Rosâtre et gras, la boule à Z,
il se présente : « Bébé-cadum »,
désigne son sexe : « Kiki Magnum... »,
nomme ses élèves « Mes cochonnets »,
puis il professe bien des choses sales
De braves parents épouvantés,
grâce à Whatsapp, montent une cabale
Plaisir coupable ? Assurément que
de se remémorer avec un petit pincement à l’âme la figure sévère de Dyanne
Thorne, encorsetée dans sa blouse blanche, poitrine opulente et ouverte,
brassard à croix gammée et bottes en cuir, celle qui officiait en tant que
médecin de camp perverse et nymphomane dans Ilsa,
la louve des SS. Naturellement, on peut lui préférer une version plus noble
avec Luchino Visconti qui mettait en scène une orgie homo-érotique d’officiers
SA juste avant la nuit des longs couteaux dans Les damnés. Ou encore une version plus transgressive avec Portier de nuit (Liliana Cavani) où
l’érotisme et la mort ondulaient ensemble à travers les personnages d’un ancien
tortionnaire nazi et d’une jeune rescapé des camps ; Dirk Bogarde et
Charlotte Rampling formant un « couple » aussi lugubre qu’envoûtant.
En 1975, à l’occasion d’une critique de l'ouvrage de Leni Riefenstahl (The Last of the Nuba), l’austère Susan
Sontag avait bien perçu, en dépit de quelques raccourcis, que le
« fascinant fascisme » était en train de se répandre dans les marges
de la culture.
C’est la thématique ô combien
« affriolante », si l’on peut s’exprimer ainsi, que le journaliste et
écrivain Clovis Goux a choisi d’explorer dans son dernier roman Les poupées. Le bandeau du livre,
sensationnaliste mais diablement efficace, renvoie plus directement à la nazisploitation, une série de films de
série B réalisés au cours des années 1970 qui, à la suite d’Ilsa, la louve des SS, exploite le filon
de la pornographie teintée de nazisme[1].
Le point de vue adopté par l’auteur est cependant plus large avec la
déclinaison de quatre histoires réelles (mais romancées) qui le plus souvent
résonnent entre elles et qui, parfois, se croisent et se confondent dans ce
point ultime qu’est le nazisme d’opérette. Quatre histoires, donc, et quatre
personnages pittoresques : Yehiel Dinur qui sous le pseudonyme de Ka-Tzetnik
135633 a écrit House of dolls en 1953
pour relater de manière fantasmatique sa vie dans les camps ; Bob Cresse,
producteur sulfureux des marges de Hollywood, qui réalise le tout premier film
de la nazisploitation, Love camp 7,
en s’inspirant plus ou moins lointainement du livre de Ka-Tzetnik ; Lena
Riefenstahl, la cinéaste culte du Troisième Reich, qui pour faire oublier son
passé part en expédition au Soudan pour photographier le peuple Nouba ;
Luchino Visconti, enfin, qui réalise Les
damnés en 1968 avec son acteur et amant fétiche Helmut Berger.
La
succession des chapitres, souvent brefs (4-5 pages), intriguent les histoires
entre elles pour créer l’atmosphère vénéneuse et surannée du nazi trash et
kitch. La grande force de l’ouvrage est aussi sa principale faiblesse :
partir de faits réels pour en proposer une interprétation personnelle sans que,
toujours, le lecteur ne puisse faire la part du vrai et du faux. Ainsi, l’itinéraire
de Bob Cresse dans les bas-fonds du cinéma hollywoodiens et les péripéties de
la réalisation de Love camp 7 sont
passionnants. Ils décrivent symboliquement le retournement des années hippies
en une sorte de noir psychédélisme avec en toile de fond la figure de Charles
Manson qui, déjà, arborait une croix gammée entre les yeux. Le traitement de la
« pauvre » Leni Riefenstahl est aussi jubilatoire que farcesque ;
l’auteur prend un malin plaisir à la décrire en harpie nymphomane tout au long
de son périple au Soudan. La charge est parfois grossière et entendue – rouler dans
la fange la réalisatrice du Triomphe de
la volonté – mais l’on sourit volontiers à ces mésaventures. Un ton tout
aussi sarcastique parcoure les pages consacrées à Visconti et, surtout, à ses
déboires avec son amant et cocaïnomane Helmut Berger. Là aussi, la charge est
un peu lourde alors même que certains passages auraient mérité d’être plus
amplement fouillé tant ils sont captivants. Enfin, les plus longs chapitres
concernent Yehiel Dinur, le personnage le plus intrigant, celui qui a tenté d’exorciser
sa terrible expérience dans une histoire hallucinante de jeunes femmes
contraintes de se prostituer dans un camp de concentration nazie. L’ouvrage
change de ton ; l’auteur essayant de se mettre à la place de Ka-Tzetnik
pour sonder les abîmes d’une âme déchirée par l’histoire. Disons que ce n’est
pas toujours convaincant mais jamais ennuyeux.
Bref,
Les poupées est un ouvrage à
conseiller, fortement, par son originalité, son style et sa thématique. On
aurait presqu’aimé qu’il porte tout entier sur l’histoire de la nazisploitation
tant ce phénomène paraît extravagant à seulement une trentaine d’années de la
découverte des chambres à gaz. Il peut être interprété comme l’un des
monstrueux enfants de Hollywood Babylone
si bien décrit par Kenneth Anger – dont le Scorpio
Rising figurait sur la liste établie parSusan Sontag pour dénoncer le « fascinant
fascisme ». La boucle est bouclée. Croix gammée.
[1] Pour les plus connus, on peut citer
les titres suivants qui, à eux seuls, résument parfaitement le contenu des
films : SS Experiment Camp
(1976), Last Orgy of the Third Reich
(1977) ou Salon Kitty (1976).