mercredi 31 octobre 2012

Parano Magazine: eux aussi ils les ont eus...


          Vous êtes convaincus que des agents sionistes vous ont placé sur écoute et ont kidnappé Alain Soral pour le remplacer par une contrefaçon cybernétique ?
            Que la boulangerie d’en face cache un centre de contrôle reptilien ? Que les histoires drôles ont été inventées par les extraterrestres? Que François Hollande est l’enveloppe banale choisie par Nyarlathotep pour mener la France au chaos (et précipiter ainsi la fin du monde qui ne saurait se passer des Français) et que le parti socialiste est en réalité le parti national-socialiste? 



            Si tout cela ne vous surprend pas (ou plus), vous êtes dans ce cas, peut-être sans le savoir, déjà lecteur de Parano Magazine (mais eux le savent, enfin je me comprends...). Car il est bien évident que, dans le secret de leurs repaires souterrains et de leurs bunkers ultra-sécurisés, sionistes, illuminati, reptiliens, Vegan (ndlr: végétariens maléfiques ennemis de Goldorak), bolcho-trotskistes presbytériens et nazis de la lune travaillent sans relâche à dominer le monde. Ils auraient pu le faire le plus discrètement du monde, mais comme ils ont l'esprit taquin, ils ont tous décidé de laisser un peu partout une multitude d'indices et de preuves irréfutables des différents complots en cours afin de permettre aux plus éclairés d'entre-nous de s'écrier comme David Vincent: "Je les ai vu moi aussi en cherchant un raccourci que jamais je ne trouva ! Ils vont tous nous niquer!" Grâce à Parano Magazine, vous n'êtes plus seul (ou du moins vous n'étiez plus seuls. Voir la suite de l'article. Enfin je me comprends, moi je dis ça je dis rien, vous en faites ce que vous voulez...)
            Si vous souhaitez vraiment connaître la vérité et faire revenir l’être aimé comme un petit chien derrière son maitre, tu contacte Professeur Babacar, 17 avenue de la République, Bâtiment B, 8e étage, porte 22C, Aubervilliers, il te donnera la clé de ton avenir et le fascicule magique pour t’abonner à Parano Magazine.



            Dans Parano Magazine, vous découvrirez tout ce que l’on cherche depuis trop longtemps à vous cacher, tout ce que vous n’avez peut-être jamais réellement voulu admettre et même ce à quoi vous n’auriez jamais vraiment pensé : François Hollande invoque Satan en plein débat d’entre-deux tours au cours des présidentielles 2012, une carotte révèle la colère d’Allah, le Vatican est contrôlé par les Illuminati via les services secrets soviétiques et le Nyan cat est responsable du 11 septembre. Tout est là. Les preuves sautent aux yeux et seul celui qui ne veut pas croire peut les contester. Et s’il n’y a pas de preuves pour étayer ces accusations, alors, les lecteurs de Parano Magazine le savent désormais, c’est juste qu’ils sont très forts. Qui ça ils ? Ben EUX évidemment…



            Malheureusement, une interview supposément accordée au site le Tryangle.fr par Adolfo Ramirez, le rédacteur en chef de Parano Magazine a récemment révélé que personne n’était vraiment à l’abri du complot, pas même Parano Magazine. Après s’être injustement moqué d’Alain Soral dans une vidéo sans doute directement produite dans une officine de propagande reptilienne, le rédacteur de (feu) Parano Magazine a en effet déclaré au journaliste (haha !) du Tryangle (on voit le genre !) : « C’est juste pour rire et chacun pourra un jour pourra faire l’objet de nos sarcasmes s’il explique sa théorie par une intervention des extraterrestres ou des illuminati. » A la lecture de tels propos, il semble évident que celui qu’on nous présente comme Adolfo Ramirez n’est pas (ou plus, enfin je me comprends...) Adolfo Ramirez et que les agents illuminato-sionistes ont sans doute eu sa peau afin de le remplacer par un fantoche quelconque. Le combat continue cependant et afin de perpétuer cette noble lutte je tiens à révéler ici même que




            Ce fragment d’article est le dernier témoignage qui subsiste de notre collaborateur dont nous sommes sans nouvelles depuis ce week-end. Ces quelques lignes que nous reproduisons aujourd’hui nous ont été confiées par M., employé aux Relais des amis, célèbre établissement parisien dans lequel notre confrère avait l’habitude de donner rendez-vous à ses contacts. Une demi-page griffonnée sur un coin de nappe, quelques grains de couscous, trois pichets de Sidi Brahim et une note de 47,90€, voilà les seuls indices dont nous disposons…Il est long et ardu le chemin vers la vérité…

lundi 29 octobre 2012

Les Boloss des Belles Lettres


             C la tréren é ta tro la looz, le prof, cte tarba c juste un gros guedin y tenvoi les kinbou dans la face façon high kick middle kick low kick genre Ramzy dans la tour monpar infernal : « j’annonce : coup de pied retourné et fiche de lecture pour demain sinon j’colle une balle dans la tête à la main et j’demande un renkar a té darrons pour lanceba ktu gère queude en cekla. »
Ta le seum grav tu cé pa komen tu va géré pour lundi sa mère ? Vazy me brise pas les couilles é pa la peine de kriser, ta les boloss des belles lettres ki von tro te sauver ta life man !
            On situe autour de 1480 la naissance de Michel Pimpant et Valtudinaire, les deux fondateurs du site les Boloss des Belles Lettres, ce qui fait d’eux des contemporains de Racine et de François Villon. Les multiples occurrences que l’on retrouve dans la littérature confirment d’ailleurs l’influence souterraine de Michel Pimpant, grammairien, fils d’un notaire de Beauvais et Valtudinaire, lettré rouennais qui fut par ailleurs Maître échevin de la petite ville de Meirieu-la-Trappe le 3 février 1523 de 15h34 à 16h15 avant que le village ne soit réduit en cendres par un raid soudain et précipité d’une compagnie entière de Chevaliers Didactiques de l’Ordre de l’Enseignement Spiralaire, sous-ordre des Hospitaliers, chassés de l’île de Rhodes par les Ottomans (voir Les chroniques grivoises de Nicaire le Preux. 1532). Ainsi, François Villon écrit-il à propos d’eux : « Li cuer me pese lors @Michel_Pimpant et @Valtudinaire nulz carme ni apostille ne font », tandis que l’on trouve chez Louise Labé, cette déchirante supplique : « Bayse-moi Pimpant et bayse-moi Valtu et bayse-moi encor ». Et deux siècles plus tard, Diderot lui-même rend un hommage poignant à l’œuvre de Pimpant et Valtu : « Car tel est le malheur de l’homme, que de contempler pareilles plumes et de ne les point reconnaître pour ce qu’elles sont : pour moi, tout franc, je l’affirme, il prend des envies de les embrasser, tout boloss qu’ils soient. » [1]

Valtudinaire soumettant à Pimpant l'idée d'une chronique des Boloss des Belles Lettres. 
Bibliothèque de l’Arsenal © cliché Bibliothèque nationale de France

            Comment les deux boloss ont-ils réussi à survivre si longtemps pour pouvoir aujourd’hui proposer aux jeunes générations l’éclairage de leur savoir multiséculaire ? Nul ne semble pouvoir l’expliquer. Peut-être s’agit-il là d’une société secrète dont les membres se succèdent sous les mêmes noms depuis des siècles afin de veiller à faire vivre et à transmettre le patrimoine littéraire français dans les meilleures conditions aux plus jeunes.
            C’est ainsi que, peu de temps après la rentrée des classes, internet a vu apparaître le 10 septembre dernier un nouveau site qui, sous le nom « Les boloss des Belles-Lettres », se propose d’adapter dans une langue plus praticable par nos jeunes, les grands classiques de la littérature afin de les rendre accessibles aux apprenants du XXIe siècle et de faciliter le travail de leurs professeurs.
            Ainsi, la critique féroce de la bourgeoisie provinciale proposée par Flaubert dans Madame Bovary est mise au diapason de l’époque afin que tous puissent à nouveau en percevoir la finesse et la portée :

 c’est l’histoire d’un keum pas trop bien dans sa peau à l’école il est absent et tout tu sens le malaise en lui il s’appelle charbovary c’est pas le héros de l’histoire mais bon il est assez important tu le vois tout le livre. ensuite il rencontre une petite zouz campagnarde pas dégueulasse elle s’appelle emma c’est elle le héros c’est madame bovary voilà là tu as résolu la première énigme à savoir qui c’est madame bovary ben c’est elle.
ensuite ils se marient etc. et puis ils vont habiter dans une petite bourgade bien paumée emma elle se fait chier donc elle commence à toucher la nouille de quelques keums qui passent, des ptits jeunes et des autres mecs dans des calèches et tout c’est assez hot zizibaton. emma elle kiffe le luxe elle commence à acheter des ptites louboutin easy et aussi du cacharel des polo lacoste et tommy hilfinger enfin des trucs de luxe sauf que charbovary il a pas une thune du coup ils font des prêts à un keum genre voilà et sauf que après ils sont endettés, mais charbovary il sait pas, mais emma elle s’en met plein les fouilles lol la salope.
après emma elle se fait jeter de tous ses keums à un moment elle est toute seule à la campagne elle se réveille all naked dans un champ de blé bon après elle est trop déprimée elle a le seum de la vie elle se suicide et du coup charbovary il a tellement le seum il crève aussi il reste juste la gosse qui fait du tricot pour la fin de sa vie bref une putain de vie de merde qui commence c’est madame bovary.

De même, les tribulations de Jean-Jacques peuvent à nouveau être comprises du grand public et reformulées de façon un peu plus actuelle pour correspondre aux canons de la culture urbaine et du « lifestyle » des ados :


c’est un gros tarba de la téci on l’appelle mc jj c’est un gros ouin ouin abusé il fait rien qu’à bouffer les balls des gros du tiéquar il en peut plus il raconte trop sa life mais c’est un pur tomi il dit rien que de la merde !! déjà sa reum elle a claquax comme une grosse merde en faisant naquir mc jj il a trop le seum et son daron il lui en veut trop putain il est pas du tout kiffé il a vla tous les malheurs du monde sur son ptit dos tout doux de ptit baby bien cute.
il a une vie de gros clodo il va de tiéquar en tiéquar il erre comme un putain d’âme en peine il lui arrive des ptites aventures bien pépère il se tate le gland il a pas mal de trauma mais bon c’est un keum qu’a d’la testostérone il a des couilles bien fat et tout et malgré son gros cassage de couilles bien en règle il se fait des ptits potos et surtout un putain de pacte autobiographique le truc ça bouleverse trop la littérature y a du bellay il s’en retourne dans sa tombe l’enculé mdr ah le tarba on le voyait pas venir ce gros touken !!!!

Les plus hautes instances éducatives se sont empressées de saluer l’initiative à l’instar du pédagogue Philippe Meirieu qui a déclaré que « l’entreprise innovante de MM. Pimpant et Valtudinaire opère une reconfiguration syntaxique salutaire d’un patrimoine qu’il semblait urgent de réadapter aux exigences du vivre et de l’apprendre-ensemble afin de mettre fin au processus insupportable de la stigmatisation cognitive qui détruit le lien social et met en danger la relation appreneur-apprenant. » Réagissant à ces propos ainsi qu’à l’annonce de la mise en ligne du nouveau site, Vincent Peillon a quant à lui simplement déclaré : « ça peu fér. »

On ne peut que saluer la justesse de ce commentaire et remercier les Boloss des Belles Lettres qui font redécouvrir  à nos jeunes toute l’actualité de nos grands écrivains. 


Rendre au déb...aux jeunes le goût de la lecture. Telle est la mission des Boloss des Belles Lettres

http://bolossdesbelleslettres.tumblr.com/

[1] De belles citations à retrouver sur le site des lettrés boloss

cé possible de vétrou aussi cet article sur Causeur.fr et sur Apache

dimanche 28 octobre 2012

Les idées politiques d'Aleister Crowley


   
         L'homme est connu pour être un dépravé impénitent, un mage de haute voltige et un artiste étonnant à ses heures perdues. On serait surpris qu'il ne s'intéressât point à la politique dans une période aussi trouble que celle des années 1930. Une fois encore, Crowley déjoue tous les pronostics et inquiéterait bon nombre de ses admirateurs actuels en leur rappelant d'un ton tranché qu'il est un "réactionnaire conservateur", plus proche de Joseph de Maistre que d'Auguste Comte. Il faut dire qu'il entrevoit le jeu politique à travers les miroirs de l'esprit, et s'en remet volontiers aux plans de la divine providence, quitte à les forcer un peu. 

         En dépit d’un mode de vie libertaire et de propos anarchisants, le Lord de Boleskine défend une vision du monde que beaucoup de conservateurs, à son époque, avaient déjà abandonné en cours de route : nécessité d’une élite, dénonciation de la démocratie, lutte contre l’américanisme et défense des peuples colonisés. Rien de moins. Son modèle de référence est le féodalisme aristocratique anglais du XVIIè siècle incarné par la dynastie catholique des Stuart jusqu’à l’éviction de Jacques II en 1690. Depuis cette date, et contre la dynastie des Orange, s’organise une lutte souterraine qui prend le nom de jacobisme et qui passe essentiellement par les loges maçonniques européennes.

On comprend mieux l’intérêt de Crowley, qui cotoie de nombreux jacobites dans les conventicules occultistes, pour cette cause qui tendait à associer la chevalerie catholique et la culture celtique. N’a-t-il pas « celtiser » son prénom : Aleister ? Signe d’un engagement persistant, il prend également part à une action de soutien en faveur des carlistes, monarchistes espagnols. De même, il adresse ses critiques les plus véhémentes à l’endroit du système américain, vilipendé pour son matérialisme outrancier et son universalisme niveleur.

Précisément, et cela est en phase avec son mode de vie, Crowley reproche deux choses à la société de son temps : premièrement, de croire dans un régime égalitariste qui contraint la nature humaine et, deuxièmement, d’empêcher les « hommes forts » de s’adonner librement aux plaisirs de la vie, toujours au nom du principe d’égalité. Plutôt que la distinction entre les maîtres et les esclaves, le régime démocratique force tout le monde à rentrer dans le rang et à devenir (au choix) des demi-maîtres ou des demi-esclaves. Cette détestation du mode de vie bourgeois le conduit à prendre la défense des peuples opprimés au nom de la sauvegarde des socialités traditionnelles.

Cependant, ce ne sont pas tant les idées de Crowley qui intéressent que son activisme – très souvent fantasmé – pendant les grandes crises européennes. Celui qui est affilié à de multiples groupes occultistes, disséminés en outre dans plusieurs parties du monde, est un agent en puissance pour tous les services de renseignement. Sans compter – et cela est encore vrai aujourd’hui – que les groupes ésotériques ont toujours constitué un mode opératoire privilégié pour ces mêmes services. Du coup, Crowley a été soupçonné de toutes les accointances possibles, ce qui a fortement contribué à étoffer sa légende : le voici espion de sa Majesté ou, au contraire, agent maléfique des régimes centraux. Qu’en est-il vraiment ?

Lors de la Première Guerre mondiale, Crowley se sentait plus proche des empires centraux pour deux raisons liées à ses convictions politiques : en tant que jacobite, il continuait à rejeter la famille régnante anglaise et, en tant que proche du Sinn Fein, il défendait l’indépendance de l’Irlande et, de façon plus générale, la renaissance des nations celtiques. Cela n’en fait cependant pas un espion des régimes centraux. En raison de ses nombreux liens avec des groupes étrangers, il fait simplement l’objet de diverses notes d’informations de la part des services britanniques et du FBI. 

Le rôle de Crowley pendant le second conflit mondial a fait l’objet d’une quantité invraisemblable d’hypothèses toutes plus fantaisistes les unes que les autres. Le détonateur en la matière est le livre de Pauwels et Bergier, Le matin des magiciens, dont le succès se vérifie encore aujourd’hui. Assurément, ils ont beaucoup fait pour la légende noire de Crowley. Ce dernier est tout simplement présenté comme le principal inspirateur du parti nazi, autrement dit l’« agent maléfique » d’une entreprise qui visait à la destruction de l’humanité. Par la suite, nombre d’ouvrages ont brodé sur ce sujet jusqu’à créer une sorte d’histoire cachée du nazisme. A tel point que l’on a également fait de Crowley un contre-espion qui aurait joué, cette fois-ci, un rôle primordial dans la chute de Hitler. Et tout cela, bien sûr, grâce à ses pouvoirs magiques…


La réalité est beaucoup plus simple. Après avoir observé avec intérêt la montée du fascisme, il s’en détourne radicalement suite à son expulsion d’Italie en 1923. Quant au nazisme, il s’est rangé très clairement du côté des démocraties en cherchant à promouvoir, notamment, sa déclaration des droits de l’homme thélèmite. Tandis qu’en Allemagne, ses principaux contacts ont été inquiétés, et certains envoyés en camp de concentration, pour leur appartenance à l’Ordo Templis Orientis (OTO). De là à y voir une preuve supplémentaire de son machiavélisme, certains n’hésiteront pas à le dire… et malheureusement à l’écrire.

Pour résumer, on peut simplement mettre en exergue deux constats qui ont joué en faveur de cette fantasmagorie : primo, les agences de renseignements (anglaise, allemande et américaine) ont constitué plusieurs fiches sur Crowley en raison de ses nombreux déplacements et de ses activités pour le moins « curieuses » ; deuxio, Crowley était doué pour se mettre en scène et pour abuser ses interlocuteurs à qui il racontait, avec force détails, ses multiples aventures pittoresques. De là à penser que l’affabulateur s’est lui-même pris au jeu, ainsi que plusieurs officines gouvernementales, cela est plus que probable.

Pour le reste, Crowley est bien resté ce « réactionnaire intégral » qui a fini par inventer sa propre utopie, l’Abbaye de Thélème, dont il est devenu le prophète autoproclamé. A défaut de restaurer l’autorité du roi caché (et très chrétien), il a tout bonnement inventé un système (le thélèmisme) dans lequel il est le Roi du Monde. De là à vouloir accoucher d’un « Enfant Ecarlate », c’est vrai que la tradition s’y perd un peu…  



samedi 27 octobre 2012

Aleister Crowley, le mage errant




Décrit à sa mort comme « l’homme le plus dépravé d’Angleterre » par la presse anglaise, Crowley est aussi le principal rénovateur de la magie au XXè siècle. Sa réputation le précède de beaucoup, et souvent à juste titre, tant ses postures provocatrices et son mode de vie libertaire l’ont rendu détestables auprès de ses contemporains. Il faut pourtant faire la part des choses : de ses débuts dans la société occultiste de l’Aube dorée jusqu’à la fondation de l’Abbaye de Thélème en Italie, son parcours relève davantage de l’expérience spirituelle limite que de la plongée dans  les eaux noires du mal. 

            Né en 1875, rien ne prédestinait ce fils d’une famille très puritaine, rattachée à la secte protestante des Darbystes, à devenir la « Bête 666 » comme il se prénommait lui-même. Le décès précoce de son père, et la rupture avec sa mère quelque temps après, le font sortir d’une « enfance en enfer » avec un goût prononcé pour les jeux, l’alcool et les femmes. À sa majorité, il hérite d’une fortune considérable qui lui permet de mener une vie de bohème partagée entre les longs voyages, la pratique assidue de l’alpinisme et l’exploration des tavernes londoniennes. Mais l’élément le plus déterminant de son parcours de jeunesse reste le rattachement au groupe occultiste The Golden Dawn (« L’Aube Dorée »). Outre la découverte de plusieurs enseignements ésotériques (kabale, alchimie, etc.), il rencontre des personnalités flamboyantes, comme l’écrivain irlandais William B. Yeats ou le futur moine bouddhiste Allan Bennett, et devient l’un des membres importants de l’Ordre. 

            À l’âge de 27 ans, cet aventurier de l’absolu a déjà parcouru plusieurs régions du monde, gravi les sommets himalayens, connu des états de conscience altérés et participé à de nombreuses cérémonies initiatiques. C’est au moment où il envisage de se marier et de s’installer en Ecosse, dans le manoir de Boleskine, qu’il est « contacté » par l’esprit de Horus (dieu faucon dans la mythologie égyptienne). Ce dernier apparaît à sa compagne Rose Kelly, qui officiait en tant que médium, sous le nom d’Aïwass pour lui révéler le Liber Legis (« Livre de la Loi »). Crowley s’imprègne peu à peu de ce livre pour se présenter finalement comme le prophète des temps à venir. Il s’affuble désormais du titre de « Mega Therion 666 » et se donne pour mission de précipiter ce monde dans le chaos afin d’accoucher d’un nouveau temps, celui d’Horus, « l’enfant couronné et conquérant » qui doit monter sur le « Trône universel ». Le Liber Legis marque les esprits surtout par son rejet radical de toutes les religions et son nietzschéisme virulent : la liberté n’appartient qu’à ceux qui la méritent tandis que les autres, les « esclaves », sont voués à servir et à périr. 



            Fort de cette révélation, Crowley fonde son propre ordre initiatique, l’Astrum Argentinum, qui se caractérise par une organisation très souple puisque les grades ne sont pas conférés par une autorité établie, mais acquis par l’adepte lui-même, au fur et à mesure de son travail personnel.  En parallèle, il devient un membre éminent de l’Ordo Templi Orientis (OTO) dirigé par l’anarchiste itinérant Théodor Reuss. Cette activité intense le situe au cœur de la culture occultiste et lui permet, surtout, d’élaborer son propre système sous le nom de « magick ». En théorie, ce système s’apparente à une sorte de mysticisme athée qui oblige l’individu à traverser l’abîme, c’est-à-dire à « verser jusqu’à la dernière goutte de son sang dans la coupe de Babalon », afin de réduire au silence l’intellect humain et d’entendre la voix de neshamah (« conscience divine »). Ce n’est cependant pas le versant mystique qui forme le cœur du système crowleyen, mais plutôt son versant pratique et, notamment, les moyens mis à la disposition du mage pour parvenir à ses fins. La méthode globale, nommée « enthousiasme galvanisé », s’appuie effectivement sur deux éléments singuliers : d’une part, le recours à la magie sexuelle qui constitue le moyen privilégié pour atteindre l’illumination et, d’autre part, la prise de drogues qui permet de rompre avec l’état de conscience ordinaire pour entrer en contact avec des entités suprasensibles. 

            La prise quotidienne de nombreuses substances psycho-actives, la multiplication des étreintes sexuelles et l’utilisation subversive des noms bibliques finissent par mettre Crowley au cœur de plusieurs scandales, réels ou supposés. Lui-même se joue de la presse qui le présente sous les traits d’un « adorateur du démon » et multiplie les provocations à l’encontre de l’ordre établi. Après avoir répondu à ses détracteurs que la « magick » ne s’adressait, de toute façon, qu’aux « hommes forts et royaux », il quitte l’Angleterre en 1920 pour s’établir à Cefalù, village de la province de Palerme. Entouré d’une vingtaine de disciples, il fonde l’Abbaye de Thélème qui se présente comme une « communauté magique » tout entière inspirée par les préceptes du Liber Legis. En vérité, Crowley se prépare à entreprendre son grand œuvre, soit l’union symbolique de la Bête et de Babalon pour donner naissance à l’« Enfant Écarlate », désigné comme le nouvel élu du cycle d’Horus. Et finit par plonger ses disciples dans une atmosphère funeste, marquée par des privations sévères, des rites sexuels et la prise quasi continue de drogues. Cette frénésie, encore accentuée par des conditions matérielles difficiles, conduit au décès accidentel de l’un des adeptes. Les protestations de la famille de ce dernier attirent l’attention des autorités fascistes qui expulsent Crowley d’Italie en 1923.



            À l’âge de 50 ans, il reprend une vie de magicien errant, mais sa fortune s’épuise et son équilibre physiologique chancelle. Il parvient tout de même à publier plusieurs de ses écrits, dont Magick in Theory and Practice (1929) qui récapitule les grandes lignes de son système, et à diffuser une déclaration thélémite des droits de l’homme. Sensée remplacer celle de 1789, cette déclaration aux tonalités individualistes et anarchistes s’ouvre sur les mots suivants : « Il n’est de Dieu que l’Homme » et se clôt sur une formule plus ambivalente : « Les esclaves serviront ». Cette ultime ambition, proclamée à la veille de la Seconde Guerre mondiale, reste lettre morte, et c’est très affaibli que Crowley s’installe dans une pension de famille en 1945 pour s’y éteindre, deux années plus tard, à l’âge de 72 ans. 

            Quasiment inconnu au moment de son décès, l’ombre sulfureuse qui entoure ce « tantra occidentalisé » ne cesse de se répandre dans les interstices du monde contemporain. D’un côté, Crowley est devenu l’une des icônes de la contre-culture dont la vie flamboyante et les postures subversives anticipent la révolte des années 1970 et, de l’autre, il continue à incarner la figure du prophète qui annonce la venue d’une nouvelle ère enfin débarrassée du poison religieux. Ainsi, nous retrouvons sa photo sur la pochette de l’album Helter Skelter des Beatles, et son nom dans les premières pages de la Bible Satanique d’Anton Szandor La Vey. Cette postérité, désormais entourée de nombreuses légendes, fait assurément de Crowley l’une des influences les plus sensibles, et des plus souterraines, du monde qui vient. 


 



           

jeudi 25 octobre 2012

Déroute salvatrice


              

          "Néanmoins, l’avantage que possède la Russie sur l’Europe de l’Ouest, même si les sources de sa puissance restent fragiles, c’est justement cette volonté de puissance, quand l’Allemagne, la France ou l’Italie semblent y avoir totalement renoncé, pour des raisons tenant à la fois, elles aussi, de leur psychologie collective originelle et du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. L’Angleterre comme la Russie ont été les deux grands vainqueurs européens de cette guerre. Elles ont tiré, ne l’oublions jamais, des conclusions diamétralement opposés à celles de la France ou de l’Allemagne quant à leur avenir politique après 1945. Ce n’est aucunement un hasard si, encore aujourd’hui, elles refusent de participer à la construction européenne, excepté le fait que les Britanniques ont accepté l’idée d’un marché commun économique, tout en refusant l’euro. La Grande-Bretagne en est restée à l’Europe des nations. (Il est à craindre, néanmoins, que son appartenance indiscutable à la civilisation ouest-européenne ne soit de nature à faciliter la propagation de l’idéologie bruxelloise. Perméabilité culturelle qui est une constante entre des pays appartenant à la même civilisation.)





            Vladimir Poutine, prenant acte de l’assujettissement total de l’Europe de l’Ouest à l’idéologie mondialiste et aux Etats-Unis, a définitivement enterré l’idée d’une hypothétique alliance « Paris-Berlin-Moscou » qui restera à l’état de fantasme chez quelques « identitaires » totalement marginalisés. L’Europe de l’Ouest est irréformable. A ceux qui espèrent, sur le plan politique, philosophique, ethnique, sa refondation totale, contentons-nous de dire que cela passe, très logiquement, par la destruction totale des principes politiques, philosophiques, idéologiques qui la soutiennent et la soutiendront jusqu’au cataclysme final. Il ne peut en être autrement : la fausseté des principes (l’égalitarisme, le relativisme, l’universalisme démocratique, etc) érigés en croyance religieuse ne pourra être démontrée qu’en appliquant leur logique jusqu’au bout. Seule la réalité claire, incontestable et visible par tous de l’échec de ces principes pourra permettre leur évacuation, comme ce fut le cas pour le communisme en U.R.S.S."

André Waroch. Les larmes d’Europe. Editions Le Polémarque. 2010. 115 p. 12€


lundi 22 octobre 2012

Les larmes d’Europe (2)


            Dans le « territoire de la guerre » désigné par l’islam, qui s’exprime aujourd’hui de la façon la plus visible, la plus bruyante et la plus sanguinaire[12], il n’y a pas de place pour le compromis pas plus qu’il n’y a de place pour la contradiction dans le « territoire de la soumission ». Waroch, quelles que soient les simplifications dont on peut lui faire grief, a le mérite de souligner un point essentiel : c’est que ce que l’on prend à tort pour un affrontement religieux qui serait le fait d’une frange traditionnaliste est en réalité une lutte politique menée de manière désordonnée et chaotique par les différents éléments d’une civilisation arabo-musulmane qui intègre au contraire par ce biais une ultra-modernité qu’elle prétend combattre. Comme le montre également Enzesberger dans son essai, l’islam est devenu pour la civilisation arabo-musulmane (mais l’on pourrait aussi appliquer cette analyse à un pays comme le Pakistan) un outil de lutte et l’expression de la colère nourrie à l’encontre de l’occident : c’est une religion du ressentiment et les atteintes « blasphématoires » ne sont qu’un prétexte parmi d’autres – la supposée solidarité avec le peuple palestinien contre le péril sioniste en est un autre – ne sont qu’un prétexte pour satisfaire une véritable politique du ressentiment. Dans ce contexte, il n’y a guère que l’Iran qui démontre une certaine capacité, à la fois technologique, diplomatique, économique et culturelle, à mener une véritable politique de puissance[13], quand la Syrie, l’Egypte, l’Algérie et les monarchies pétrolières se trouvent soit toujours les jouets des puissances étrangères, soit ne sont capables que de profiter d’une rente énergétique et de mettre en avant une diplomatie basée sur la complainte et l’anathème, flattant bassement la versatilité dangereuse de l’opinion publique arabe.
            Le fait que cette religion du ressentiment alimente aujourd’hui en France les revendications, soit religieuses soit communautaires, d’une population musulmane au sein de laquelle on ne parvient décidément pas à entendre la voix d’un islam supposément modéré nous renvoie aux termes très simples de l’opposition ami/ennemi que le juriste et philosophe allemand Carl Schmitt plaçait à la base de toute conception politique. Si la religion peut-être déterminée par la recherche du salut et par une quête spirituelle, la politique est définie par Schmitt selon la capacité à désigner un ennemi, c’est-à dire celui qui porte atteinte à notre existence, ou à être désigné par lui. Or, un spécialiste des religions comme Olivier Roy le reconnaît lui-même dans son ouvrage, sous-titré d’ailleurs fort justement Le temps de la religion sans culture : « Le problème, on le sait, est que justement le « retour du religieux » est d’abord le refus du croyant de voir sa parole réduite au privé. On peut le déplorer, mais c’est un fait. »[14] Dans cet ordre d’idée, la conception religieuse se transforme en un idéal politique qui affirme son identité d’abord en désignant ses ennemis.
            Roy applique cette analyse principalement à deux groupes : les évangélistes et les traditionnalistes musulmans, reconnaissant que ces deux courants ne sont nullement minoritaires ou séparés de leurs bases religieuses respectives (le christianisme dans un cas et l’islam dans l’autre). Ils représentent : « un glissement des formes traditionnelles du religieux […] vers des formes de religiosité plus fondamentalistes et charismatiques »[15], quelquefois ajoute Roy, « une forme différente d’entrée dans la modernité »[16] ; une forme d’entrée aujourd’hui en effet autrement plus charismatique pour une partie de la jeunesse immigrée désespérément en quête d’une identité de substitution que les gesticulades des yéyés du rap américain de nos hipopeurs franchouillards. En ce sens, la culture rap, avec ses diatribes testostéronées, son machisme et ses poses d’alpha-mâles en doudoune,  sa culture du groupe et son discours de prédation parfaitement primaire représentait l’antichambre idéale vers l’islam en basket et la lutte contre le haram dans laquelle se retrouvent aujourd’hui une génération de Mohamed Merah pour lesquels la vocation d’apprenti-djihadiste vient meubler un véritable désert culturel.
            Ce n’est pas un hasard si André Waroch cite assez fréquemment Julien Freund dans son ouvrage. Le disciple de Carl Schmitt a contribué à préciser avec plus de rigueur encore ce qui définit le couple ami/ennemi et la relation entre espace privé et public, deux notions qui sont au cœur du problème que nous rencontrons aujourd’hui avec l’islam puisque la caractéristique première des sociétés musulmanes, qu’elles soient en terre d’islam ou sur le sol français, est de désigner de plus en plus massivement l’occident comme l’ennemi tandis que le deuxième trait de ces sociétés est de nier aujourd’hui assez radicalement, dans le domaine religieux en particulier, toute distinction entre espace privé et domaine public, distinction que la religion catholique elle-même avait su opérer bien avant que la République ne l’inscrive dans la loi.
            Tenir ou écrire ce genre de propos amène à se voir immédiatement dénoncé et mis au ban de la société par les élites et les représentants de ce que l’on nomme aujourd’hui par dérision la « bien-pensance ». André Waroch, dans son ouvrage, ne fait pas dans la dentelle. Cependant, ces propos, aussi radicaux qu’ils puissent apparaître,  rapportent, débarrassés des formules souvent un peu expéditives liés à l’exercice du pamphlet, une réalité qu’il est difficile de nier aujourd’hui : l’immigration de masse décidée pour des raisons économiques et aggravée par la politique de regroupement familial a précipité le naufrage social et économique de communes et de communautés entières et exacerbé de façon dramatique les tensions ethniques et communautaires en France. Ces tensions sont aujourd’hui portées à un point d’incandescence par le triomphe idéologique d’un islam qui devient l’expression du ressentiment, ressentiment qui donne lieu à l’inflation d’un prosélytisme religieux mené à des fins politiques.
            Face à ce danger, la France n’existe déjà plus. Le délitement de ses institutions, le déclin profond de sa classe politique et de ses élites intellectuelles, l’essoufflement de son économie et surtout le recul très net de son influence culturelle – jusque, paradoxe suprême, sur son propre sol – ont précipité d’une part l’échec de sa politique d’intégration – il faut rappeler ici le fiasco éducatif et les lignes très justes que Renaud Camus a consacré à la disparition quasi-complète de la notion d’héritage – et ont laissé la place dans les territoires abandonnés par la République à cet islam guerrier devenu aussi un produit de consommation culturel pour des wesh-wesh en mal de reconnaissance :

Le marqueur religieux circule sans marqueurs culturels, quitte à se reconnecter avec des marqueurs culturels flottants, hallal fast-food, éco-cacher, cyber fatwa, hallal dating, rock chrétien, méditation transcendantale ; le politiquement correct qui fait débaptiser Christmas en faveur de Winterval contribue aussi non pas à neutraliser le religieux, mais au contraire à l’exacerber en mettant fin à sa métamorphose en culture, à son « enchâssement » dans le culturel.[17]

Et l’on se demande bien de quelle manière l’islam de France qui fédère aujourd’hui un nombre non négligeable de désoeuvrés tentés par la radicalité et de tenants d’un communautarisme exigu pourrait bien « s’enchâsser » dans une culture française qu’on semble ne plus enseigner qu’à regret ou au prix d’une auto-flagellation permanente. C’est la vraie question : comment voulez-vous intégrer un nombre toujours croissant de frustrés de la mondialisation dans un pays qui fait constamment profession de se détester ?
D’autant que, si l’on nous serine que la droite « libérale » tient les rênes du pouvoir depuis trente ans sur le plan économique[18], la gauche domine elle le monde intellectuel depuis l’après-guerre et ne semble plus tellement dérangée d’ailleurs par une prétendue hégémonie libérale qu’elle ne dénonce que paresseusement, entre la poire et le dessert, plus occupée en revanche à largement occulter un certain nombre de questions et de thèmes évoqués ici et qui sont donc logiquement condamnés à n’être abordés que de manière confidentielle ou laissés en pâture à des partis politiques comme le Front National. Le militant d’extrême-gauche participe d’ailleurs avec ferveur à une véritable entreprise de verrouillage du discours au nom de l’antiracisme en usant assez souvent d’une violence complètement en contradiction avec les généreux idéaux qu’il semble défendre. C’est un trait qu’André Waroch relève lui-même avec beaucoup d’amusement, d’autant qu’il laisse très ironiquement à la très solidaire Caroline Fourest[19] le soin d’en témoigner :

A l’Institut du monde arabe, il y avait des militants tiers-mondistes se revendiquant de la même gauche que moi. Ils m’ont fait peur par leur violence et leur intolérance. A l’Institut d’histoire sociale, il y avait des militants de droite, réactionnaires, à mille lieues de moi. Mais nous avons pu débattre. Dans le calme et le respect de la parole de chacun.[20]

Que reste-t-il dès lors à cette France perdue entre négation d’elle-même, islamisation des banlieues et politiquement correct ? Que reste-t-il à cette Europe qui s’acharne à vouloir faire une politique étrangère de l’impuissance qui rejette l’usage de la force en politique mais justifie tous les massacres au nom du droit ? Dès lors, c’est vers d’autres horizons que veut regarder André Waroch, bien au-delà de l’Europe. « Aujourd’hui, écrit André Waroch, mon regard de Français se tourne vers la Russie. »[21] La Russie est toujours source de phantasmes, admet Waroch, y compris celui du « grand frère russe » qui a la vie dure, ajouterais-je. « Mais au-delà de tout ce romantisme, ajoute Waroch, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir vers quel autre pays peut se tourner un Européen qui ne s’est pas encore décidé à la dissolution de son identité dans l’immigration de masse, et à celle de son pays dans l’U.E., ou l’O.T.A.N. (c’est la même chose). »[22] On ne peut que se réjouir, dit Waroch, de la renaissance de la Russie et du contrepoids qu’elle forme à nouveau face à l’impérialisme américain : la Russie, premier détenteur mondial de réserves de gaz et de pétrole, ce dont elle fait la source économique quasi-unique de sa puissance politique ce qui, souligne avec justesse Waroch, est peut-être décrié par les économistes comme un coupable manque de diversification des sources de revenus national mais ce qui démontre également comment Vladimir Poutine a su en une décennie refaire de l’économie un outil au service de la politique russe et non l’inverse.
Car, et c’est cela que Waroch admire tout simplement dans la Russie, le plus vaste pays du monde mène une véritable politique de puissance, notion inconnue de l’Europe qui a une stratégie impériale (à travers l’élargissement constant des frontières et son projet universaliste) sans aucune politique de puissance. Cette Russie-là apparaît, explique Waroch, « comme le seul et unique recours possible de l’Europe. »[23]
Je suis cependant désolé de ne pas en revanche partager son optimisme même si j’adhère assez largement à son analyse de la politique russe et à sa lecture civilisationelle d’une Europe partagée entre les deux blocs antagonistes et complémentaires catholico-protestant et orthodoxe. Tout d’abord parce qu’il ne me semble jamais très bon d’envisager la vassalité comme un recours à son propre déclin et enfin parce que je ne suis pas sûr que la Russie elle-même se préoccupe vraiment du sort d’une Europe occidentale qui semble bien trop peu soucieuse de sa propre destinée pour représenter une alliée viable. Quand les Européens ont été assez stupides pour pousser les frontières de leur utopie bureaucratique jusqu’aux marges de l’ancien empire des tsars et des soviets, la Russie leur a simplement fait comprendre qu’il ne fallait pas trop songer à mettre leur nez dans les affaires d’Ukraine ou d’Ossétie. Vladimir Poutine aura cependant été assez civil pour accorder une médaille de la paix en chocolat au petit Sarkozy convaincu qu’il venait de ramener le géant russe à la raison alors qu’on lui avait juste demandé de ranger les gobelets et d’enlever les guirlandes après la surprise-partie-éclair organisée par l’armée rouge en Géorgie.
Ce genre d’équipée burlesque est à l’image de tout ce que semble capable de produire aujourd’hui la diplomatie européenne, jusqu’à l’aventure plus meurtrière en Syrie. Le vieux continent aujourd’hui s’abîme dans une rêverie fatale qui suppose que le multiculturalisme, un métissage idéalisé et le génie de quelques technocrates suffiront à abolir les frontières et les différences entre les peuples pour donner corps au rêve d’une Europe enfin unie, allégorie à l’échelle de notre petit continent d’une humanité réconciliée. Que les dirigeants européens pensent sincèrement que cette utopie soit réalisable ou qu’ils se contentent d’en exploiter cyniquement les bénéfices en termes matériels et électoraux, l’issue est la même :

Toute tentative d’unification politique de l’Europe ne pourra entraîner, comme nous le voyons actuellement, qu’un chaos où s’engouffreront tous ceux qui veulent sa perte. Le rêve « monothéiste » d’une Europe une doit laisser la place à la reconnaissance des profondes différences internes qui ont toujours fait sa richesse.[24]

La belle Europe, à nouveau imprudente et séduite, chevauche encore une fois le beau taureau blanc qui l’arracha aux rivages de Phénicie, sans avoir encore idée de ce que le destin et son étrange coursier lui réservent... Etrange mythe fondateur tout de même que cette histoire de princesse naïve, trompée, enlevée, abusée puis abandonnée, qui mit au monde, après s’être faite violer par Zeus, deux juges des enfers et le malheureux Sarpédon qui sera occis par Patrocle…Les larmes d’Europe risquent cette fois d’être plus amères encore. C’est tout de même plus acceptable de se faire violer par Zeus sous un platane en Crète que par les vingt-sept membres de la commission européenne dans une salle de réunion de Berlaymont.

Voilà toutes les questions que pose le petit recueil d'articles d'André Waroch, qui dresse le portrait d'une Europe spectrale et qui lance son regard vers une Russie née une fois de plus de ses cendres, et toujours si énigmatique dans sa puissance retrouvée.  Citant Robert Cooper, haut diplomate britannique, Waroch écrit: "Entre nous, nous observons la loi mais, quand nous opérons dans la jungle, nous devons aussi recourir aux lois de la jungle." C'est dire que l'Europe plongé dans la jungle d'un monde en pleine recomposition doit accepter d'appliquer non plus seulement les principes du droit mais les lois de la guerre. Les éditions du Polémarque ont fait de la guerre leur affaire principale et si l'on suit la célèbre définition d'Héraclite, "la guerre est mère de toute chose", cela signifie autrement dit que le conflit, et la possibilité du conflit, contribue à définir toute identité. L'ouvrage d'André Waroch trouve naturellement sa place dans une entreprise de réflexion sur le conflit et sur la guerre comme moteur historique. Il contribue à rappeler, au fil des dix articles qu'il rassemble, que l'Europe en feignant d'ignorer cette dimension essentielle du conflit perd la conscience même de toute altérité historique et de sa propre identité. La plume alerte de Waroch, qui est celle du pamphlétaire, n'évite pas les simplifications vengeresses et les raccourcis guerriers mais elle va droit au but et pose au lecteur  la question essentielle: où nous situons-nous maintenant et où nous situerons-nous quand le balancier de l'histoire reviendra culbuter nos généreuses certitudes? 


André Waroch. Les larmes d'Europe. Editions Le Polémarque. 2010. 12€






[12] Comme l’ont encore tragiquement démontré les émeutes qui ont fait suite à la diffusion d’Innocence of Muslims ou les violences dont sont victimes chaque jour les communautés chrétiennes en Egypte, en Syrie ou encore au Libéria…
[13] Mais l’Iran, ce n’est déjà plus le monde arabe, c’est la Perse.
[14] Olivier Roy. La Sainte Ignorance. p. 44
[15] p. 19
[16] p. 16
[17] Olivier Roy. La Sainte Ignorance. p. 22
[18] C’est du moins la thèse d’Emmanuel Terray dans son dernier livre, Penser à droite, sur lequel il faudra revenir…
[19] Historienne et sociologue. Militante féministe. Auteur du Guide des sponsors du FN ou de Les Anti-PACS ou la dernière croisade homophobe.
[20] André Waroch. Les larmes d’Europe. p. 71. L’intégralité du texte de C. Fourest est disponible ici : http://www.gabrielperi.fr/IMG/article_PDF/article_a524.pdf
[21] André Waroch. Les larmes d’Europe. p. 15
[22] Ibid.
[23] Ibid. p. 20
[24] Ibid. p. 28

dimanche 21 octobre 2012

Les larmes d'Europe (1)




            A qui s’adresse l’ouvrage d’André Waroch Les larmes d’Europe[1] ? Pour pasticher quelque peu le Bernanos des Grands cimetières sous la lune, ce livre ne s’adresse pas aux gens de droite auxquels il n’a rien à dire qu’ils ne sachent déjà. Mais il ne s’adresse pas non plus aux gens de gauche rencognés dans leurs confortables certitudes. C’est dans le vaste entre-deux des indécis qu’il pourrait au contraire aller chercher son vis-à-vis, dans la masse anonyme des tièdes qui ne prétendent pas exactement savoir où les mènent leur époque mais que l’absence de capitaine à la barre angoisse tout de même. Ce n’était peut-être pas l’idée d’André Waroch mais après tout son livre publié ne lui appartient plus tout à fait et va bien là où il veut.
            Cela ne veut pas dire bien sûr que les hommes de droite ne trouveraient pas matière dans ce petit livre à remettre en cause quelques certitudes et quelques poses faciles mais beaucoup balaieront sans doute ces critiques d’un revers de la main. Quant aux hommes de gauche, ils ne liront sans doute jamais ce livre. Ce n’est pas aux convaincus et aux enracinés que doit s’adresser le pamphlétaire mais aux indécis et aux apatrides. Or les certitudes aujourd’hui s’effondrent et nous n’avons plus de patrie. C’est donc à un public potentiellement important que se destine l’ouvrage d’André Waroch.
            Expliquons tout de suite ici les termes employés pour ceux qui feraient mine de ne pas comprendre et précisons que l’emploi du terme « patrie » ne renvoie pas à un cocardisme borné et claironnant mais fait référence à la disparition conjointe, consentie par les gouvernants et subie par les peuples, de toute idée de patrie culturelle (et l’on comprendra ici que l’expression renvoie plus à Mounier qu’à Déroulède) et de toutes les institutions qui pouvaient garantir sa pérennité et sa préservation, au profit de cette fiction impériale et bureaucratique qu’est l’Union Européenne.
            Face au spectre géopolitique européen se dressent aujourd’hui quelques Etats qui entendent eux, mener une véritable politique de puissance, entendons par là, pour préciser encore une fois les termes, une politique qui n’est pas fondée sur un universalisme béat et une forme de libre-échange vertueux auquel les Européens semblent bien être les seuls à croire mais sur une prise en compte de la réalité géopolitique et des intérêts nationaux. C’est le cas par exemple des Etats-Unis d’Amérique dont on se demande comment certains ont pu soutenir qu’ils aient pu être réellement dérangés par une construction européenne au nom de laquelle des « pères de l’Europe » de plus en plus gâteux dépouillaient consciencieusement les Etats du continent de toute capacité décisionnelle. Le mépris affiché par l’administration d’Obama à l’égard de l’Union européenne démontre cruellement quelle place est laissée aujourd’hui au « Vieux continent » sur la scène internationale. L’Amérique elle-même vacillante et menacée se montre beaucoup plus soucieuse de l’émergence de l’Inde, de la Chine et de la Russie que de cette Europe qui s’est exclue de l’histoire. Waroch souligne fort justement que les deux Etats qui en Europe semblent encore aujourd’hui soucieux et capables de mener une politique cohérente et indépendante sont le Royaume-Uni et la Russie, deux vainqueurs de la seconde guerre mondiale. Le traité de Rome a lui été signé par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Bénélux : autant dire que la communauté européenne a été construite dès ses débuts uniquement sur la honte, le vice et la défaite.
            Les pères de l’Europe ont souhaité baser la renaissance du continent sur la création du marché commun et ils ont réussi au-delà de tout espoir puisque l’Europe n’est plus aujourd’hui qu’un marché que ses concurrents regardent avec anxiété, indifférence ou mépris se noyer dans le gouffre des dettes souveraines. Encore faut-il souligner que l’adoption le 9 octobre dernier du Traité Européen de Stabilité Budgétaire ne laisse plus grand-chose de souverain à ces dettes-là. Pauvres pays qui ne valent pas mieux désormais qu’une collection de ballons de baudruches accrochés à la manche d’un clown ! Le seul acteur international qui semble encore prêter une certaine attention à cette Europe en perdition est le monde arabo-musulman, si tant est que l’on puisse identifier comme un acteur cet ensemble hétéroclite sans aucune unité politique ni aucun ferment de cohésion autre que le ressentiment.
            J’ai eu l’occasion sur ce blog d’évoquer la thèse d’Hans Magnus Enzesberger[2] qui associe la civilisation arabo-musulmane contemporaine à la figure du perdant radical et un certain nombre d’articles présenté dans Les larmes d’Europe font écho aux écrits de l’essayiste allemand. Si l’on peut situer l’apogée de la civilisation musulmane à la période du califat qui va du VIIe au XIIe siècle, c’est-à dire des Omeyyades aux Seldjoukides, Enzesberger estime que le souvenir de ce brillant mais lointain passé ne fait que renforcer les traits qui caractérisent aujourd’hui un monde arabo-musulman divisé et impuissant : névrose victimaire, délire obsessionnel de la persécution, agressivité vis-à-vis de l’extérieur, dogmatisme rigide sur le plan religieux et incapacité politique. André Waroch va cependant plus loin qu’Enzesberger en soutenant que l’islam lui-même est la cause du déclin et de la médiocrité contemporaine des sociétés arabo-musulmanes.
            Il faut faire ici une place aux critiques que l’on oppose la plupart du temps à ce type d’argument : d’une part l’islamisme n’est pas l’islam et d’autre part les sociétés arabo-musulmanes présentent des traits variés et une complexité qu’il est difficile de caricaturer par des jugements aussi lapidaires. On serait donc en droit d’attendre une sorte de « pacification » des sociétés musulmanes ou des musulmans immigrés qui se trouvent plus directement mis en contact avec les valeurs républicaines. A cette dernière critique, André Waroch répond de façon radicale : « Le manque total de réaction, voire la complicité face à la déferlante migratoire qui a déjà submergé les Français des banlieues, est dû à cette foi absurde, stupide, irrationnelle comme toute foi, en la capacité des nations européennes à faire triompher à terme l’idéologie des Lumières, à convertir les populations islamiques à ce christianisme sécularisé. Mais la vérité finit tout de même, peu à peu, par se révéler dans toute sa violence. Non, les musulmans ne se convertiront pas. Il n’y aura aucun « islam des lumières », aucune réforme. »[3] Pour Waroch, cette évidence est rappelée par la structure millénaire imposée à toute la société musulmane de façon millénaire par la relation entretenue avec les textes sacrés :

Les musulmans, en effet, vivent dans une espèce de paradis sur terre, ou pour être plus précis : dans un monde fini. Toutes les questions que peut se poser un homme trouvent leur réponse dans le Coran et les hadith. Gare à celui qui oserait donner une autre réponse. L’islam, et c’est là où ce totalitarisme est réellement une œuvre de génie, régente absolument tous les aspects de la vie. […] On a coutume de dire, ces dernières années, que le problème du monde musulman est qu’il ne s’y trouve pas de séparation entre le sacré et le profane. C’est en même temps vrai et complètement faux. La vérité est plutôt que, dans la conception islamique, le profane n’existe pas. La société musulmane est condamnée à une fixité éternelle, la pensée personnelle étant, dans les faits, rigoureusement interdite. Revenons à l’école française. N’importe quel prof de banlieue enseignant ces matières sait que, dans le domaine de la philosophie, de l’histoire ou de la littérature, il va s’attirer les foudres des élèves musulmans. Tartuffe, Cyrano de Bergerac, Madame Bovary, la pensée épicurienne, pour ne donner que quelques exemples emblématiques, sont déclarés par ces élèves, comme impurs, haram, et ce en total accord avec l’islam officiel. Trop de sexe, trop d’athéisme, trop de ceci, trop de cela. Rimbaud et Baudelaire homosexuels ? Impensable pour les musulmans d’accepter d’étudier ces deux poètes.[4] 

A l’appui de cette thèse, André Waroch cite Guillaume Faye. Ce n’est pas forcément le choix le  plus pertinent qu’il puisse faire, d'autant que la longue citation de Faye ne fait que répéter son propos sans rien y ajouter de très intéressant. Préférons lui plutôt Olivier Roy qui, dans son ouvrage La Sainte Ignorance, a proposé une analyse autrement plus subtile du mécanisme de séparation du sacré et du profane en terre d’islam :

Trois positions sont alors possibles pour la religion : penser la culture comme profane, séculière ou païenne. Profane, c’est la culture indifférente au religieux : elle est triviale, inconsistante et subalterne parce que, si elle n’est pas habitée par l’esprit de la foi, son autonomie est une illusion. […] Séculière, c’est la culture non religieuse mais légitime : elle accède à la dignité et acquiert une légitimité et une autonomie, mais cette dernière est fixée par le religieux, car elle relève de la bonne gestion de la société, pas des fins dernières ; […] Païenne, la culture peut se réclamer d’une étiquette religieuse, mais antinomique avec la religion dominante : la culture est consistante et cohérente mais elle est porteuse de valeurs (par exemple la liberté absolue de l’homme, la sacralisation de la nature ou d’un groupe social) qui non seulement s’oppose aux valeurs religieuses mais prennent leur place. […] Cette configuration n’a guère à voir avec la théologie propre à telle ou telle religion. On la trouve bien sûr fortement exprimée dans le christianisme, d’ailleurs avec des valeurs et des répartitions différentes selon les penseurs […]. Mais on la trouve aussi, contrairement à ce que beaucoup pensent, dans l’islam. Le profane y est pensé dans la zone grise entre hallal et haram : mandub (recommandé), makruh (déconseillé) et surtout mubah (neutre), trois catégories qui, sans avoir de vraie positivité, échappent à la norme religieuse.[5]

Les choses sont donc un peu plus complexes au sein de l’islam qu’André Waroch ou Guillaume Faye veulent bien le laisser entendre. Cependant, je comprendrais fort bien que ces auteurs veuillent m’accuser de couper ici les cheveux du prophète en quatre et de vouloir discuter du sexe des anges au moment où la cité brûle. Car il s’agit bien également de cela et en dépit des réserves que je voudrais émettre vis-à-vis de l’analyse de Waroch, il faut cependant bien admettre que la pensée dominante qui s’est imposée dans l’islam contemporain est bien la lecture et l’interprétation la plus « à la lettre » (et je reprends ici les termes qu’emploie Olivier Roy[6] pour qualifier l’interprétation faite par les groupes évangélistes de la Bible) du Coran et des hadith qui mène à un véritable formatage de la pratique religieuse au sein de la communauté musulmane : « la mondialisation standardise et formate le religieux, elle conduit à le penser dans des catégories communes qui s’imposent aux croyants. »[7] Ce formatage amène à un repli sur la catégorisation simple et guerrière énoncée par Mahomet aux premiers temps de la conquête : le monde est divisé entre le Dar-al Islam, « le pays de la soumission » - celui des croyants – et le Dar-al Kufr, le « domaine des infidèles », terme que Mahomet utilisa pour désigner dans un premier la société impie de la Mecque au moment de la fuite à Médine. Le Dar-al Kufr aura par la suite tendance à se confondre avec le Dar-al harb, notion juridique postérieure à Mahomet et désignant de façon plus large le « domaine de la guerre », c’est-à dire tout ce qui se situe en dehors de la communauté musulmane et contre quoi il est obligatoire pour le croyant de porter le fer et le feu.
            Cette obligation guerrière a été remise en avant de façon radicale par les pères de l’islamisme moderne, du wahhabisme ou du salafisme, ainsi Sayyid Qutb qui appelle à : « Une guerre totale, un jihad [qui] doit être mené contre la modernité afin d’entreprendre un réarmement moral. L’objectif ultime est le rétablissement du royaume d’Allah sur terre. »[8] Cette affirmation justifie à elle seule la position d’André Waroch même si celle-ci s’appuie sur une interprétation trop schématique des relations théologico-juridiques et théologico-politiques au sein de l’islam.
            Car c’est tout simplement ce schématisme qui est victorieux au sein de l’islam. Même si les bonnes âmes (et j’en suis !) peuvent répliquer à bon droit que la réalité est plus complexe, on aura beau dire mais ce n’est jamais la subtilité qui arme les révolutions ni le sens de la nuance qui inspire les conquêtes. L’islam « visible » aujourd’hui est bien plutôt celui de Saayid Qutb que celui des soufis. C’est, en France, celui des petites racailles qui ont enfilé la djellaba par-dessus le survêt’ et sont passés de Booba aux slogans virils de l’islamisme pour aller vociférer en chœur quand un réalisateur de porno californien caricature Mahomet ou qu’un artiste marocain inconscient commet un blasphème en projetant les motifs calligraphiés de la chahâda sur un pont toulousain.
            Faut-il considérer comme André Waroch que l’islam est un totalitarisme par nature ou, comme Ibn Waraq l’écrit, qu’ « il existe des musulmans modérés mais [que] l’islam en lui-même n’est pas modéré. Tous les principes qui inspirent les extrémistes viennent du Coran, de la Sunna et des Hadith. L’islamisme est une construction totalitaire édifiée par des juristes musulmans sur la base des textes fondamentaux de l’islam »[9] ? Faut-il croire, au contraire de ce qu’écrit Waroch, que l’américanisation de la société a plus à voir avec ce formatage des esprits que les textes sacrés de l’islam dont l’interprétation n’est après tout tributaire que de la tradition intellectuelle, riche ou médiocre suivant les époques, qui la prend en charge ? Faut-il se demander encore avec Olivier Roy : « ce formatage n’est-il pas tout simplement le résultat de la domination culturelle du modèle nord-américain ? »[10] Pour reprendre le mot d’un humoriste et ventriloque américain contemporain : « la réponse à cette question est : on s’en fout. »[11]
Peu importe en effet que ce formatage d’une pensée religieuse, qui exclut tout débat théologique et sacrifie la quête spirituelle au profit d’un prosélytisme guerrier qui n’est plus tant religieux que politique, soit le fait de l’américanisation des nouvelles générations de croyants ou trouve ses racines dans le message même délivré par le Coran, il reste qu’aujourd’hui c’est cette violence et cette agressivité qui constituent la partie visible et active de la société musulmane et qui, en France, associées au phénomène de l’immigration de masse, autorisée par l’intéressement et l’irresponsabilité des gouvernements qui se sont succédés depuis quarante ans, nous confrontent directement à une situation si explosive que sa dangerosité ne peut plus être contestée même par les plus angélistes des observateurs.

(A suivre...)



[1] André Waroch. Les larmes d’Europe. Le Polémarque. 2010
[2] Voir : Hans Magnus Enzesberger. Le Perdant Radical. Gallimard. 2006
[3] André Waroch. Les larmes d’Europe. Editions Le Polémarque. 2010. p. 73
[4] Ibid. p. 82-83
[5] Olivier Roy. La Sainte Ignorance. [La couleur des Idées]. Seuil. 2008. p. 46
[6] Ibid. p. 25
[7] p. 42
[8] Cité dans E. Sivan. Radical Islam. New Haven. 1985. p. 25. Voir : Ibn Waraq. Contre l’Islam militant. Revue Politique Internationale n° 95. Printemps 2002. p. 257
[9] Ibn Waraq. Contre l’islam militant. p. 254
[10] Oliver Roy. La Sainte Ignorance. p. 42
[11] Voir les aventures de Triumph, the insult dog, martyrisant de malheureux geeks américains :
-          Dans quel matière le corps de Han Solo a-t-il emprisonné par Jabba the hut ?
-          (réponse collégiale) : LA CARBONITE !!
-          Erreur ! La réponse correcte est : on s’en fout !