« L'hygiène
est une divinité majeure de la société industrielle qui, laissée à elle-même,
irait jusqu'à stériliser - pasteuriser - toute vie sous prétexte d'éliminer les
microbes. Certes, ses raisons ne sont que trop bonnes, la propreté est nécessaire.
Mais toute raison spécialisée devenant folle, il ne faudrait pas en arriver au
point de bâtir son foyer, et la cité entière autour d'un autel sanitaire. Cette
obsession de l'hygiène ne serait-elle pas le fait d'une société urbaine plus
crasseuse, plus infectée - autrement dit plus polluée - qu'une autre ? »
Bernard
Charbonneau, Un Festin pour Tantale, Sang de la Terre, 1997
La
réédition d’Une adolescence au temps du
Maréchal offre le savoureux plaisir de retrouver ce diable d’homme, à la
fois mystique sauvage, païen décharné et rebelle étoilé : François
Augiéras. Avec lui, nul doute possible, l’on sait qu’il y a des hommes qui ne
sont pas comme les autres – qu’on produit aujourd’hui en série – et des vies
enfouies dans le monde qu’il faut explorer avec la liberté des barbares. Nous,
les civilisés, les polis, les attentionnés, les gens en bonne santé, on devrait
lire et relire ces quelques pages qui, sous la forme d’une autobiographie de
jeunesse, signent l’authenticité fruste d’un homme et l’étrangeté radicale d’un
esprit.
Son
œuvre est déjà toute entière en germination dans ce parcours de jeunesse dont
les premières impressions remontent à l’année 1931 (Augiéras a six ans !)
et se terminent en 1958 avec les peintures rupestres effectuées dans un
blockhaus algérien. Entre-temps, il aura humé le parfum d’une ville morte,
Paris.
« L’événement
déterminant de ma petite enfance est le fait que mes yeux se sont ouverts sur
une civilisation dégradée, et que
j’en ai souffert, que j’ai senti d’instinct qu’elle était pourrie jusqu’à la
moelle et sans aucun avenir. Je ne l’oublierai pas ; ma vie entière je
prendrai absolument le contrepied de Paris ».
Puis,
il intègrera en 1941 un de ces mouvements de jeunesse qui prolifèrent dans la
France de Pétain afin de promouvoir le retour à la terre. Il y fait preuve de
l’enthousiasme d’un jeune adolescent déjà atypique voire asocial qui connaît
ses premières extases au contact de la nature luxuriante et de l’immensité du
ciel ouvert au cosmos. Très rapidement, Augiéras prend conscience de son exil intérieur
et s’imagine d’autres destinées qui, à la suite de Rimbaud et de Nietzsche,
réinventent la vie.
« Ce qui m’intéresse, c’est le retour au
cosmos de ceux qui vont vers l’avenir ; il y a presque un bon usage à
faire du triste état de la France pour tenter de progresser rapidement vers un
nouveau paganisme, vers le ciel étoilé des nouvelles aventures de
l’esprit : nous vivons d’une manière anormale, admettez-le. Profitons de
cette situation pour tenter une expérience. Un monde s’achève, un autre va
naître ; profitons de ce moment de rupture, de cette hésitation de
l’Histoire pour entrevoir les mutations possibles, un nouvel élan de la vie ».
Pendant
la guerre, le jeune Augiéras sillonnera également les routes du Périgord avec
une petite troupe de théâtre itinérante et se retrouvera même à la tête d’un
pensionnat de jeunes délinquants. Ce qui occasionnera, on s’en doute chez lui,
des scènes pour le moins rocambolesques qui finiront toujours par une
méditation nocturne au cœur de prairies humides et étoilées. A plusieurs
reprises, le livre témoigne de cette mystique naturelle :
« Je
m’apprêtais à le suivre, quand il y eut en moi une soudaine attention pour le
ciel bleu que j’apercevais à travers les branches et les rejets de châtaignier.
Je l’examinai longuement : un ciel printanier clair et chaud. J’éprouvai
une immédiate attirance pour cet azur simple ; une part de mon être tourna
en direction de l’espace et commença à vibrer doucement ».
Peinture d'Augiéras
Au
sortir de la guerre, à l’âge de 20 ans, Augiéras se rend en Algérie, dans la
commune désertique d’El Goléa, pour y retrouver son oncle, ancien colonel de
l’armée qui vit retiré dans une sorte de forteresse délabrée et isolée du
monde. Se nouent entre eux une relation orageuse, venimeuse et charnelle
sur laquelle Augiéras reviendra dans son livre Le vieillard et l’enfant. Le désert, le soleil, les collines rocailleuses,
les nuits de pleine lune sont de nouveau l’occasion pour lui de vibrer au
rythme du cosmos. Il retournera en Algérie une fois en 1958 mais sa véritable terre
d’élection sera le Périgord, là où il trouvera refuge pour s’abriter d’une
société moderne qui le rend et qui le prend pour un fou. Lui, pourtant, ne
changera pas, il restera un barbare qui vient d’un autre temps, plus profond,
plus lointain, pour témoigner d’une autre vie.
Peinture d'Augiéras
Qu’il
aille à la rencontre de Gide, qu’il visite un sorcier périgourdin, qu’il
descende en solitaire les rives silencieuses de la Vézère, qu’il explore les
grottes de Bissière, c’est toujours le même homme qui témoigne de la même
tension, celle qui vient de lointaines civilisations sacrées dont il est à coup
sûr l’un des derniers rejetons, dont on voit encore, en songes, les branches se
déployer au ciel bleu du monde.