L’automne s’installe, sinistre saison propice au désenchantement. Pour Emile, c’est avant tout l’éternel retour des embrouilles professionnelles, car passées la rentrée, l’ivresse des nouvelles missions, la complicité toute neuve avec les jeunes collègues, s’accumulent les bévues et sincères malentendus. Débute alors l’ère des « recadrages », période douloureuse et nécessaire, qui heureusement recèle sa poésie secrète. Remercions Emile de nous la révéler!
RECADRAGE II (Personnalleiter remix)
Pavoise petit rat, car déjà
circule dans les services la cartographie complète de tes points de blocage ;
celle-ci définit au plus juste le périmètre de tes prochains tourments
Pavoise petit rat, car bientôt
les actions collectives s’échelonneront sur plusieurs semestres en vue
d’une refonte vertueuse et durable de ta très puante petite personne
Pavoise petit rat, car à terme
ta carcasse putride valorisera la filière déchets,
allégera la charge mentale du collectif de travail qui profitera enfin de ses afterworks
« Ne
soyons pas trop généreux, seuls les chiens chient à toute heure. »
Christophe Fiat nous délivre un petit
Nietzsche portatif d’autant plus savoureux qu’il est parfois bancal et souvent
drôle. Il appartient sans doute au genre de la pop philosophie si l’expression
n’était pas galvaudée et bien peu séante, avouons-le, pour une tête brûlée
comme l’auteur de la Gaya Scienza.
Aussi, l’approcher sous des angles inattendus, par le petit bout de la
lorgnette, permet de redécouvrir les tics et les tocs du personnage, sa
délectation par exemple pour le jus de viande Liebig, sa découverte enjouée de
la machine à écrire, son bizarre amour pour Lou, son choix du verdâtre pour
illustrer la couverture de Zarathoustra, etc.
En neuf petits chapitres et 152 pages,
Fiat nous invite donc à redécouvrir Nietzsche à partir de quelques
sentences : « Comment Nietzsche y va fort avec son Zarathoustra »,
« Comment Nietzsche fait de la poésie une arme », « Comment
Nietzsche tombe amoureux », etc. La forme épouse le fond et glisse allègrement
du côté du jeu, de la caricature, de la pure invention ou de l’autofiction.
L’insertion d’extraits de la correspondance que Fiat entretient avec sa
dulcinée, grande lectrice et bonne connaisseuse de Nietzsche, sont
particulièrement plaisants, à tel point qu’on se demande pourquoi ce n’est pas
elle, Charlotte en l’occurrence, qui l’a écrit – ce putain de livre. Quelques
dialogues inventés d’une pièce, la réécriture intrigante d’un morceau de vie de
Nietzsche, la présence ludique des questionnaires de Proust et de Nietzsche et
d’autres trouvailles donnent à la lecture un peu de légèreté sans nuire au
propos.
En effet, le travail de recherche est copieux et derrière les anecdotes se profile une véritable
introduction à l’œuvre avec, notamment, quelques-unes des marottes du
philosophe : l’intelligence du corps, les puissances de vie, l’académie
des grands esprits, le rejet du christianisme, etc. On regrettera seulement que
l’auteur cherche à tout prix à réhabiliter Nietzsche en l’édulcorant un peu
trop, notamment dans ses rapports aux femmes. Il n’était certes pas un misogyne
patenté mais de là à en faire une sorte de précurseur du féminisme, il y a
quand même un monde. Et quand Nietzsche dit : « Tu vas chez les femmes ?
N’oublie pas la cravache », je ne suis pas sûr qu’il veuille à tout prix
souligner « l’impuissance masculine tout en révélant le pouvoir à venir du
féminin ».
En tous les cas, ce petit guide offre
une belle entrée en matière et rappelle, si besoin était, que Nietzsche était
surtout et peut-être avant tout un aristocrate du rire. Comme il le signalait
dans sa série de « Chansons du prince hors-la-loi » :