C’était
entendu, les primaires devaient constituer une innovation déterminante dans le
paysage politique d’une France toujours en retard; un progrès démocratique
indéniable, la preuve irréfutable qu’on laissait les gens enfin s’exprimer.
Quelques semaines après la fin du grand cirque, le nouveau dispositif apparaît
pour ce qu’il a toujours été : une arnaque de haut vol. Mais attention tout de
même à bien prendre conscience des enjeux : on n’évolue pas ici dans la
grivèlerie de bas étage ou l’embrouille de brocanteur, c’est de la belle
entourloupe dont il est question, c’est de grand art dont on vous parle
messieurs-dames, pas d'un vol à la tire mais bien du braquage du siècle : celui
de trente millions d’électeurs.
Dans
l’un de ses ouvrages, Bertold Brecht raconte une belle histoire qui fait
beaucoup penser aux primaires. Il était une fois en Chine un empereur très
impopulaire confronté à une grave crise agricole qui jetait dans la famine la
moitié du pays. Face au mécontentement du pays, l’empereur décida alors
d’organiser un grand concours d’éloquence auquel il invitait à participer tous
ses sujets. Le concours remporta immédiatement un vif succès tant chacun était
soucieux de démontrer son talent et sa supériorité sur ses rivaux, tant et si
bien qu’on ne parla bientôt plus du tout de la famine mais seulement du
concours d’éloquence et que l’empereur put habilement sauver sa tête. Les
choses se sont peut-être passées différemment au royaume de France ;
François Hollande n’a pas réussi lui à sauver sa tête, pas plus que celle de
son remuant disciple, le bouillant Manuel. Il aura toutefois réussi un beau
tour de passe-passe pour tenter de sauver une dernière fois la République des
copains en pleine déliquescence.
Ainsi,
il était une fois un pays dont le président était si impopulaire qu’il décida
de ne pas se représenter devant les urnes de peur de se prendre une veste
magistrale. En son propre parti, de vils frondeurs avaient décidé d’organiser
un concours d'éloquence pour désigner son successeur. Le favori du président fut
battu et les urnes désignèrent le leader des frontistes rebelles comme
vainqueur. Dans le camp adverse, chez LR, on avait évincé en grande pompe un
autre ex-président et un vieil éléphant fatigué pour désigner un frais poulain
plébiscité par les gogos conservateurs qui en faisait leur champion. On allait
voir ce qu'on allait voir, le changement ce devait être maintenant. On a vu.
Alors
que la panique gagnait le navire socialiste, fuyant de toute part, il a suffit
que François Hollande se choisisse un nouveau favori en la personne d'Emmanuel
Macron et que Bercy téléguide une petite enquête de moralité sur le nouveau Monsieur
Propre de LR pour que toutes l'armure scintillante de François Fillon vole en
éclat. A deux doigts de la mise en examen, Fillon qui ne comprend même pas ce
qu'on lui reproche, tant ces pratiques sont répandues chez ses confrères,
risque d'exploser en plein vol, laissant la place au prestidigitateur Macron
qui saura peut-être se frayer un chemin jusqu'au premier tour avant d'émerger
en sauveur de la République au second face à Marine Le Pen...« C'est la
revanche de Dreyfus », braillait Maurras à son procès. « Et ben voilà
celle de Jospin », ricane Hollande dans son bureau. Mais pas si vite.
N'oublions pas, perdus dans les arcanes du complotisme électoral, enivrés de
machiavélisme et fascinés par l'arithmétique du pouvoir qu'il reste une
inconnue à gauche : Benoît Hamon, vainqueur des primaires de la « belle
alliance populaire ».
Attendez
pardon, qui ça ? Benoît qui ? Vous parlez du petit mec aux oreilles
décollées avec son revenu universel ? Soyons clairs, il n'est peut-être pas
aussi fusillé que Fillon mais sa victoire ne vaut pas mieux que celle de
l'homme aux sourcils en forme de parachutes (dorés). Fillon a remporté une
victoire éclatante en surfant sur la détestation de Nicolas Sarkozy. Benoit
Hamon a, lui, vaincu sans gloire contre des tocards détestés dans leur propre
camp, au cours d'une primaire en comité restreint que la Haute Autorité du PS
s'est échinée à présenter comme un succès populaire mais dont il a fallu
traficoter de façon pathétique les chiffres de participation pour hisser
l'événement au-dessus d'un match de division 2 en termes d'intérêt populaire.
Benoît Hamon peut rouler des mécaniques mais pour le moment il est le roi de la
mare au canard et son concurrent direct, Jean-Luc Mélenchon, reste le boss du
marigot d'en face, autrement plus remuant.
Comme
à droite précédemment, les électeurs de gauche se sont fait plaisir au cours de
leurs primaires en élisant « le candidat de la vraie gauche », celui
qui va « régénérer idéologiquement le PS ». Pourtant, à lire un
programme à peu près aussi vide qu'un manifeste de Nuit Debout, on devine
qu'Hamon ne va pas régénérer grand-chose. Volet économique : zéro.
Affaires étrangères : absentes. Perspectives : fumeuses. La seule
bonne idée dont on peut créditer Benoit Hamon est celle de la prise en compte de
la destruction du travail par l'automatisation des tâches dans les sociétés
post-industrielles. Pour résoudre la difficulté, Benoit Hamon propose de créer
un revenu universel sans conditions pour les 18-25 ans, ce qui, en termes de
politique de l'embauche, revient à créer une sorte de Center Parc du travail où
l'on parquera tous les oisifs.
Donc,
si l’on résume, les primaires ont investi un mort-vivant à droite et un caniche
à gauche. Le premier, Fillon, s’est présenté avec un programme d’austérité
ultralibérale qui a fait saliver de bonheur les retraités aisés.
Les hérauts du libéralisme triomphant ont enrobé tout cela de la logorrhée
habituelle : la croissance en berne, la dette abyssale, la fiscalité
insupportable, etc. tandis que les députés s’imaginaient déjà embaucher la
femme, le neveu et la vieille tante dans la future Assemblée nationale de 2017.
Patatras ! Le chevalier blanc se révèle être ce qu’il a toujours été :
un politicien professionnel qui a fait toute sa carrière sur les bancs de la
droite partisane, le doigt sur la couture du pantalon, et a vécu sous les ors
de la République, toujours prêt à recevoir un peu de ses prébendes.
Le
deuxième, Hamon, est du même acabit. Il a charmé pour ne pas dire envoûté la
vieille clientèle du gauchisme bon teint avec un programme soit disant utopique
dont le contenu se révèle bien pauvre. Hormis le revenu universel, toute la
panoplie du bobo urbain et bien-pensant y est passée : une couche d’écologie
et de bien-être, un enfonçage de portes ouvertes sur la discrimination, l’accueil
chaleureux des migrants, etc. Les parlementaires ont un peu tiqué mais le monde
médiatico-culturel, quand il n’est pas tombé en pâmoison devant Macron, s’est
réjoui de cette fraîcheur politique et de cette humble frimousse. C’est vrai que Hamon
nous semble un gars bien sympathique. Il n’empêche que, à l’instar de Fillon,
il est un pur produit de l’appareil politique du PS – ce que l’on appelait
auparavant un apparatchik – qui n’a jamais vu le moindre début d’un bout de
travail salarié. Ce dernier peut bien se faire l’avocat de la raréfaction de l’emploi : il connaît bien son sujet. Pour un peu, il ressemblerait à un champion de l’austérité
qui a été pris les mains dans le pot de confiture – pour rester poli. Mais gare aux pronostics trop hâtifs. Le fade Hamon pourrait bien se glisser dans le peloton de tête si la mongolfière Macron finit par exploser à force d'avoir la grosse tête. Vous vous rappelez de la fable de la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf ? Rendez-vous au prochain épisode alors.
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