dépêche "inquiétant, quand les salafistes imposent leurs règles, par exemple le port du voile intégral, aux autres musulmans". 
Le problème ne provient pas en effet nécessairement du nombre de salafistes mais de leur emprise discrète sur une communauté musulmane hétérogène. Emprise d'autant plus discrète qu'en dépit de la conviction partagées par les spécialistes du renseignement que le recrutement au sein des mosquées a été considérablement réduit depuis 2001 grâce à la surveillance exercée par les services de renseignements, encore faut-il que les pouvoirs publics aient parfaitement connaissance de l'existence d'une salle de prière et que la présence de radicaux salafistes puisse justifier la mobilisation d'une structure de renseignements. En ce sens, le dernier facteur qui complique dangereusement le phénomène est celui d'internet. Depuis une dizaine d'année, on assiste en effet à la montée en puissance d'un islam radicalisé de nouvelle génération, un islam mutant, dont les pratiquants, souvent jeunes, attirés par les mirages romantico-nihilistes du djihadisme, vont parfaire leur progression politico-religieuse sur internet avant même de mettre les pieds à la mosquée, ce qui rend évidemment l'évolution du phénomène encore plus difficile à surveiller. L'Etat d'urgence donne peut-être les moyens aux pouvoirs publics de lutter de façon très éphémère contre le radicalisme islamiste en menant des perquisitions et en prononçant des fermetures par arrêté préfectoral mais cette agitation soudaine a surtout pour effet de médiatiser le laisser-aller dont les autorités politiques portent aujourd'hui la responsabilité, tout autant l'administration de Nicolas Sarkozy que celle de François Hollande ou de Jacques Chirac d'ailleurs, pour ne pas remonter encore plus loin. Et quand la mosquée salafiste de L'Abresle ou des Minguettes est fermée, combien, comme celle de Lunel, sont restées trop longtemps en activité tandis que nos dirigeants continuaient – et continuent encore – à serrer la main des pourvoyeurs de fonds saoudiens. «  Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table », déclarait très récemment le juge Marc Trévidic. L'argent n'a peut-être pas d'odeur mais le djihadisme sent quand même fortement le pétrole.


Egalement publié sur Causeur.fr

1http://www.desdomesetdesminarets.fr/2014/02/04/islam-en-france-plus-de-300-projets-de-nouvelles-mosquees-la-liste/

2 http://www.liberation.fr/societe/2015/03/17/aucune-regle-n-a-ete-posee_1222727

Etude de l'INED 2008: https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19558/dt168_teo.fr.pdf


mercredi 11 novembre 2015

Les vieux gâteux du PAF



Dans sa déclinaison médicale, le terme "gâteux" s'applique à une personne qui souffre d'incontinences urinaire ou fécale. Le vieux français "gaster" était un peu plus imagé en renvoyant au fait d'user, de gaspiller, de répandre un liquide. Nous l'utiliserons avec un certain bonheur pour évoquer tous les vieux schnocks qui squattent le paysage audiovisuel français sans vergogne, répandant ici et là leurs incontinences verbales et leurs bien-pensances surannées. Et ils sont légions à ne pas connaître les joies d'un repos bien mérité après une vie de labeur ! A vrai dire, leur ego boursoufflé, auquel il faut bien sûr ajouter un entregent de vieilles canailles, les pousse à nous livrer quotidiennement une analyse politique dont la profondeur est égale à celle d'une mare aux eaux stagnantes.
         Une émission spéciale a même été créée pour eux : Les grandes voix d’Europe 1. On y retrouve Philippe Gildas (80 ans), Charles Villeneuve (74 ans), Michelle Cotta (78 ans), Gérard Carreyrou (75 ans) et quelques autres pour deviser chaque semaine des événements qui ont agité l’actualité. Pourquoi pas, me direz-vous ? L’idée de confier une tranche de radio à nos « vieilles voix » journalistiques serait intéressante si ces vieilles voix ne disposaient pas déjà d’une myriade d’occasions pour s’exprimer sur les ondes ; sans compter la qualité de leurs interventions, à peu près nulle, nos vieux éphores ânonnant sans discontinuer la même chose depuis Giscard, quand elles ne se gargarisent pas d’accents pompidoliens.

         Dès le matin, elles vous prennent, les vieilles voix, au pied du lit avec l’indécrottable Jean-Pierre Elkabbach (78 ans) qui tance de sa hauteur d’âge les plus ou moins jeunes loups de la politique avec un ton si dédaigneux, au bord de l’insulte, que l’on finirait presque par prendre pitié de ces vautours du suffrage universel. En face, sur RTL, nous ne sommes pas mieux lotis avec la voix traînante d’un Mazerolle (73 ans) qui n’en peut plus de s’écouter parler. Et si jamais vous n’avez pas encore voué l’humanité à vos haines les plus tenaces, il sera encore temps d’écouter la petite leçon de moraline délivrée par notre plus illustre révolutionnaire : Daniel Cohn-Bendit (70 ans) – rarement, il faut l’avouer, un « rouge » comme le valeureux Dany n’aura léché avec autant de bassesse les grandes bottes du capitalisme.

Le midi, l’insupportable Jean-Michel Apathie (67 ans) officie en compagnie du niais de service, Maxime Switek, pour nous livrer une information au cordeau, à peine dégrossie des dépêches de l’AFP. Il faut avoir entendu, au moins une fois, la voix chantante de notre ami pyrénéen répondre avec un mépris que l’humour gras arrive à peine à dissimuler aux « sans-dents » qui osent appeler la station pour évoquer leurs problèmes de pauvres. Heureusement, le soir venu, un autre imparable magicien du postillon, l’insubmersible Alain Duhamel (75 ans), prend le relais pour apporter un peu de hauteur à l’actualité politique. Le môsieur, comme nombre de ses fameux collègues, n’a pas émargé pour rien à Science-po Paris. Nom de nom ! Il tient le même discours giscardo-rocardo-compatible-à-tout depuis des lustres. Un coup au centre-droit, un coup au centre-gauche, ça reste le meilleur moyen de garder sa place au soleil. Vous en voulez encore ? Et bien au même moment, une nouvelle fois sur Europe 1 (championne toutes catégories du gâteux), le Club de la presse jonglera entre Robert Namias (71 ans), Philippe Gildas encore (80 ans ), Michelle Cotta encore (78 ans), Catherine Nay (71 ans), pour passer au crible de ces questions sans concessions un invité blafard, à peine démoulé d’un quelconque parti à la con.

Et si jamais, la nuit venue, enfoncé dans votre canapé mou, il vous venait à l’esprit d’allumer le poste maudit de la télé, c’est une ribambelle de vieux rigolards, la bave aux lèvres, qui vous scruteront de leurs yeux plissés, encore tout heureux d’être là, indéboulonnables. Pierre Lescure (70 ans), môsieur le président du festival de Cannes, vous fera part sur France 5 de ses grosses blagues bien grasses tandis qu’il caressera le dos de tous ses copains artistes. Franz-Olivier Giesbert (67 ans), entouré de trois nymphes plus imbéciles les unes que les autres, orchestrera un débat intellectuel d’une rare platitude. L’on en viendrait presqu’à rire avec lui d’un cynisme assumé, revendiqué, rémunéré. Et le week-end, quelle merveille ! L’enfant terrible de la télé, aussi anticonformiste qu’une huître accrochée à son parc, Thierry Ardisson (67 ans), invite deux-trois artistes sans intérêt, un morpion de la politique et une personne de la société civile (qui aura à peine l’opportunité de dire une demi-phrase) pour un show aussi vide que prétentieux.

Heureusement, le dimanche, il y a Michel Druker (73 ans)….. 



dimanche 8 novembre 2015

Fight Club sur ton mobile


Est-ce un canular ou une simple opération de com’ ? Le site Ubergizmo.com rapporte qu’une nouvelle application attendrait l’accord d’Apple pour débouler sur les smartphones : il s’agit de Rumblr – dont le nom est inspiré de la célèbre plateforme de blog Tumblr et du terme anglais « rumble » qui signifie « bagarre ». Vous l’aurez compris, Rumblr est donc une application servant à chercher la baston. Elle fonctionnerait sur le même principe que la non moins célèbre application de rencontre Tinder, mais sur un principe plus guerrier : il suffirait de lancer Rumblr pour que votre téléphone repère dans le proche voisinage tous les utilisateurs connectés qui comme vous cherchent une bonne occasion d’échanger des bourre-pifs. 


Plaisir d’offrir, joie de recevoir… On pourrait ainsi parcourir les photos de profil des aspirants au pugilat et sélectionner celui ou celle à qui l’on souhaite faire une tête, en accompagnant le défi d’un message type : « la photo c’est celle de ta dernière raclée ou t’es le fils caché de Picasso et de Mimi Mathy ? » Heureusement, les photos de profil sont aussi accompagnées de précisions essentielles telles que taille, poids et expérience dans les sports de combat, tout ceci afin d’éviter de provoquer par erreur Mike Tyson en lui conseillant d’aller manger les oreilles de sa mère. Après avoir sélectionné un adversaire à votre hauteur (Teddy Riner ou Sim), il ne vous restera plus qu’à choisir sur la carte qui s’affiche le cadre de l’affrontement dans le voisinage : parking souterrain, terrain vague ou entrée de boîte de nuit.



Si le concept vous rappelle très franchement le film Fight Club, rassurez-vous c’est sans doute fait exprès. Mais considérant que les duels ont été interdits par le Cardinal de Richelieu en France le 6 février 1626 (le dernier duel connu eut lieu en 1967 à Neuilly entre Roger Ribière et Gaston Deferre, qui avait traité le premier d’abruti en pleine séance parlementaire, on savait vivre à l’époque et on choisissait encore de régler les problèmes à l’épée au lieu d’aller chouiner devant un tribunal), la commercialisation d’une application comme Rumblr risquerait assez vite de poser quelques problèmes aux pouvoirs publics. On imagine en effet le succès et les multiples déclinaisons possibles d’un concept qui risquerait fort de faire rapidement des émules. Les utilisateurs de Gleeden, Tinder, OKCupid ou AdopteUnMec pourraient ainsi se ruer sur Gleedentagueule, Triplex, KOCopain ou AdopteMesPhalanges pour se détendre entre deux râteaux coûteux en allant échanger des pains à défaut de rouler des pelles. 


Pas sûr qu’Apple ou un autre accepte un jour de commercialiser une telle invitation au défouloir et au passage à tabac organisé, d’autant qu’il serait aussi possible de sélectionner sur son téléphone les combats en cours pour y assister comme un bon gros voyeur, ce qui transformerait à n’en pas douter Youtube en un week-end en une plate-forme d’hébergement de snuff movies alcoolisés et ferait sans doute imploser les services d’urgences des centres hospitaliers de toutes les villes de France. Il y a peu de chances donc que le Fight Club version mobile voit le jour dans un proche avenir et c’est un peu dommage tant on se prend à rêver aux différentes applications possibles. Imaginez Nicolas Sarkozy quittant soudain une conférence de presse en laissant sa veste sur son pupitre devant l’assistance médusée parce que Manuel Valls vient de lui donner rendez-vous sur le plus proche terrain vague ? Pierre Menès poké par Patrice Evra ? Marine Le Pen tombant sur le profil d’Edwy Plenel ? Et pour peu que Laurent Joffrin  ou Bruno-Roger Petit décident de s’inscrire, cela deviendrait une application d’intérêt public. 


vendredi 6 novembre 2015

La Pagode ferme ses portes

« Chers spectateurs,
C’est avec regret que nous vous annonçons notre départ du cinéma la Pagode.
Nous nous sommes battus juridiquement pendant 3 années contre la propriétaire des lieux qui souhaitait récupérer la Pagode.
La décision a été rendue vendredi 30 octobre en appel et malheureusement, elle nous est défavorable.
Nous sommes donc dans l’obligation de quitter la Pagode le mardi 10 novembre 2015. »

C’est par ces quelques mots, qui introduisent l’annonce collée sur les portes d’entrée, que les clients et habitués de la Pagode, ont pu apprendre la fermeture prochaine de cette salle mythique, haut-lieu du cinéma d’art et d’essai, situé au 57 bis rue de Babylone, dans le VIIe arrondissement de Paris.
En 1959, Jean Cocteau avait choisi la Pagode pour la toute première projection du Testament d’Orphée, convaincu qu’il s’agissait bien là du « temple du cinéma », comme l’avait dénommé quelques années plus tôt Ciné Magazine. Avec son luxuriant jardin japonais, élaboré sous l’impulsion des frères Louis et Vincent Malle en 1973, et les fresques orientales et guerrières de sa « salle japonaise », la Pagode peut en effet faire figure de temple à la Loti ou à la Mirbeau. Construite en 1896, l’ouverture de la salle a suivi de quatre ans la publication duFantôme d’Orient de Loti et précédé de quatre celle du Jardin des Supplices. Sur les murs et le plafond de la « salle japonaise », l’orientalisme déroule ses ors et ses tentures dans une luxuriance à laquelle les grands complexes de cinéma ne nous ont pas habitués.
La Pagode fut d’abord un cadeau, de François-Emile Morin, patron du Bon Marché, à sa femme qui lui fut peu reconnaissante puisque, nantie de ce petit Taj Mahal parisien, elle plaqua son généreux époux pour aller batifoler avec le jeune fils de son associé. Haut-lieu des frivolités de la Belle-Epoque, la Pagode fera office de somptueuse salle de réception jusqu’à une fermeture provisoire en 1927 et son ouverture au grand public en 1931, date à laquelle elle devient un autre temple, celui du 7e art, en se transformant en salle de cinéma. Une salle de cinéma unique à Paris, où l’on pouvait encore récemment se consoler de voir un film décevant en admirant les splendides décorations de la grande salle.

La "salle japonaise". Photo Jean-François Chapuis

Dans les années 1960, la Pagode est investie par la Nouvelle Vague et devient l’épicentre de la cinéphilie et de l’avant-garde cinématographique. Truffaut, Rohmer, Louis Malle y sont régulièrement programmés et la salle devient l’un des temples du cinéma d’art et d’essai avant même que ne soit créée officiellement l’AFCAE, l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai en 1956, dont la Pagode devient, avec le Louxor, l’un des établissements emblématiques. Que va devenir aujourd’hui ce lieu mythique, dont le jardin, la toiture et la grande salle sont classés aux monuments historiques depuis le début des années 1990 ? A la différence des jardins et du bâtiment, l’écran qui a participé à l’histoire du cinéma français, lui, n’est pas classé aux monuments historiques. Et rien ne garantit qu’après la fermeture du 10 novembre prochain l’avenir de la Pagode en tant que cinéma sera assuré.
L’aboutissement, le 30 octobre dernier, de la procédure qui a opposé la propriétaire des lieux au gérant, la société Etoile-Cinéma, a débouché sur la décision de fermer les portes de la Pagode. Une décision apprise avec consternation par les employés comme par les spectateurs. Parmi ces derniers, un certain Jean Rochefort, habitué de la Pagode, a, comme beaucoup, appris par hasard que son cinéma allait fermer, en venant voir un film. L’inoubliable interprète du « Vieux » dans le Crabe-Tambour a immédiatement tenu à apporter son soutien public au personnel de la Pagode et à exprimer son désarroi face à une fermeture « impensable » pour lui.
Mais les protestations de Jean Rochefort et des amoureux du cinéma ne suffiront peut-être pas, cette fois, à sauver la Pagode qui avait déjà navigué en de mauvaises eaux au début des années 2000, avant d’être récupéré par Jean Henochsberg, d’Etoile Cinémas. Le gérant chassé des murs, le coup paraît cette fois bien rude et si la propriétaire des lieux a promis que La Pagode resterait un cinéma, rien n’annonce sa réouverture prochaine et l’on n’a aucune certitude quant au sort réservé à ses employés. On serait aussi curieux de connaître, sur la question, l’avis d’Anne Hidalgo, de Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, ou de Fleur Pellerin, ministre de la Culture. Cette dernière posait le 30 octobre dernier en compagnie de la promotion de CinéFabrique, l’Ecole du Cinéma et du Multimédia à Lyon, et déclarait vouloir « construire le cinéma de demain ». Le cinéma continuait à exister localement et au jour le jour sur les écrans des salles d’art et d’essai comme la Pagode, mais son avenir paraît aujourd’hui bien sombre.

Photo: Jean-François Chapuis



Publié également sur Causeur.fr