FANFARE !
FANFARE !
Quelle plume ! Quel souffle ! Romaric Sangars se rappelle au bon souvenir des cosaques et part à l’assaut du monde avec, en sa main droite, tenu ferme, le bouclier mystique des Cisterciens du XIIème siècle et, en sa main gauche, brandi haut, le glaive des avant-gardes du XXème siècle. Un drôle de cavalier, me direz-vous, et un assemblage pour le moins inattendu : Bernard de Clairvaux et Hugo Ball, la prière et le tract, l’ascétisme et la folie. Mais il faut bien de tels attelages pour aborder une époque qui, justement, s’efforce méticuleusement d’énerver toute volonté, de ravaler toute création et de salir tout désir. Alors, vive l’embardée !
Il faut commencer par sarcler toutes les mauvaises herbes culturelles qui ont poussé dans une terre polluée et sous un ciel vide. L’homme rapetissé – rétréci dirait Schiffter – n’a d’autres horizons que de se rabaisser à l’état animal, comme enfoui dans la glaise du vivant, ou de se fantasmer en surhomme de pacotille, animé par des technologies sans reliefs. Fuir la réalité à tous prix jusqu’à se dés-engendrer pour ranger les organes, la chair, la peau, les yeux, etc. au magasin des accessoires, en libre choix et selon les modes du marché. Nous sommes passés, comme le note ironiquement Sangars, de l’homme-étoile à la femme à barbe.
L’effondrement de l’âme collective a pu être, un temps, retenu par la sourde révolte des avant-gardes sans toutefois en empêcher l’écrasement sous les injonctions des « éveillés » (woke) qui œuvrent à briser tout élan vital, préparant ainsi l’asservissement général des hommes. Le monde comme stock de matières premières à épuiser, l’histoire comme dette monstrueuse à rembourser, la vie personnelle comme capital à exploiter, l’ensemble régi par les algorithmes. Clap de fin.
Le diagnostic est bien connu mais faut-il encore en explorer les pires maux pour se rappeler avec Hölderlin que « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». C’est le deuxième niveau, plus profond, du manifeste : retrouver pied dans ce qui a toujours été, sur le sol fleuri des méditations qui, pour nous Européens, prend la forme du Christ en croix. Mieux, Sangars nous invite, comme le cavalier bleu qui erre entre les époques, à renaître au XIIè siècle, dans ces « laboratoires d’humanité et de divinité », ces incroyables « centrales spirituelles » qui ont fusionné la perspective christocentrique et la mystique amoureuse sous l’inspiration de Bernard de Clairvaux. La meilleure des façons pour conjurer le dualisme qui sourd de toute entreprise religieuse et le gnosticisme qui envenime tout discours mystique : en effet, sur la croix, un corps de chair est devenu le plus haut monument jamais conçu pour témoigner de l’Esprit. Le Christ restaure par son sang la sainte alliance et apparaît dans l’ensemble de la création, comme une épiphanie : « Par ses os, il rejoint le règne animal ; par ses fonctions végétatives, toute la flore ; par sa vie physique, il communie avec l’ensemble des bêtes ; par ses songes, les anges lui transmettent des visions. »
Renaître à cette réalité fondamentale, renouveler les rayons de nos facultés et retrouver le « centre perdu » d’où s’élancent nos brèves existences, avec des possibilités narratives inouïes puisque Dieu peut s’identifier à tous et chacun peut s’identifier à Dieu. C’est là, sans doute, que la dernière avant-garde se tient, dans les creusets encore brûlants de l’alchimie, pour faire que la vie s’élève à la hauteur du Verbe. Œuvre de création : « Conférer à la contraction d’une étoile les reflets d’une étreinte, tel est le genre d’élasticité symbolique que pratique le poète, jouant avec le code génétique du monde, en revivifiant la structure, assistant Dieu dans le déploiement de Son œuvre. »
A cette dernière phrase, l’on comprend le plaisir de lire ce manifeste, comme une invite à l’action transfiguratrice, et l’on ne s’arrêtera pas sur les quelques difficultés de l’entreprise : l’effondrement de l’Eglise, l’épuisement des arts, la « fanaison de l’âme collective », l’orgueil du rationalisme, etc. Qu’à cela ne tienne ! « L’homme n’est pas un schéma à reproduire, ni même un modèle à atteindre, comme la modernité l’a promu, il est fait pour être traversé, pour se traverser, de bas en haut jusqu’à Dieu ». Alléluïa !