dimanche 26 février 2017

Populisme d'en bas contre populisme d'en haut


On le sait, l’idéologie apprécie peu le réel, elle s’en moque, et ne le considère qu’à la condition qu’il la conforte. On le sait moins, nous sommes tous des idéologues car qui pense, pense toujours à partir de son giron – velléité protagoricienne, nous sommes, dans le jugement de valeur, toujours la mesure de toute chose, mais toute chose n’est pas à notre mesure et ce qui marque la dignité de celui qui s’essaye à la Pensée revient justement à savoir qu’à la fin il ne saura rien. Socrate corrige Nietzsche. Les choses se gâtent quand Nietzsche se confond avec Socrate.

 
Ainsi le pauvre Théo, fruit de la fixation mentale d’une élite « artistique » qui rejoue, au bord du gouffre, la ritournelle qu’elle joue depuis quarante ans, dans un ultime tour de piste, persuadée de s’offusquer contre une vérité directement sortie de Dupont Lajoie et qui, depuis le film d’Yves Boisset, s’est a minima atténuée. Le flic de Cabu, ivrogne raciste, espèce de S. A. en béret, déambulant en meute à la recherche de jeunes beurs à ratonner histoire de distraire sa cuite, a fait long feu pour laisser place à une réalité ultra violente plus proche du Détroit de Robocop que d’un film français ou d’une chanson de rap conscient des années 90. Mais peu importe puisque Patrick Bruel, Omar Sy, Josiane Balasko et Steevy Gustave (sic), pour ne citer qu’eux, entendent bien s’amuser encore au jeu de la bienpensance hypostasiée en vertu rebelle, sans payer quoi que ce soit puisque, comme d’habitude, c’est la réalité qui rince. Pourrait-on leur reprocher cet aveuglement criminel, le refus des faits qui semblent à mesure que l’enquête progresse instiller une relation plus complexe des événements ? Non, ils donnent leur avis auquel ils s’accrochent, sans se soucier d’y réfléchir, parce qu’il définit les limites d’un monde qui est le leur et qu’ils habitent heureux, qu’ils ont construits selon leurs repères eux-mêmes circonscrits entre un compte en banque, a priori plutôt bien approvisionné, un ou deux arrondissement parisiens, et leurs amis dont on peut parier qu’ils naviguent entre les mêmes frontières citadines, munis des mêmes richesses. Ceux-là forment un peuple, certes privilégié, mais un peuple malgré tout qui, comme tout peuple, peine à imaginer qu’il ne puisse pas envisager toute chose à sa mesure et qu’en dehors de lui existent des réalités différentes soumises à des conditions qui ne soient pas simplement les variations plus ou moins ample d’un bonheur promis à tous. Que le chaos tonne par delà leur univers, ils ne le mesurent pas, que gronde la révolte, peu leur importe pour la raison qu’ils ne désirent pas se révolter et que le chaos demeure une vue de l’esprit pour ceux-là qui connaissent depuis longtemps l’ordre, le luxe, le calme et la volupté.



On parle beaucoup de populisme ces temps-ci, la pétition pour Théo en figure un flagrant exemple : l’expression directe d’un ressenti que rien ne fonde autrement que parce qu’il est partagé par ceux qui l’expriment. Populisme d’en haut dont on peut se demander s’il est, à bon droit, si différent de celui d’en bas que l’on pourrait résumer d’un slogan en deux mots : un « ça suffit ! » – reconnaissons-le – légitime lancé à l’encontre de celui d’en haut. En revanche, il n’est pas certain que le populisme d’en bas soit la solution à celui d’en haut et qu’au contraire de lui il pense soudain et s’acharne à la mesure socratique au détriment de l’Hubris nietzschéenne pour laquelle un fait se limite à un interprétation relative à un ventre, ni que cette décence commune que certains invoquent et que l’on n’a jamais vu nulle part, pour la raison qu’elle n’est jamais populaire mais aristocratique – quand même elle se manifeste chez des gens du peuple –, soit une décence plus « vraie » que celle de Josiane Balasko, Patrick Bruel, Omar sy ou Steevy Gustave (sic), pour ne citer qu’eux. D’ailleurs on imagine sans peine que le populisme soit rien moins que l’idée fixe de l’élite étendue aux dimensions du peuple, et réciproquement ; cela s’appelle la démocratie et cela n’empêche pas le gouffre…


samedi 18 février 2017

Mauvaise nouvelle pour les idiots : l’idiocratie est une bonne nouvelle


La conversation est ouverte entre MauvaiseNouvelle et Idiocratie ! Une joute courtoise  ? Non un zinc bavard tout au plus.

MauvaiseNouvelle : Nous pourrions commencer par nous interroger sur les deux noms de nos sites et notre volonté d'avoir créé ces sites. Je perçois pour ma part, que ce soit dans le nom d'Idiocratie ou de Mauvaise Nouvelle la volonté de révéler toute l'ironie du temps. L'ironie du sort est pour moi le seul et unique moteur à toute narration. Tel est Dieu qui finit cadavre, et tel est cadavre qui devient nourriture. L'arroseur arrosé redevient arroseur. C'est en percevant l'ironie nichée dans notre monde que nous pouvons encore muter ce dernier en écrits, faire en sorte qu'il se livre. C'est aussi une façon pour nous d'y échapper, de ne pas être assimilé à la vulgarité qui nous inonde. Son pathétique mélodrame ne nous ferait réclamer qu’une consolation. Je revendique la tragédie. Je m'interroge cependant toujours sur ce qui nous pousse à vouloir exister dans cette gigantesque marge qu'est Internet, à épouser cette vanité. A écrire dans l'océan pour des surfers...


Pourquoi s'inscrire dans cette gratuité qui consiste à écrire à la face du monde? Moi, j'en ressens la nécessité tout comme le pathétique. Le fait de faire de l'ironie sur l'ironie nous permet cependant parfois d'échapper à notre propre mélodrame... Le ridicule nous sauve. Je perçois néanmoins une différence de ton induite par les deux titres : Idiocratie et Mauvaise Nouvelle. Je discerne d'avantage de légèreté dans Idiocratie et une certaine gravité dans mon titre. Quand on se veut l’apôtre de la mauvaise nouvelle, c'est certain que l'on doit pêcher par excès de sérieux. Je peux me le reprocher sans parvenir néanmoins à y échapper. Je suis l'écorché vif qui tâtonne dans le poisseux, l'ado mal dégorgé qui croit encore écrire pour la gloire de Dieu et le salut du monde... Et je regarde le mot Idiocratie tantôt avec envie, j'aimerais bien narguer le lecteur, et tantôt avec dédain. Je me rassure alors en me disant que ce mot d'Idiocratie ne peut abriter que des dandy réactionnaires qui jouissent paisiblement de la mauvaise marche monde, retiré dans leur leur marge à s'enfumer tout seul. Et je construis une icône du combat du Dandy contre le Saint. La vérité est outrancière et le Saint est un fou, et nous et nous et nous... Pourquoi se donne-t-on tant de mal ?

Idiocratie : Il est amusant de commencer par comparer les noms de nos deux blogs. Celui d'Idiocratie est né de la perspective d'une mauvaise nouvelle, dans la phase finale de la fin de campagne 2012, qui nous annonçait la confrontation de deux médiocrités politiques. De là est né d'abord le nom Idiocratie. Constat simpliste fait sur un coin de bar, vers deux heures du matin, un soir d'octobre 2011: "nous voilà en plein dans le règne des idiots, de l'idiotie, de l'idiotie satisfaite." Voilà quelle était notre épiphanie inversée, l'annonce de la désincarnation finale du corps politique, la mauvaise nouvelle accueillie par les rires et les sarcasmes de deux idiots qui n'ont rien trouvé de mieux que de décider d'en faire un blog et de le baptiser en hommage à une comédie américaine imaginant un monde futuriste livré à la célébration de la bêtise.

Mais si la création du blog Idiocratie correspondait a un besoin d'exutoire, nous ne pouvions nous restreindre à limiter son existence à l'enflement et au désenflement du soufflé électoral. Au fil du temps et des articles dont, comme dans Mauvaise Nouvelle, nous avons décidé de ne pas limiter les thématiques, c'est une autre identité d'idiot(s) qui s'est progressivement affirmée. L’idiot revendique donc de manière délibérée son particularisme étriqué et son droit à tourner en dérision l’interdiction qui lui est signifiée d’être idiot et à refuser l’injonction qui lui est faite de sacrifier son particularisme à la Grandeur de l’Universel. Au Juste descendu de son Olympe pour lui reprocher son simplisme et son entêtement, l’idiot répond simplement : « moi aussi j’irai un jour vivre en Théorie, parce qu’en Théorie tout se passe bien. » Profitant de la position du fou qui est celle du blogueur en termes d'échec, nous avons décidé néanmoins de garder en tête la sage maxime de Chesterton « La légende est en général l’œuvre de la majorité des habitants d’un village, qui sont sains d’esprit. Le livre d’histoire est en général écrit par le seul homme du village qui soit fou. » Ce qui nous amenait tout à la fois à considérer que la position du fou est bien pratique pour tracer des diagonales au travers de la linéarité désespérante de la majorité et échapper, comme tu le dis, à sa vulgarité désespérante, mais à nous souvenir également que de la légende ou de l'histoire nous n'avions pas décidé après tout quelle était la plus vraie. Nous devions donc nous contenter de jouer le rôle des idiots à la naïveté clairvoyante ou à la lucidité idiote, comme le Prince Mychkine de Dostoïevski (dont le réalisateur russe Yuri Bykov vient de donner une illustration surprenante il y a peu avec le film L'Idiot !  - "Dyrak !" dans le titre original qui signifie plutôt "connard !" en russe) et nous rappeler dans le même temps que les idiots ne reste que des idiots dont internet charrie le torrent, comme le monde jette les imbéciles les uns contre les autres comme le dit Bernanos. Constat qui a imposé une sorte de règle non-dite et implicite: au pays du web 2.0 extraverti au possible, les Idiots ne signent jamais leurs articles, règle suivie avec malice par quelques invités, ce qui a poussé quelques lecteurs fidèles à s'agacer: "on ne sait jamais qui écrit quoi chez vous". Et c'est tant mieux...Que l'icône métamorphe de l'idiot prennent ainsi tour à tour les traits du dandy réactionnaire, du conspirateur pour rire ou du polémiste à la petite semaine puisque plus on est d'idiots et plus on rit !

MauvaiseNouvelle : Plus on est d’idiots et plus on rit, et plus on est d’apôtres de la mauvaise nouvelle, moins on se sent le bienvenue dans sa famille, son pays. Contrairement aux idiots, ceux que nous convions sur MN sont appelés à signer de leurs noms et même à assumer leur tronche. Des pseudos viennent bien souvent à la rescousse de cette mise à nu demandée. Nos invités interviewés sont incorporés à ce bataillon, assimilés à des contributeurs et donc à ces apôtres de la mauvaise nouvelle. Il y a comme une volonté de les salir, comme nous avons eu celle d’incarner des sortes de suicidés éternels comme dirait Hermann Hesse. Nous voulons qu’un maximum soient vu comme des oiseaux de mauvais augure de la part des leurs. Pour dire la vérité, je suis obsédé par ces fresques appelées « danse des morts » que l’on trouve dans certaines églises, comme à la chaise dieu. Il s’agissait d’intercaler tous les archétypes de la société avec des squelettes. Le principe était, en période de passage de la grande faucheuse, de la mort noire, de montrer avec ironie l’égalitarisme dans lequel nous plaçait la mort. L’annonce de la mauvaise nouvelle, ce n’est rien d’autre que cette danse des morts, rien d’autre que placer le squelette de chacun dans le miroir dans lequel il se mire et se recoiffe. Et c’est malgré tout une danse, car il ne faudrait pas tomber dans le pathétique tout de même ! J’avoue même jouir d’annoncer la mauvaise nouvelle, j’avoue cultiver ce malin plaisir à gâcher la fête, dans cette société arrivée en fin de soirée, comme l’hurluberlu qui a le vin triste et fait chier tout le monde avant l’aube. C’est l’after-triste que l’on réserve pour tous. Mais ce choix d’être le trouble fête des « satisfaits du temps présent » implique automatiquement un sacrifice : nous et ce qui osent nous côtoyer, s’approcher de nous. Les idiots ?... Nous sommes contagieux, Mauvaise Nouvelle ne demande qu’à se propager comme la rumeur. Notre mur de contributeurs est un mur de chasse, quasiment un cimetière, une collection de squelettes que nous intercalons avec nos lecteurs. Et dire que repus de cet esthétisme romantique, nous osons affirmer que l’annonce de la mauvaise nouvelle est utile au salut du monde… Nous sommes donc certains de nous tromper alors que les idiots peuvent peut être encore avoir raison.




(à suivre...)

mercredi 15 février 2017

Les primaires, la belle fumisterie populaire !



C’était entendu, les primaires devaient constituer une innovation déterminante dans le paysage politique d’une France toujours en retard; un progrès démocratique indéniable, la preuve irréfutable qu’on laissait les gens enfin s’exprimer. Quelques semaines après la fin du grand cirque, le nouveau dispositif apparaît pour ce qu’il a toujours été : une arnaque de haut vol. Mais attention tout de même à bien prendre conscience des enjeux : on n’évolue pas ici dans la grivèlerie de bas étage ou l’embrouille de brocanteur, c’est de la belle entourloupe dont il est question, c’est de grand art dont on vous parle messieurs-dames, pas d'un vol à la tire mais bien du braquage du siècle : celui de trente millions d’électeurs. 


Dans l’un de ses ouvrages, Bertold Brecht raconte une belle histoire qui fait beaucoup penser aux primaires. Il était une fois en Chine un empereur très impopulaire confronté à une grave crise agricole qui jetait dans la famine la moitié du pays. Face au mécontentement du pays, l’empereur décida alors d’organiser un grand concours d’éloquence auquel il invitait à participer tous ses sujets. Le concours remporta immédiatement un vif succès tant chacun était soucieux de démontrer son talent et sa supériorité sur ses rivaux, tant et si bien qu’on ne parla bientôt plus du tout de la famine mais seulement du concours d’éloquence et que l’empereur put habilement sauver sa tête. Les choses se sont peut-être passées différemment au royaume de France ; François Hollande n’a pas réussi lui à sauver sa tête, pas plus que celle de son remuant disciple, le bouillant Manuel. Il aura toutefois réussi un beau tour de passe-passe pour tenter de sauver une dernière fois la République des copains en pleine déliquescence.

Ainsi, il était une fois un pays dont le président était si impopulaire qu’il décida de ne pas se représenter devant les urnes de peur de se prendre une veste magistrale. En son propre parti, de vils frondeurs avaient décidé d’organiser un concours d'éloquence pour désigner son successeur. Le favori du président fut battu et les urnes désignèrent le leader des frontistes rebelles comme vainqueur. Dans le camp adverse, chez LR, on avait évincé en grande pompe un autre ex-président et un vieil éléphant fatigué pour désigner un frais poulain plébiscité par les gogos conservateurs qui en faisait leur champion. On allait voir ce qu'on allait voir, le changement ce devait être maintenant. On a vu.


Alors que la panique gagnait le navire socialiste, fuyant de toute part, il a suffit que François Hollande se choisisse un nouveau favori en la personne d'Emmanuel Macron et que Bercy téléguide une petite enquête de moralité sur le nouveau Monsieur Propre de LR pour que toutes l'armure scintillante de François Fillon vole en éclat. A deux doigts de la mise en examen, Fillon qui ne comprend même pas ce qu'on lui reproche, tant ces pratiques sont répandues chez ses confrères, risque d'exploser en plein vol, laissant la place au prestidigitateur Macron qui saura peut-être se frayer un chemin jusqu'au premier tour avant d'émerger en sauveur de la République au second face à Marine Le Pen...« C'est la revanche de Dreyfus », braillait Maurras à son procès. « Et ben voilà celle de Jospin », ricane Hollande dans son bureau. Mais pas si vite. N'oublions pas, perdus dans les arcanes du complotisme électoral, enivrés de machiavélisme et fascinés par l'arithmétique du pouvoir qu'il reste une inconnue à gauche : Benoît Hamon, vainqueur des primaires de la « belle alliance populaire ».

Attendez pardon, qui ça ? Benoît qui ? Vous parlez du petit mec aux oreilles décollées avec son revenu universel ? Soyons clairs, il n'est peut-être pas aussi fusillé que Fillon mais sa victoire ne vaut pas mieux que celle de l'homme aux sourcils en forme de parachutes (dorés). Fillon a remporté une victoire éclatante en surfant sur la détestation de Nicolas Sarkozy. Benoit Hamon a, lui, vaincu sans gloire contre des tocards détestés dans leur propre camp, au cours d'une primaire en comité restreint que la Haute Autorité du PS s'est échinée à présenter comme un succès populaire mais dont il a fallu traficoter de façon pathétique les chiffres de participation pour hisser l'événement au-dessus d'un match de division 2 en termes d'intérêt populaire. Benoît Hamon peut rouler des mécaniques mais pour le moment il est le roi de la mare au canard et son concurrent direct, Jean-Luc Mélenchon, reste le boss du marigot d'en face, autrement plus remuant. 


Comme à droite précédemment, les électeurs de gauche se sont fait plaisir au cours de leurs primaires en élisant « le candidat de la vraie gauche », celui qui va « régénérer idéologiquement le PS ». Pourtant, à lire un programme à peu près aussi vide qu'un manifeste de Nuit Debout, on devine qu'Hamon ne va pas régénérer grand-chose. Volet économique : zéro. Affaires étrangères : absentes. Perspectives : fumeuses. La seule bonne idée dont on peut créditer Benoit Hamon est celle de la prise en compte de la destruction du travail par l'automatisation des tâches dans les sociétés post-industrielles. Pour résoudre la difficulté, Benoit Hamon propose de créer un revenu universel sans conditions pour les 18-25 ans, ce qui, en termes de politique de l'embauche, revient à créer une sorte de Center Parc du travail où l'on parquera tous les oisifs.

Donc, si l’on résume, les primaires ont investi un mort-vivant à droite et un caniche à gauche. Le premier, Fillon, s’est présenté avec un programme d’austérité ultralibérale qui a fait saliver de bonheur les retraités aisés. Les hérauts du libéralisme triomphant ont enrobé tout cela de la logorrhée habituelle : la croissance en berne, la dette abyssale, la fiscalité insupportable, etc. tandis que les députés s’imaginaient déjà embaucher la femme, le neveu et la vieille tante dans la future Assemblée nationale de 2017. Patatras ! Le chevalier blanc se révèle être ce qu’il a toujours été : un politicien professionnel qui a fait toute sa carrière sur les bancs de la droite partisane, le doigt sur la couture du pantalon, et a vécu sous les ors de la République, toujours prêt à recevoir un peu de ses prébendes. 


Le deuxième, Hamon, est du même acabit. Il a charmé pour ne pas dire envoûté la vieille clientèle du gauchisme bon teint avec un programme soit disant utopique dont le contenu se révèle bien pauvre. Hormis le revenu universel, toute la panoplie du bobo urbain et bien-pensant y est passée : une couche d’écologie et de bien-être, un enfonçage de portes ouvertes sur la discrimination, l’accueil chaleureux des migrants, etc. Les parlementaires ont un peu tiqué mais le monde médiatico-culturel, quand il n’est pas tombé en pâmoison devant Macron, s’est réjoui de cette fraîcheur politique et de cette humble frimousse. C’est vrai que Hamon nous semble un gars bien sympathique. Il n’empêche que, à l’instar de Fillon, il est un pur produit de l’appareil politique du PS – ce que l’on appelait auparavant un apparatchik – qui n’a jamais vu le moindre début d’un bout de travail salarié. Ce dernier peut bien se faire l’avocat de la raréfaction de l’emploi : il connaît bien son sujet. Pour un peu, il ressemblerait à un champion de l’austérité qui a été pris les mains dans le pot de confiture – pour rester poli.  Mais gare aux pronostics trop hâtifs. Le fade Hamon pourrait bien se glisser dans le peloton de tête si la mongolfière Macron finit par exploser à force d'avoir la grosse tête. Vous vous rappelez de la fable de la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf ? Rendez-vous au prochain épisode alors. 





samedi 11 février 2017

Le fumet de l’ordure ou le retour de Jean-Edern Hallier.


Et oui, le mort revient, célébré en tous lieux, c’est Charles de Foucauld, de bure recouvert, qu’entourent les Franciscains du jour. Tous « Vus à la télévision » certifiés conformes, se refont une virginité de dissidents à l’ombre du grand mort. Pour la plupart des plumitifs à forte tendance misogyne stipendiés par la presse féminine, sans oublier les pisse-copies et les bobardiers, attachés au journal qui sans rougir ni faillir se réclame de Beaumarchais, entonnent le péan : Tuez le veau gras ! le fils prodigue est de retour, le pécheur rentre au port ! Enfin c’est le journal La Croix qui me l’a dit… J’attendais mieux de la veuve du grand Brian de Martinoir !


Notre héros, grantécrivain auto-proclamé, n’écrivait pas ses livres. Des nègres, des mulâtres, des sangs mêlés toujours prêtaient main forte. La chose est sue. Qu’importe ? Le mensonge, cent fois, mille fois répété se fera vérité et chacun oubliera le fameux : « Tout le monde s’y met » précédant chez Hallier l’instant de la remise des manuscrits. 
Il fut avéré que leur héros, toujours entre deux vins, enfin deux vodkas, empocha l’argent remis par un autre aigrefin - deux fois Président de la République s’il vous plaît - à l’intention des « Folles de mai.» Que chaut à ces Messieurs ! Le chevalier Hallier aurait d’ailleurs sévèrement bousculé dans les locaux de l’ambassade de France une de ces folles. Et alors ? Les mères sont hystériques n’est-il-pas ? Particulièrement dans ce genre de contexte. Le voleur, ô pardon « l’Insolent » revint du Chili avec un fort méchant ouvrage composé à la gloire de Pinochet. Est-il rien de plus amusant que ces stades emplis d’hommes qui vont mourir ? Quoi de plus glamour que la colonie Dignidad et son auguste maître le nazi Paul Schöfer  et de plus excitant que toutes ces femmes en pleurs ? Hallier ne donnant pas dans le politiquement correct, tous les pleutres parisiens – ceux qui patiemment se fabriquaient une carrière dans un monde où déjà le livre valait peau de balle – se rangèrent de son côté.


 
Qu’il fut un peu sycophante, notre héros désigna publiquement le redoutable et doux Ricardo Paseyro comme agent de la CIA, ne dérangea personne. Paseyro n’était pas de leur monde, poète authentique, lecteur de Valéry, adorateur de ballets contemporains, figure d’un autre temps, ce gentilhomme uruguayen ne leur ressemblait guère. Pas le moins du monde pédé viril, le genre d’hommes qui rentrent avec les Dames, mais chantent à tue tête « Les Copains d’abord », se plaisent à échanger leurs conquêtes, à les noter, saturent leurs opus de confidences aussi indiscrètes que transparentes. La CIA et Paseyro avaient en effet un ennemi commun : le prétendu grand poète Pablo Neruda, que Paseyro eut l’audace insigne d’attaquer dans un flamboyant essai de cinquante-sept pages paru d’abord à Madrid, puis aux Cahiers de l’Herne, à cette heure encore propriété de Dominique de Roux, sous les titres respectifs de La parole morte de Pablo Neruda, puis du Mythe Neruda ! Selon le logicien, qui le publia en place publique, Paseyro aurait prêté la main à l’enlèvement de Ben Barka ! Plus crapuleux ne se peut. Et quoi ? La chose est aussi amusante que le sera d’ici quelques années pour Dieudonné l’audace extrême de faire venir Faurisson en pyjama rayé à l’un de ses meetings, ô pardon, « spectacle » ! Du moment qu’on se marre… La vie est tristounette vous ne trouvez pas ? D’ailleurs, sur « la » question, Hallier ne fut pas en reste qui se prétendit, mensonge éhonté, demi-juif pour mieux soutenir et la cause palestinienne et l’œuvre salutaire d’André Garaudy. L’ancien stalinien avait viré antisioniste et pour servir sa noble cause rejoignit le clan des sceptiques et bientôt celui des négateurs des chambres à gaz. Il fut publié chez Pierre Guillaume, à la Vieille Taupe avant de se convertir à la si belle religion de paix et d’amour que constitue l’islam contemporain. Un parcours sans faute que n’aura entravé que Michel Foucault, qu’on vit sans cesse attaché à empêcher Garaudy de professer ses dogmes mouvants dans aucune université. Hallier admira et Vergès et Carlos, deux philosémites bien connus. L’un s’honorait de les assassiner et l’autre de défendre leurs assassins au nom de la noble cause arabe. Algérienne pour l’un, palestinienne pour l’autre. Hallier demeure la girouette qui indique le bon vent, l’exacte boussole qui marque le retour de l’Orient dans le paysage français. 
Avec cela, l’admirateur de Pinochet se fit, à l’instar de la belle Ségolène, laudateur de Castro «  Un homme qui fait chier les Américains depuis quarante cinq ans ne peut être mauvais ! » En voilà une raison qu’elle est bonne d’admirer qui condamne son peuple à vivre dans la peur ! Bref, nous retrouvons Hallier, copain des socialos, rêvant d’un poste de Ministre et faisant chanter un Président. Le grand cœur ne reconnaîtra sa propre fille naturelle que pour pouvoir exhiber publiquement le dossier Mazarine. Quand Mitterrand eut douché ses grandes espérances, le mendiant ingrat s’en alla, abandonnant ses amis, l’ardent moscoutaire André Lajoinie et Henri Krasucki, providence des humoristes, réclamer protection à Jean-Marie le Pen-qui-dit pas que des conneries, révélant ainsi sa nature profonde d’idéal type du Français moyen selon les Inconnus… 
Ne pas oublier l’affaire des écoutes. Hallier ennemi public numéro 1. L’homme le plus écouté de France ! La bonne blague ! 
Hallier, nul n’est parfait, consommait de la drogue. Un soir de manque, le client, solitude dans un champ de coton, appela son dealer, célèbre producteur de cinéma et mari d’une des plus belles comédiennes du temps. Dans son délire, le camé lui confia vouloir enlever Mazarine pour se venger du Président. La Mondaine – c’était là son job - écoutait le dealer, qui, sur le champ, transmit l’information aux RG. Le moyen pour un père de ne pas protéger sa fille d’un type capable de s’auto-enlever pour faire croire à un complot d’état contre sa personne ? Un type tellement accro à l’alcool qu’il vida la bouteille d’aftershave de son pseudo-ravisseur et copain ? 


http://www.brunodeniellaurent.com/edern_bousquet.htm
 
Qui verrait un héros en ce type de personnage, hormis de bons garçons pressés d’arriver et tellement concentrés sur leur cible qu’ils avaient grand besoin de se délasser ? Suivre Hallier, c’était rire du soir au matin et de l’aube à minuit ! De là, à faire d’un semblable Gugusse, le Chateaubriand, le Félix Fénéon et le Péguy de notre temps, il y avait une marge. Vite franchie et toujours à l’œuvre en l’an 17 du Nouveau siècle. En réalité, Hallier fut une sorte de Drumont, un plumitif sans doute non dénué de valeur mais corrompu par la haine, délirant à ses heures. Sans doute souffrit-il plus que d’autres. Feu Madame Dupré, psychologue et Madame de Martinoir, femmes, l’ont cru. En français, un malheureux qui, s’il n’avait été fils de famille, eut fini à l’hospice de Nanterre. 
Tel s’affirme le dernier modèle de l’intellectuel dissident à offrir au capitalisme finissant !
Parmi ses rares qualités, il faut encore compter la grivèlerie, la jouissance de se faire entretenir par un beau-père qu’on affirme mépriser, le culot de taxer la femme de ménage de son frère sans la rembourser, le courage de jeter sa bourgeoise à la rue avec son bébé s’il vous plaît, une nuit d’hiver, parce que la Dame n’a pas goûté - bégueule, jalouse ! - de trouver une nymphette nue sur le canapé du salon et son mari affairé à la tatouer de poésie…
N’oublions pas les bombinettes envoyées aux confrères chagrins, les insultes dans la bonne vieille tradition de l’Action française et de Je suis partout. Le goût de l’ordure sanctifié par le rire.
Huguenin avait vu le fond de l’affaire, Roux aussi. Qui les entendrait ?
Rire avant de mourir, voilà ce qui importe à une société décadente. Ce cirque a les gladiateurs qu’il mérite et ces Spartacus de pacotille les esclaves congruents.
Salut au biographe et ami d’Hallier et à leurs clients. 

lundi 6 février 2017

Hinoeuma, the malediction


Reportage idiot au pays du Brexit, dans les bas-fonds de l'industriel bruitiste londonien. Qu'y a-t-il de mieux à faire en février qu'aller prendre un peu le pouls de la petite et remuante scène noise anglaise dans les faubourgs de la capitale britannique ? C'est toujours mieux que de rester supporter le cirque de l'après-primaires en France non ?

A quelques encablures des barbes hipsters bien taillées de Shoreditch, des bars à céréales de Hackney ou du disneyland pseudo punk de Camden, le quartier d'Archway est un vestige du Londres prolo pas encore tout à fait dévoré par les pelleteuses et les chantiers de rénovation. Dans quelques années tout au plus, la flambée immobilière et la réhabilitation urbaine auront chassé la population de prolos et d'immigrés qui se croisent encore ici. En attendant, Archway n'a pas toujours été touché par la grâce de la hype, comme en témoignent les pubs neurasthéniques, les fish'n chips crasseux - comme on en trouve plus que dans les confins du Greater London - ou les nightclubs improbables, comme celui qui accueillait en ce vendredi 3 février la soirée Hinoeuma, the malediction (1), avec à l'affiche In search of death, Antichildleague, Dead Normal, Black Scorpio Underground et Sutcliffe Jügend.



Antichildleague

In search of Death, qui ouvrait le bal, ne révolutionnera certainement pas le genre, proposant un set lisse et franchement atone qui contraste avec Antichildleague, projet porté par Gaia, l'organisatrice de la soirée, à l'image du lieu avec une performance bruitiste très punk et très scénique délivrée dans le cadre minimaliste qui ne variera pas de la soirée : pas de jeu de lumière, pas de vidéo, pas de fioriture, juste de l'énergie et de la rage. Dead Normal, à suivre, est la bonne surprise de la soirée. Le groupe existe depuis neuf mois, est basé à Barcelone et surtout en activité dans la capitale catalane, et livre une électro industrielle hargneuse qui accompagnent les scènes de ménage survitaminées auxquelles se livrent les deux membres du groupe, Mario et Zoë, pour le plus grand bonheur du public, entre arrogance pathétique et hystérie incontrôlable. « La vie est assez diabolique en elle-même pour ne pas avoir besoin d'en rajouter dans le décorum maléfique, nous dit Zoë un peu plus tard, nos textes ne parlent que d'une seule chose : d'amour ! » Et après avoir écouté un Black Scorpio Underground qui, loin d'avoir suivi ce sage conseil, déroule sans grand efficacité toute la panoplie attendue du sataniste amateur - capuche noire, bougies, clochettes, nappes et borborygmes menaçants - les choses prennent définitivement une tournure intéressante quand Kevin Tomkins et Paul Taylor, les deux têtes pensantes de Sutcliffe Jügend, montent sur scène pour clore la soirée. 

https://www.youtube.com/watch?v=vYAKJimlRqI
Dead Normal
 
Dans l'univers idéal de la post-modernité épanouie, le monde, accordé à la toute-puissance désirante du consommateur, n'est qu'harmonie, jouissance et désir, satisfaction sans entrave et imagination au pouvoir. Venez comme vous êtes, demandez l'impossible et devenez ce que vous êtes ! Dans le monde de Sutcliffe Jügend, ce rêve de cadre épanoui s'est transformé en cauchemar de classe moyenne. La façade lisse de l'utopie pavillonnaire se craquelle et laisse suinter par toutes les fissures de l'être la douleur, la rage et la frustration des egos broyés par la civilisation du développement personnel et la dictature de la jouissance productiviste. « Deviens ce que tu es ! » Arrachant la maxime nietzschéenne aux griffes des publicitaires, Tomkins et Taylor lui redonne son sens originel, car plongé dans un doute perpétuel, nous ne cessons jamais de devenir ce que nous sommes : brouillons toujours inachevés, ébauches contrefaites, bien souvent l'annonce de quelque chose de pire, en attendant peut-être d'accéder à un stade supérieur dans une autre éternité que celle-ci. Et la découverte de cette vérité a souvent un coût exhorbitant, n'en déplaise aux charlatans du dépassement de soi auxquels on laissera les promesses de nouveau bonheur totalitaire. Dans l'univers mental que Sutcliffe Jügend dépeint - à chaque fois différent et renouvelé - dans ses textes et sa musique, l'humain moyen, le péquin lambda, apparaît pour ce qu'il est : humilié, laissé pour compte, soldat du néant et homme du ressentiment, parfait monstre d'humanité. Shame, shamed, stripped naked for all to see


Kevin Tomkins et Paul Taylor, vétérans de la scène industrielle (2), n'ont pas besoin, eux non plus, de s'entourer d'un barnum sataniste ou pseudo transgressif. Sur scène, ce sont deux bons anglais aux dégaines de cadres moyens et de bons pères de famille, en bras de chemise et pantalon de ville, qui laissent libre cours au chaos et ouvrent les portes du coeur saignant de l'humanité. Car nos bons anglais en chemisette, qu'on verrait bien au pub du coin sirotant leur pinte devant un Manchester-Arsenal un vendredi soir, nous content sur scène une drôle d'histoire : celle de l'homme-échantillon, du pseudo-citoyen du monde arrivé à bout de solitude, détaillé à la main sur tous les comptoirs de la frustration post-moderne et sacrifié sur l'autel de la société des loisirs, celle qui dévore les hommes avec plus d'appétit que le Moloch de Carthage. Les boucles saturées et hypnotiques de la guitare de Taylor entourent les confessions rageuses de Tomkins et ce carrousel bruitiste et nihiliste, abrasif, violent et pervers, forme la bande-son idéale d'une apocalypse du quotidien. C'est Debord et In Girum Nocte mis en musique, Haus Arafna qui rencontre NON et adressent un salut fraternel à Albert Caraco. L'épitaphe rêvée pour une humanité qui court avec empressement à son tombeau en voulant jouir jusqu'au dernier moment de sa propre annihilation, avant de disparaître dans un dernier ricanement béat.




Shame : Shame, shamed, stripped naked for all to see, slapped for ten euros, punched for a wank fist waiting, raped by those for whom life is cheap, two thousand hits and counting, puny dicks in hand, two thousand hits and counting, shame, shamed ; ridiculed, no power to speak back, no dignity, humiliated by lesser men, the politics of the human animal, the witless ape, stripped bare and defiled, a constant throughout the history, destroyed by foolish moments, by actions driven beyond control, shame, shamed ; a gun to the head, of those vile fucking slugs, no bullet fired, anonymous, humiliated, a public execution, exposed, free speech, free to censure, third person empathy or third person sadist, shame ; shamed, sexual predator, dominant, fragile, dependant, historic victim, psychopathic illness, found out, humiliated, consumed by vultures, trust broken, skinny flesh, flesh wound, touched, held tight, skin, smile, flesh, the pleasure's all mine, a true gentleman, a sickening violence, shame, shamed ; (K. Tomkins. 2017)


(1) : La "malédiction d'Hinoeuma" existe bel et bien au Japon où, comme partout ailleurs, certaines superstitions règlent étrangement le cours de l'existence. On évitera ainsi de prendre la chambre n°4 dans un hôtel puisque le shi est le chiffre de la mort et on ne plantera jamais ses baguettes à la verticale dans le riz. De la même manière, il faut absolument éviter d'avoir un enfant au cours de l'année d'hinoeuma, ou année du cheval de feu, qui revient tous les 60 ans. Dans le cycle astrologique japonais, la dernière Hinoeuma était en 1966 et a entraîné un recul de naissance de 463 000 par rapport à l'année précédente. Prochaine dégringolade démographique en 2026. 
(2) : Peter Tomkins est un des membres originels du mythique Whitehouse, fondé en 1980. Sutcliffe Jügend est un projet apparu en 1982 et s'est imposé également comme une formation culte.