Un
écogeste (VIII)
Altière tass-pé
sur un vit planté
couinant ses ahans,
tourne, tourne,
dans le sens du vent
Un
écogeste (VIII)
Altière tass-pé
sur un vit planté
couinant ses ahans,
tourne, tourne,
dans le sens du vent
Rarement, le Conseil constitutionnel n’aura été scruté avec une pareille vigilance comme si les bien mal nommés « sages » pouvaient être autre chose que ce qu’ils ont été tout leur vie durant : des larbins dorés de l’Etat. Peut-on s’imaginer un seul instant que des individus qui ont passé toute leur existence sous les ors de la République, avec tout ce que cela suppose d’allégeance pour les hauts fonctionnaires et de manigances pour les acteurs politiques, se dressent face au pouvoir, même d’un point de vue purement juridique, et rejoignent ainsi le peuple à qui ils ne doivent rien, exception faite de quelques mandats électoraux bien mal acquis. Certes, le vent peut tourner un peu mais sûrement pas renverser une institution dont la raison d’être est de maintenir l’ordre constitutionnel.
La composition d’abord. Sans revenir sur l’extravagance que constitue la présence des anciens présidents de la République imaginé au départ par le général de Gaulle et Michel Debré afin de récompenser René Coty pour service rendu, la nomination des neuf membres dépend exclusivement de personnalités politiques de premier plan : le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Si l’on avait pu croire un moment que la sagesse de ces derniers allait supplanter les jeux d’appareil en privilégiant, par exemple, des profils doués pour les arcanes juridiques, toutes les dernières recrues manifestent un très haut degré de partialité pour ne pas dire de connivence avec le pouvoir. Ainsi, les soupçons de renvoi d’ascenseur qui pèsent sur la dernière nommée, Véronique Malbec : celle-ci aurait en tant que procureure générale accéléré le classement sans suite du dossier de l’affaire des « Mutuelles de Bretagne » pour laquelle le président de l’Assemblée nationale avait été mis en cause – et qui l’a nommé ! Que dire de Jacqueline Gourault, licencié en histoire/géographie, qui a fait une belle carrière politique à l’UDF avant de rejoindre le parti au pouvoir et de devenir ministre sous la présidence d’Emmanuel Macron – et qui l’a nommé ! D’Alain Juppé qui avait multiplié les courbettes à l’endroit du Président, en trahissant au passage son camp politique, pour faire savoir qu’il était prêt à consentir à une retraite dorée au Conseil, rejoignant ainsi un autre ex-premier ministre en la personne de Laurent Fabius. Le bon Gérard Larcher ne déroge pas à la règle : il a systématiquement nommé des proches, jusqu’à son propre chef de cabinet, qui ont fait carrière dans le prolongement des Républicains. Le résultat est sans appel : qu’ils soient étiquetés à gauche ou à droite, les membres restent des grands serviteurs de l’Etat dont la servilité est inscrite dans leurs gènes. Et pour cause, qui ne rêve pas de voir sa retraite, déjà grassouillettes pour ceux-là, d’augmenter d’une indemnité de 13 500 euros par mois. A l’hospice constitutionnel, la moyenne d’âge des membres du Conseil est de 72,6 ans.
La jurisprudence ensuite. Sans entrer dans l’argumentation filandreuse des décisions, le Conseil s’est arrogé un droit d’interprétation exorbitant en faisant jongler les textes et les principes en fonction des situations et au fil de ses besoins ; il est devenu la matrone des représentants de la nation qui ne savent jamais quels principes vont l’emporter, et pour cause, ils se contredisent entre eux : le droit de propriété contre le droit au logement, la liberté d’entreprendre contre le principe de précaution et même le principe de fraternité contre les lois de la République ! Il n’empêche qu’une étude minutieuse de la jurisprudence ne trompe personne : les décisions penchent très souvent du côté de la liberté d’entreprendre quitte à faire prévaloir les intérêts privés contre le bien commun[1]. Le néolibéralisme qui ne dit pas son nom est également à l’œuvre au Conseil, d’autant que celui-ci n’est pas imperméable au lobbying des sociétés privées qui déploient, notamment à l’occasion des questions prioritaires de constitutionnalité, leur armada de professionnels du droit. Quant aux libertés publiques, dont le Conseil se gargarisait d’être le protecteur, elles se sont effondrées à l’occasion de la décision – honteuse – relative à l’état d’urgence sanitaire. Toutes les mesures qui en découlaient, dont la suspension de la liberté d’aller et venir, ont été validées au nom du sacrosaint principe du droit à la protection de la santé.
Il n’est donc pas étonnant de voir, aujourd’hui, le Conseil placé sous la protection d’une garde prétorienne face à des citoyens dessillés : le droit dit l’ordonnancement du monde mais il arrive que la réalité surgisse des sous-sols et piétinent le droit. Cette nouvelle décision, même pas en trompe-l’œil, nous rappelle que les sages seraient mieux dans un véritable hospice.
[1] Voir Lauréline Fontaine, La constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel, éditions Amsterdam, 2023.
Que n’entend-on pas sur la jeunesse ! Un florilège d’âneries sorti tout droit de médias accrocs à la pensée soixante-huitarde revisitée par les dingueries à la mode, comme si les boomers avaient transféré leurs désirs révolutionnaires sur une génération qu’ils ont pourtant sacrifié à loisir. Ainsi, les jeunes seraient hautement conscientisés à l’écologie dans le prolongement d’une adolescente verdisée et puritaine, Greta Thunberg, élevée au rang d’icône mondiale. Ils seraient également à la pointe de l’activisme politique et sociale pour ressourcer la démocratie aux idéaux purs de l’égalitarisme forcené et de l’anticapitalisme d’opérette. Sans compter leurs perceptions aigües des dangers portés par les nouvelles technologies et leur résistance, déjà féroce, face à tous les fascismes qui gangrènent le corps social.
Pourtant, à y regarder de plus près, et justement du fait de leur âge, cette jeunesse est à l’image de la société qui l’a façonnée : à moitié débile, consumériste jusqu’à l’os, narcissique compulsive et pathologiquement dépendante des réseaux sociaux. En cela, elle est un parfait reflet des autres générations avec ce poids en plus, impossible à porter : l’incapacité de s’inscrire dans une généalogie de pères et de mères défaillants et, donc, l’impossibilité de transgresser ce par quoi ils sont venus au monde. D’où la répétition farcesque de slogans éculés et la posture ridicule des gardiens rouges de la liberté avec cette pincée d’anarchisme debordien mal digéré : « Plutôt crever que travailler ! ». Cinquante ans après, le gauchisme demeure une « maladie verbale du marxisme » et, en 1974, Pasolini concluait déjà amèrement : « Les masques répugnants que les jeunes se mettent sur le visage, et qui les rendent aussi horribles que les vieilles putains d’une iconographie injuste, recréent objectivement dans leur physionomie ce qu’ils ont condamné à jamais – mais uniquement en paroles ».
La sous-culture du pouvoir a absorbé la sous-culture de l’opposition : CRS d’un côté, étudiants de l’autre, même combat ! Chacun joue sa partition à la perfection : les méchants flics de l’Etat qui matraquent les petits bourgeois des beaux quartiers. Et le cortège des sociologues appointés, des associations subventionnées et des médias au service de s’offusquer sur tous les tons de la violence systémique de l’Etat profond. Quelle mascarade ! Tout ce petit monde, après s’être égosillé, jouera les vierges effarouchées devant les avancées de l’extrême-droite et rejoindra bien gentiment les rangs du pouvoir, seul et dernier rempart face à la barbarie.
La jeunesse, ou tout du moins une partie d’entre elle, aura été de nouveau manipulée et sacrifiée sur l’autel d’une radicalité sans lendemain pour complaire aux fantasmes d’une génération qui, décidément, ne passe pas la main. Comme le prophétisait Pierre Legendre : « Enfants meurtriers, adolescents statufiés en déchets sociaux, jeunesse bafouée dans son droit de recevoir la limite, votre solitude nue témoigne des sacrifices humains ultramodernes ».