Âgé
de 98 ans, Jean Starobinski a achevé à deux ans près la boucle
centenaire d'une vie consacrée à la littérature et à l'esprit.
Cet éloge funèbre n'a rien d'exagéré. D'origine juive polonaise,
fils d'Aron Starobinski et Szajndla Frydman, l'inoubliable auteur de
Montaigne
en mouvement1
était
médecin, psychiatre, professeur de lettres, historien et philosophe.
Ce polymathe titulaire à la fois d'un doctorat de lettres et de
médecine aura voué son existence, de sa thèse soutenue en 19602
en passant par les Trois
fureurs3
en 1974 jusqu'à La
Beauté
du monde en
20164,
à arpenter les rivages du spleen
et de la mélancolie dans la littérature ou la psychanalyse et à
explorer les territoires de l'intime et du roman du Moi, passant de
Rousseau à Stendhal, Montaigne, Baudelaire, Shakespeare ou Freud, et
voyageant sans cesse entre la théorie littéraire, l'herméneutique,
la philosophie et l'histoire de la médecine, à la recherche de la
clé de l'énigme de ce que Denis Diderot nommait
« le
sentiment habituel de notre imperfection », fantastique moteur de la
création intellectuelle.
Ami d'Yves Bonnefoy ou de Georges Poulet, Starobinski
sera resté fidèle à la Suisse et à Genève toute sa vie,
recréant, avec d'autres penseurs de « l'Ecole de Genève »,
une véritable communauté philosophique dans la capitale helvète,
comme une reproduction en miniature de la République des Lettres.
Les médias ont réservé au philosophe un hommage plus que discret
ces derniers jours. Il y a dix ans de cela, la mort de Julien Gracq,
un des derniers géants de la littérature, achevait une époque.
Avec Starobinski, un des derniers grands critiques et philosophes,
c'est à nouveau une part de l'esprit du Vieux Continent qui tire sa
révérence.
Jean Starobinski. L'Oeil vivant. Gallimard. 1961
1
Gallimard. 1982
2« Histoire
du traitement de la mélancole des origines à 1900 »,
thèse, Acta
psychosomatica,
Bâle, 1960
3
Gallimard. 1974
4
Gallimard
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