« Chers spectateurs,
C’est avec regret que nous vous annonçons notre départ du cinéma la Pagode.
Nous nous sommes battus juridiquement pendant 3 années contre la propriétaire des lieux qui souhaitait récupérer la Pagode.
La décision a été rendue vendredi 30 octobre en appel et malheureusement, elle nous est défavorable.
Nous sommes donc dans l’obligation de quitter la Pagode le mardi 10 novembre 2015. »
C’est avec regret que nous vous annonçons notre départ du cinéma la Pagode.
Nous nous sommes battus juridiquement pendant 3 années contre la propriétaire des lieux qui souhaitait récupérer la Pagode.
La décision a été rendue vendredi 30 octobre en appel et malheureusement, elle nous est défavorable.
Nous sommes donc dans l’obligation de quitter la Pagode le mardi 10 novembre 2015. »
C’est par ces quelques mots, qui introduisent
l’annonce collée sur les portes d’entrée, que les clients et habitués de la
Pagode, ont pu apprendre la fermeture prochaine de cette salle mythique,
haut-lieu du cinéma d’art et d’essai, situé au 57 bis rue de Babylone, dans le
VIIe arrondissement de Paris.
En 1959, Jean Cocteau avait choisi la Pagode
pour la toute première projection du Testament d’Orphée,
convaincu qu’il s’agissait bien là du « temple du cinéma », comme
l’avait dénommé quelques années plus tôt Ciné Magazine. Avec
son luxuriant jardin japonais, élaboré sous l’impulsion des frères Louis et
Vincent Malle en 1973, et les fresques orientales et guerrières de sa
« salle japonaise », la Pagode peut en effet faire figure de temple à
la Loti ou à la Mirbeau. Construite en 1896, l’ouverture de la salle a suivi de
quatre ans la publication duFantôme
d’Orient de Loti et précédé de quatre celle du Jardin des Supplices. Sur les murs
et le plafond de la « salle japonaise », l’orientalisme déroule ses
ors et ses tentures dans une luxuriance à laquelle les grands complexes de
cinéma ne nous ont pas habitués.
La Pagode fut
d’abord un cadeau, de François-Emile Morin, patron du Bon Marché, à sa femme
qui lui fut peu reconnaissante puisque, nantie de ce petit Taj Mahal parisien,
elle plaqua son généreux époux pour aller batifoler avec le jeune fils de son
associé. Haut-lieu des frivolités de la Belle-Epoque, la Pagode fera office de
somptueuse salle de réception jusqu’à une fermeture provisoire en 1927 et son
ouverture au grand public en 1931, date à laquelle elle devient un autre
temple, celui du 7e art, en se transformant en salle de cinéma. Une salle de
cinéma unique à Paris, où l’on pouvait encore récemment se consoler de voir un
film décevant en admirant les splendides décorations de la grande salle.
La "salle japonaise". Photo Jean-François Chapuis
Dans les années 1960, la Pagode est investie
par la Nouvelle Vague et devient l’épicentre de la cinéphilie et de
l’avant-garde cinématographique. Truffaut, Rohmer, Louis Malle y sont
régulièrement programmés et la salle devient l’un des temples du cinéma d’art
et d’essai avant même que ne soit créée officiellement l’AFCAE, l’Association
Française des Cinémas d’Art et d’Essai en 1956, dont la Pagode devient, avec le
Louxor, l’un des établissements emblématiques. Que va devenir aujourd’hui ce
lieu mythique, dont le jardin, la toiture et la grande salle sont classés aux
monuments historiques depuis le début des années 1990 ? A la différence
des jardins et du bâtiment, l’écran qui a participé à l’histoire du cinéma français,
lui, n’est pas classé aux monuments historiques. Et rien ne garantit qu’après
la fermeture du 10 novembre prochain l’avenir de la Pagode en tant que cinéma
sera assuré.
L’aboutissement, le 30 octobre dernier, de la
procédure qui a opposé la propriétaire des lieux au gérant, la société
Etoile-Cinéma, a débouché sur la décision de fermer les portes de la Pagode.
Une décision apprise avec consternation par les employés comme par les
spectateurs. Parmi ces derniers, un certain Jean Rochefort, habitué de la Pagode,
a, comme beaucoup, appris par hasard que son cinéma allait fermer, en venant
voir un film. L’inoubliable interprète du « Vieux » dans le Crabe-Tambour a immédiatement tenu à apporter son
soutien public au personnel de la Pagode et à exprimer son désarroi face à une
fermeture « impensable » pour lui.
Mais les
protestations de Jean Rochefort et des amoureux du cinéma ne suffiront
peut-être pas, cette fois, à sauver la Pagode qui avait déjà navigué en de
mauvaises eaux au début des années 2000, avant d’être récupéré par Jean
Henochsberg, d’Etoile Cinémas. Le gérant chassé des murs, le coup paraît cette
fois bien rude et si la propriétaire des lieux a promis que La Pagode
resterait un cinéma, rien n’annonce sa réouverture prochaine et l’on n’a aucune
certitude quant au sort réservé à ses employés. On serait aussi curieux de
connaître, sur la question, l’avis d’Anne Hidalgo, de Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, ou de Fleur Pellerin, ministre de la Culture. Cette dernière posait le 30 octobre
dernier en compagnie de la promotion de CinéFabrique, l’Ecole du Cinéma et du
Multimédia à Lyon, et déclarait vouloir « construire le cinéma de
demain ». Le cinéma continuait à exister localement et au jour le jour sur
les écrans des salles d’art et d’essai comme la Pagode, mais son avenir paraît
aujourd’hui bien sombre.
Photo: Jean-François Chapuis
Publié également sur Causeur.fr
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