samedi 30 mars 2019

IDIOCRATIE, la revue !


Chers amis idiocrates, vous pouvez désormais vous procurer la revue IDIOCRATIE dans les librairies suivantes :

·        L’écume des pages, 174 boulevard Saint-Germain, 75 006 Paris
·        Librairie Compagnie, 58 rue des Ecoles, 75 005 Paris
·        Librairie Parallèles, 47 rue Saint-Honoré, 75 001 Paris
·        La Nouvelle Librairie, 11 rue de Médicis, 75 006 Paris

·        La Procure, 3 rue de Mézières, 75 006 Paris

Ainsi qu’à Rennes, chez un bouquiniste présent tous les jours (sauf le dimanche et jours de pluie...) sur la place Hoche.  




Sinon, la revue est toujours disponible grâce au paiement en ligne sécurisé :

-        Le numéro Moins Un pour la somme de 10 euros, en cliquant ICI

-        Les numéros Zéro et Moins Un pour la somme de 15 euros, en cliquant ICI

      Si vous préférez payer par chèque, envoyez-nous un mail à l'adresse suivante : 
bienvenueenidiocratie@gmail.com

  

Sommaires des numéros Zéro et Moins un :




lundi 25 mars 2019

Revenants III : Ludwig Lewisohn


« - On était des garçons bien tranquilles tous les deux, et c’est toujours les meilleurs, justement, qui tombent sur des mauvaises femmes… Tu n’as pas remarqué ? »
(Marcel Aymé)




La destinée du Destin de Mr Crump est bien étrange : d’abord refusé par tous ses éditeurs pour atteinte aux bonnes mœurs, acclamé par Thomas Mann qui le préfaça, salué par Freud qui voyait en lui un chef d’œuvre, ce roman a débuté sa carrière en accédant d’emblée au statut, tant prisé aujourd’hui, d’ouvrage maudit et sulfureux. Le scandale durant peu, il bénéficie désormais de l’indifférence bienveillante accordée aux livres dont la charge subversive semble éteinte. La vie de Lewisohn n’offrant aucune prise au pittoresque littéraire, c’est donc fort naturellement qu’il fut oublié au second rayon ; un bref hommage de Michéa dans une note de bas de page de L’empire du moindre mal signalant son importance et surtout son étonnante actualité n’y fera rien.

L’histoire, banale, ne présage en rien de sa violence: un jeune homme, esthète et pauvre, rêve d’une carrière de musicien et, pour son malheur, croise une femme de vingt ans plus âgée, Anne Bronson, fausse poétesse et vraie garce, qui deviendra sa maîtresse, puis sa femme, et s’emploiera à faire de lui son esclave, son dévoué mulet, convaincue « que les femelles de l’espèce humaine ont un droit imprescriptible à vivre toujours en parasite aux dépens des mâles. » Dès lors, le couple se réduira à un pur rapport de force, à la tentative de domination totale d'une volonté sur une autre, sans place aucune pour l'ambiguïté, la maladresse, la déception ou le simple malentendu, ce "pullulement de méprises" élégamment disséqué par Chardonne, autre grand romancier de la vie conjugale.

S’est imposée une lecture paresseuse de l’ouvrage, qui explique en partie la désaffection dont il souffre : celui-ci serait scandaleux car il dénoncerait « la condition de la femme au XIX siècle puritain », « l’hypocrisie des conventions sociales » et « l’enfer du couple », bref serait en phase avec tous les poncifs de la rhétorique progressiste assénés depuis un demi-siècle. Sans être fausse, cette lecture convainc peu. Le scandale réside davantage dans le fait que ce roman nous présente un type de femme qui, au contraire, s'accommodant fort bien de sa de sa condition de mineure, d'être fragile et donc d’éternelle victime de la prétendue muflerie des hommes, en tire un parti avantageux qui lui permet, en toute circonstance, de faire triompher ses plus minables intérêts. A tout cela, on répliquera bien entendu que c’est précisément un ordre social inégalitaire qui pervertit la femme. Pourtant, le livre achevé, il est impossible de concevoir une Mrs Crump pacifiée, apaisée par la magie de l’émancipation, du travail salarié et des sacro-saintes « responsabilités ». Nous l'imaginerions plutôt évoluer parmi ces harpies connectées qui « balancent » leur porc, glapissent leurs « me too » et envisagent sereinement la castration en masse de tous les white male, ou bien en DRH à forte mâchoire d'une quelconque multinationale, voire, - pourquoi pas? en candidate à la présidence des Etats-Unis. 


 

Ce roman est l’exploration des zones d’ombre de la pscyhé féminine, ce « continent noir » selon Freud. Sa violence s’y révèle à nu: manipulations, menaces, chantages affectifs, esclandres, humiliations, violence qui prend le tour d’une véritable guérilla psychologique au quotidien. L’art de rendre l’homme fou n’avait jamais été si bien illustré. C’est également la parfaite mise en scène, bien avant l’existence même de ce concept, de la trop fameuse « perversion narcissique », car au-delà des avantages matériels que Mrs Crump tire de l’exploitation de son mari, c’est surtout pour se sentir plus grande qu’elle s’acharne à le diminuer à ses propres yeux et ceux du monde, qu'elle exige de sa part une soumission non seulement totale mais consentie, mieux, enthousiaste. 
 
Mrs Crump incarne, sous une forme pathologique, un certain orgueil féminin, lequel, abreuvé au romanesque le plus fade du XIX ème siècle, s'autorise tous les abus: « Elle ne pouvait, somme toute, jamais supporter la moindre atteinte à la vénération due à son sexe. Elle ne douta jamais de son talent à forcer cette vénération et à la mériter. A soixante ans, négligée et flétrie, affligée de quelques-unes des infirmités les plus laides qu’on puisse avoir à cet âge, son intransigeance sur ce point était aussi absolue et démesurée qu’elle l’avait été au temps de sa jeunesse et de sa jeune maternité. »

 
 
Dans Crime passionnel, roman inégal mais tout aussi lucide, Lewisohn montre qu’il ne croit pas davantage aux bienfaits du féminisme dont il observe les débuts, à Greenwich village, durant l’entre deux guerres. Il comprend, bien avant ses confrères, qu’il est seulement la poursuite du puritanisme par d’autres moyens, et, qu'animé essentiellement par un désir de vengeance, il ne peut mener qu'à une incessante guerre des sexes ; finalement, l’individu moderne, « émancipé » ou pas, souffrira toujours du même mal : celui du défaut d’incarnation. La lutte engagée entre ceux qui refusent le corps au nom de l’esprit et ceux qui se soumettent sans réserve à ses exigences pour mieux dénier à la personne toute dimension spirituelle, est sans issue. Dans cette impasse nous piétinons toujours, hélas, sans doute pour longtemps.

Retrouvez François Gerfault dans les deux numéros d'Idiocratie (cliquez ci-dessous) 


https://idiocratie2012.blogspot.com/2019/01/idiocratie-commandez-vos-numeros.html







vendredi 15 mars 2019

Cohérence



"La cohérence de mon parcours, c'est le refus de la fatalité."
(Jacques Toubon)

lundi 11 mars 2019

L'Oeil vivant de Starobinski


Âgé de 98 ans, Jean Starobinski a achevé à deux ans près la boucle centenaire d'une vie consacrée à la littérature et à l'esprit. Cet éloge funèbre n'a rien d'exagéré. D'origine juive polonaise, fils d'Aron Starobinski et Szajndla Frydman, l'inoubliable auteur de Montaigne en mouvement1 était médecin, psychiatre, professeur de lettres, historien et philosophe. Ce polymathe titulaire à la fois d'un doctorat de lettres et de médecine aura voué son existence, de sa thèse soutenue en 19602 en passant par les Trois fureurs3 en 1974 jusqu'à La Beauté du monde en 20164, à arpenter les rivages du spleen et de la mélancolie dans la littérature ou la psychanalyse et à explorer les territoires de l'intime et du roman du Moi, passant de Rousseau à Stendhal, Montaigne, Baudelaire, Shakespeare ou Freud, et voyageant sans cesse entre la théorie littéraire, l'herméneutique, la philosophie et l'histoire de la médecine, à la recherche de la clé de l'énigme de ce que Denis Diderot nommait « le sentiment habituel de notre imperfection », fantastique moteur de la création intellectuelle. Ami d'Yves Bonnefoy ou de Georges Poulet, Starobinski sera resté fidèle à la Suisse et à Genève toute sa vie, recréant, avec d'autres penseurs de « l'Ecole de Genève », une véritable communauté philosophique dans la capitale helvète, comme une reproduction en miniature de la République des Lettres. Les médias ont réservé au philosophe un hommage plus que discret ces derniers jours. Il y a dix ans de cela, la mort de Julien Gracq, un des derniers géants de la littérature, achevait une époque. Avec Starobinski, un des derniers grands critiques et philosophes, c'est à nouveau une part de l'esprit du Vieux Continent qui tire sa révérence.












Jean Starobinski. L'Oeil vivant. Gallimard. 1961


1 Gallimard. 1982
2« Histoire du traitement de la mélancole des origines à 1900 », thèse, Acta psychosomatica, Bâle, 1960
3 Gallimard. 1974
4 Gallimard

dimanche 10 mars 2019

Communiqué : A propos de "l'affaire Boyd Rice".



A l'occasion de notre atelier « Déconstruction(s) etdiététique », consacré aux problématiques non-cisgenre de l'intersectionnalité transversale et à la transgression micellaire, nous avions décidé de questionner la notion de « limite(s) » en donnant carte unicolore1 à l'uns de nos collaborateurs, particulièrement investi par ailleurs dans la lutte contre colonialité, capitalisme, racisme et misogynie dans tous les domaines de l'existant. Ce collaborateur que, pour des raisons légales, nous ne nommerons que E.B., est une figure bien connue de la nuit parisienne, qui débuta de façon modeste sa fulgurante carrière au début des années 80 comme nettoyeur de vitres de peep-show, avant de prendre la direction de la buvette de la Queerweek, lors de la première édition de l'événement en 2009. Il s'est depuis plus largement engagé dans la promotion des événements de cet événement culturel, en tenant en 2018 la billetterie de la soirée Q en non mixité MeufsGouinesTransInter, ou en puisant dans ces (volumineuses) archives personnelles pour fournir de multiples documents vidéo à l'occasion d'une conférence - restée dans les mémoires - sur la représentation des sexualités trans dans le porno et le post-porn (suivie d’une discussion). Nous avions donc toute confiance quand il nous a présenté M. Boyd Rice comme un « artiste californien à la démarche profondément disruptive tout à fait apte à initier une entreprise de conscientisation fondée sur une communication militante pour se positionner de manière forte entre la journée de la femme du 8 mars et le démarrage de la Queerweek le 16 mars. »




Nous ne connaissions pas encore bien le travail de M. Boyd Rice mais, soucieux à Idiocratie d'être constamment en agilité afin de pouvoir briser les silos, nous avons décidé, sur la base du jugement de E.B., de faire confiance à M. Boyd Rice afin de concevoir un happening numérique susceptible d'infuser de la disruption dans le corpus métanormé de notre quotidien et questionner nos représentations. Car rappelons-nous toujours que, pour l'immense Nelson Goodman : « Ces propriétés de disjointure et différenciation doivent également se retrouver sur le plan sémantique pour les classes de concordance qui doivent donc elles aussi être disjointes, sans aucune intersection (condition de la « disjointure sémantique ») et posséder des sens différenciables les uns par rapport aux autres, condition de la différenciation sémantique. »2 Ce sont ces principes que nous entendons toujours garder à l'esprit et qui guident notre action. L'enthousiasme de E.B., qui nous répétait sans cesse : « On va les casser vos silos, vous allez voir ! », a fait le reste et nous nous sommes laissés convaincre de centrer notre participation à la journée de la femme autour de l'oeuvre de M. Boyd Rice, en espérant qu'Idiocratie pourrait ainsi s'imposer comme force de pro-position contre toute forme de réductionnisme cognitif et obtenir – pourquoi pas – notre stand à la Queer week où E.B. a, prétendait-il, « ses entrées ».3 Nous avons eu tort. 


Le silence entourant notre initiative, sur les réseaux sociaux et dans les cercles parisiens, en dit long sur la polémique qui enfle. Il faut savoir prendre ses responsabilités et nous sommes prêts, à Idiocratie, à reconnaître que notre initiative, fondée sur les meilleurs intentions, a raté son objectif. E.B., que nous avons sans succès tenté de recontacter depuis afin d'obtenir des explications, reste injoignable, ne manifestant visiblement et également aucune intention de rembourser les 1500€ que nous avions accepté de lui prêter pour régler, selon ses propres dires, « des frais de dossiers, des conneries ». Quant à M. Boyd Rice, nous avons tenté à de multiples reprises de le contacter afin d'obtenir des explications de sa part, quant à la vidéo tout à fait choquante qu'il nous a fait parvenir et que nous avons publié sur la recommandation de E.B., il nous a fait parvenir, après de multiples relances, la réponse suivante : « Do you want total war ? »


Ce discours agressif nous a semblé inacceptable et nous l'avons immédiatement considéré comme une forme de micro-agression. Conscients, néanmoins, de l'état psychologique fragile de M. Rice, actuellement tenancier de débit de boisson à Hawaï, nous avons décidé de ne pas engager pour le moment de poursuites ni de reprendre contact avec cette personne. La violence inexplicable de ses propos est une démonstration suffisante de la gêne et du sentiment de culpabilité qui doivent en ce moment habiter M. Rice après sa piteuse prestation. Quant au silence de E.B., nous le mettrons sur le compte de la crainte d'être jugé après s'être ainsi fourvoyé. Nous tenons à le rassurer sur ce point, soucieux que nous sommes, à Idiocratie, de ne jamais souscrire à ce genre de pratique et de ne pas formuler de jugements normatifs qui participeraient dans leur principe à la promotion de l'intolérance, de la discrimination et, en un mot, du fascisme. Cela, jamais la situation ne saurait l'excuser. S'il pouvait cependant nous rendre les 1500€ qu'il nous doit et régler les amendes de stationnement qui nous sont adressées en son nom, cela nous aiderait à boucler la trésorerie ce mois-ci et puis il faudrait aussi qu'on reparle des entrées à la Queer week.

Ce communiqué avait donc pour objectif de renouveler nos excuses auprès de nos lecteurs.trices qui ont pu être choqué.e.s par une initiative mal préparée et mal comprise. Nous aurions dû faire – et ferons à l'avenir – preuve de plus de pédagogie pour que chacun.e puisse mieux comprendre le sens de notre démarche et nous espérons que ces éléments contextuels aideront ceux/celles/ça qui nous soutiennent à mieux envisager l'arrière plan conceptualo-pratique et militant qui a abouti à ce que nous ne devons pas craindre de considérer comme une demi-réussite mais qui reste cependant propice à susciter un débat constructif et à impulser une nécessaire dynamique de conscientisation.




Retrouvez encore plus de disruption cognitivo-délimitative dans les pages du numéro Zéro et du numéro Moins Un de la revue Idiocratie
https://idiocratie2012.blogspot.com/2019/01/idiocratie-commandez-vos-numeros.html




1 Rappelons que nous avons banni l'expression racisée « carte blanche » au profit de « carte unicolore » à l'issue du dernier brainstorming équitable organisé du 31/12/2018 au 01/01/2019 dans les locaux de l'Association « Décolonise ta life ! » qui promeut le principe des micro-mobilisations ponctuelles afin de déconstruire petit à petit la structure dominante du patriarcat blanc (sic) hétérosexuel catholique colonial et favoriser l'émergence et la convergence des micro-luttes par capillarité.
2 DIS-Jonc/sion. Editions Sinusoïde. Caracas. 1971
3 Affirmation souvent ponctuée d'un bon gros rire gras et fort énigmatique.

vendredi 8 mars 2019

Boyd Rice et la journée de la femme






La rédaction d’Idiocratie tient à présenter ses plus sincères excuses aux lecteurs.rices qui auraient pu être choqué.e.s par cette performance de l’artiste californien Boyd Rice. Elle souhaite également leur présenter ces quelques éléments d’explication qui leur permettront, elle l’espère, d’appréhender au plus juste cette démarche artistique atypique laquelle, pour être radicale, n’en est pas moins hautement polysémique, riche en sens et en interprétations multiples autant par son goût de l’ellipse, de la provocation, que par sa préférence marquée pour l’inachevé.


C’est peu dire que Boyd Rice gêne. En fait, Boyd Rice dérange et ce dérangement est à bien des égards significatif. Significatif car questionnant. Comment, en effet, comprendre cette brève performance sonore? L’erreur serait de s’en tenir à la supposée gratuité de l’agression verbale, de n’y voir qu’une lourde démonstration d’ironie visant, une fois de plus, à présenter la féministe comme une incorrigible peine à jouir, à jamais réticente à la fellation, alors même - et elles sont des millions à le prouver chaque jour - qu’elle sait la pratiquer hardiment, en tout lieu et à toute heure, dans la vraie vie comme sur son lieu de travail. Non, Boyd Rice se moque avant tout, avec cette froideur menaçante qui lui est propre, de nos fausses valeurs, préjugés et idées reçues. Ce sont nos biais cognitifs qui sont ici frontalement interrogés et raillés dans une vertigineuse mise en abyme qui apparaît pour ce qu’elle est : l’infernale chambre d’échos de la non-pensée inégalitaire. Les rires de la fin de l’enregistrement ne doivent donc pas tromper : ils sont ceux du white male de demain - ou plutôt d’après-demain, lequel, parfaitement conscientisé, aura enfin appris à rire de bon coeur de son machisme d’antan, de ses archaïques réflexes, de sa brutalité innée, que trop d’entre nous, aujourd’hui encore, feignent de croire éternel.e.s. En convoquant cette œuvre de Boyd Rice, Idiocratie a donc souhaité, à sa manière, délivrer un message d’espoir à toutes les féministes en colère.





jeudi 7 mars 2019

Ernst Von Salomon contre la Grossophobie


« J’aime être gros. On ne s’est empressé de m’accorder des crédits qu’aux époques ou j’avais de l'embonpoint. Je n’ai jamais travaillé avec autant d’aise qu’en éprouvant la sensation de la plénitude même corporelle et j’ai fait l’expérience que les femmes ont surtout confiance dans les hommes corpulents. En politique, les hommes gros jouissent d’une sympathie générale. On ne croit pas trop à leur fanatisme et l’on est tenté de faire appel à leur côté humain, citant le mot de Shakespeare, ce grand psychologue, qui met dans la bouche de son César : « Entoure-moi d’hommes corpulents, à la tête chauve et qui dorment bien la nuit ».

Ernst Von Salomon Le Questionnaire



samedi 2 mars 2019

Tulipes d'orage

 
Les grands livres poursuivent généralement un dessein autre que celui qui apparait de prime abord, laissant ainsi carrière à la surprise et à l'aventure. Là où l'on serait tenté de ne voir que des chroniques concernant l'usage de la langue française, se loge, comme dans un « logis alchimique », une poétique et une métaphysique. Loin de n'être que le gardien du « bon usage », tel que le conçoivent les professeurs et les académiciens, Philippe Barthelet veille sur le seuil, car la langue n'est pas seulement un instrument de communication (et l'on ne sait que trop à quoi elle se réduit souvent) mais une manifestation du Logos. Reprendre nos contemporains lorsqu’ils parlent et écrivent n'importe comment, en sabir pédant ou en traduidu, n'est pas seulement une question de forme, - ou bien elle l'est au sens le plus profond, la forme n'étant autre, par étymologie, que l'Idée, ainsi que le savaient les platoniciens, et après eux, nos théologiens du Moyen-Age.
Le roman de la langue, dont Tulipes d'orage est le sixième tome, n'est pas un addenda au dictionnaire, mais bien, comme son titre l'indique, une tentative romanesque et romane, de raviver la puissance des mots français et de contrebattre leur avilissement. Par ce vaste Traité contre le ternissement, l'usure, la tristesse des vocables abandonnés à l'idéologie et à la publicité, nous apprenons que la langue française, vivace, est de nature à traverser le pire hiver, celui où nous sommes, avec ses « auteures » et son « écriture inclusive ».
Chaque livre a son usage. Les uns nous distraient de ce que nous ne pouvons ou ne voulons voir, les autres nous « informent », avec l'inconvénient, précisément, de porter souvent atteinte à la forme la plus heureuse de la pensée, qui, pour être, n'a besoin que de peu d'aliments, frugale par nature, et de pratique épicurienne. D'autres livres nous laissent songeurs, invitations au voyage. Plus rares encore ceux qui répondent à une attente essentielle et qui tiennent leur place, royale, aussi bien contre le temps qu'en faveur de ce qui, dans le temps, demeure et se perpétue, - disons la Tradition, qui vaut bien une majuscule, et dont nous apprenons, par ce Roman de la langue, qu'elle n'est pas un conservatisme jaloux, une réaction morose, mais le cours même de la rivière, celle qui féconde les paysages qu'elle traverse, et dont les œuvres françaises sont les scintillements, les épiphanies, sous l'irrécusable et catholique soleil du Verbe. 



Au temps des « identités » abstraites, fabriquées et vindicatives, qui menacent de faire disparaître, de façon impure et compliquée, par décomposition, cette disposition providentielle que fut la France, il importe, plus que jamais, de ne pas se tromper de combat, et de fonder notre souveraineté, non dans ces mouvantes et fragiles institutions que les politiciens ravagent à loisir, mais dans la seule évidence qui peut encore en témoigner : notre langue, laquelle tient à distance le pathos, la lourdeur et le système, et nous donne ainsi la chance d'être moralistes, en évitant d'être moralisateurs.
La langue se dégrade à mesure que l'idéologie des moralisateurs l'imprègne. La fausseté, à la différence des mauvaises pensées, qui se donnent et apparaissent comme telles, ne peut se dire dans une langue juste. C'est une bien funeste illusion que de croire que « notre bien, notre beau » sont ailleurs que dans notre langue, d'imaginer la reconquête ailleurs que dans une Matinée d'ivresse, de vouloir une souveraineté qui ne fût « dans une âme et un corps ». C'est assez dire que dans le roman de la langue française, que prolongent ces Tulipes d'orage, nous sommes plus proches de Rimbaud ou de Scève que du Bescherelle ou même du Littré, - c'est dire que nous sommes loin, comme le cerisier en fleur l'est de la folie des hommes dans le poème qui figure en exergue du Hagakuré.
Loin de ce monde, c'est bien dire au cœur du silence qui règne sur toute formule heureuse, à la façon d'un ciel sur le feuillage. Le roman de la langue guerroie contre la langue défigurée et appauvrie, non par un goût vétilleux de la « correction », mais en appel à d'impondérables et indéfectibles richesses nues, - les plus hautes fidélités étant légères, comme le vent qui souffle où il veut.
Luc-Olivier d'Algange

Retrouvez Luc-Olivier d'Algange dans le dernier numéro d'Idiocratie.



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