lundi 27 avril 2015

Suffirait-il d'aller gifler Jean d'Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature française ?

Le titre est superbe et la question nécessaire. C’est celle qu’adresse Romaric Sangars (aux Editions Pierre-Guillaume de Roux) aux sommités littéraires qui viennent d’accepter en Pléiade Jean d’Ormesson, écrivain mondain qui se range dans la catégorie des auteurs servant à caler les meubles ou à meubler les pince-fesses télévisuels. Voilà donc un petit essai qui prend le soin de réhabiliter l’art de la beigne afin de redonner un peu de dignité à un monde littéraire plus habitué ces dernières années à exalter les mérites de la reptation. 
Mais, dira-t-on, cela ne se fait pas de gifler un vieillard. La dernière fois que cela eut lieu, en 1303, Guillaume de Nogaret prit tout de même soin de s’entourer d’une petite troupe de quelques centaines de cavaliers, avant de laisser Sciarra Colonna envoyer son gantelet de métal dans la face du vieux Boniface VIII.
Cette fois-ci, c’est avec le seul renfort d’une centaine de pages que Romaric Sangars a décidé d’appliquer un vigoureux soufflet littéraire au pape momifié de la littérature en charentaises :

« Ces résolutions partent en fumée aussitôt que le vieillard se nomme Jean d’Ormesson et que s’affiche à son endroit, sur la balance des Lettres Françaises, l’intitulé « Pléiade », révélant par-là à quel point l’instrument est défectueux et comment, dans ce pays qui exalta la justesse de la mesure et inventa d’ailleurs la norme métrique, tout a déraillé dans le plus décomplexé des n’importe-quoi, une circonstance nous octroyant, par conséquent, un parfait blanc-seing pour gifler à larges volées le vieillard de notre choix sans que plus personne, à notre avis, ne puisse se sentir constitué à nous reprocher moralement cet acte. C’est qu’il faut tout de même que les mots conservent un sens minimal, ne serait-ce, en dernier recours, que dans le domaine littéraire. »

Or voici donc que Michel Crépu, directeur de la vénérable Nouvelle Revue Française, a décidé de défendre le corps giflé de Jean d’Ormesson en rappelant à l’auteur de l’insupportable attentat qu’il est désormais en littérature des mots à ne pas prononcer, des jugements interdits et des soufflets que l’on ne peut administrer. 
Avec l’accord de Romaric Sangars, nous reproduisons ici la réponse de l'auteur à l’admonestation de Michel Crépu, que l'on peut retrouver sur son blog à l'adresse suivante: http://www.lanrf.fr/

Aller. Retour.




Mon nom est-il « Légions » ?

Réponse à la NRF, par Romaric Sangars

Cher Michel Crépu,

Alors même que je m’apprête à m’exprimer ici, je réalise qu’il me manque encore de la salive, tant je me suis récemment amusé à cracher sur la vieille radoteuse comtesse. Par conséquent, ce serait mauvais jeu de ma part que de me plaindre quand vous vous essayez à me tourner en dérision. Et puis « angelot gardien », c’est dédaigneux, certes, mais les ailes, il est vrai, me vont à ravir. Néanmoins, j’aurais aimé éclaircir quelques points avec vous d’une chronique où je suis cité et qui demeure pourtant à mes yeux, globalement nébuleuse. D’abord le titre : « Le charme de l’indéfendable ». On croirait l’annonce d’un papier sur Drieu ou Brasillach. Et puis on tombe de très haut sur une chose très plate : l’œuvre de Lord Consensus, Jean d’Ormesson. Ce que suggère malgré tout ce titre hasardeux, c’est que vous considéreriez la pléiadisation de la baudruche comme « indéfendable », seulement, au contraire de moi, par goût du défi, soudain caprice, instinct de contradiction, vous vous seriez mis en tête, seul contre tous, de la défendre. Car « dans les chaumières, c’est la fin du monde », dîtes-vous ; « Dieu Lui-même éternue » ; « les angelots gardiens s’étranglent » ; bref : apocalypse ! Et vous, cher Michel, seul dans cette tourmente vous conservez votre calme, un maintien bien philosophique, un sourire condescendant aux lèvres, et tentez de nous exposer comment, en vérité, les choses sont à la fois moins graves et plus complexes. Bon. Je ne vous demanderai pas de cracher sur l’ahuri relié cuir, mais seulement, cher Michel, sur les verres de vos lunettes. Ensuite, frottez. Chaussez-les à nouveau. Vous y êtes ? Alors ? Mon nom est-il « Légions » ? Parce que je suis tout seul, mon vieux ! Les chaumières s’en foutent, Dieu en a vu d’autres, quant aux « angelots gardiens qui s’étranglent » à l’instar desquels, moi, etc., eh bien… Nada ! Pas le moindre volettement d’une barbe de plume ! Certes, les grands médias ont évoqué une « polémique », mais nous, entre gens vaguement dessillés, nous savons que les journalistes, en général, se contentent, pour décrire le réel, d’actualiser des clichés. Nous ne nous fions pas aux clichés et nous essayons, le moins maladroitement possible, de décrire avec probité ce qui a lieu. Et ce qui a lieu, c’est qu’au contraire d’il y a trente ans, lors du projet avorté de pléiadisation de Bazin, ce mois-ci, hormis mon modeste ouvrage au titre tellement sympathique : personne ne moufte ! Et vos métaphores et vos hyperboles ne sont que bruit et fumée, n’environnant jamais qu’un seul exemple concret que j’ai le plaisir d’incarner sans réclamer pour autant qu’on m’orchestre un tel « sons et lumières » ! Voici donc, quant aux circonstances…
            Maintenant, venons-en tout de même aux arguments. Toutes ces contorsions me laissent perplexe, à vrai dire : à ce stade, ce n’est plus la NRF mais le Crazy Horse ! Vous semblez dire, cher Michel : « La critique ? Bah… Il n’est pas né celui qui saura vraiment distinguer une grande œuvre d’une médiocre ! Ne nous avançons pas trop… » Mais enfin, Michel ! Pour justifier l’injustifiable, vous allez jusqu’à délégitimer votre propre honorable fonction ! Vous êtes tout de même dans le fauteuil de Paulhan, et nous préférons tous deux que ce soit vous qui y soyez plutôt que Foenkinos ou Yann Moix ! Et voilà que le directeur de la NRF lui-même, nous expose que juger un livre, c’est s’aventurer un peu loin ! Merde ! Mais à ce compte-là, faites un numéro spécial sur Booba, hein ? Qui sait ? Peut-être bien que son sabir de dégénéré vaudra du Racine dans deux, trois siècles ? Quel est cet usage complètement déplacé des « préceptes évangéliques » ? C’est que je ne plaisante pas non plus avec ces matières, moi, cher Michel ! C’est mon élément : je plane en pleine métaphysique (et puis il faut bien que mes ailes servent à quelque chose !) Or, donc, s’il est des inversions possibles lorsqu’on passe du mondain à l’ultra-mondain, parce que seul Dieu sonde les reins et les cœurs, et que notre monde est régi par les apparences – en revanche, un acte, et une œuvre est un acte, ça n’a pas de revers caché ! S’il est en effet difficile d’en estimer la portée dans les siècles, il est en revanche tout à fait possible de la juger pour ce qu’elle est. Or la question n’est pas de savoir si Jean d’Ô est un excellent écrivain qui marquera ou non l’Histoire littéraire, Jean d’Ô est nul. Nul mais survendu. C’est que vous appelez sans doute être « à la fois dernier et premier » (quel joli entrechat !), jugement d’autant plus étonnant de votre part qu’il est posé deux lignes après que vous eûtes pourtant prétendu périlleux ce genre de jugement (ne vous brisez pas les côtes !) Mais le salto arrière que vous nous faîtes ensuite pour mettre en relief une phrase de Jean d’Ô face au visage de Le Pen, il y a trente ans, laquelle, de très loin, certes, et selon son ordre, il est vrai mineur, mais quand même, lui donnerait un petit air, en effet très vague, mais enfin, de courageuse vigie antifasciste, ce qui, évidemment, n’a, dans tous les cas, aucun rapport avec le sujet puisque les critères en question n’ont rien à voir – lesquels peuvent justifier Céline ou Drieu en Pléiade -, et donc… Non, cher Michel, non… Désolé, vous allez inutilement vous décoller une vertèbre : ça ne compte pas ! Rasseyez vous ! Sur ce bon vieux fauteuil où lire de méchants polars… Que vous désignez comme une parabole de Jean d’Ormesson, désormais… « Un gros gentil fauteuil… Jean d’Ô… Puis il pleut dehors… Pas de moules aujourd’hui… Alors ? L’est pas sympathique ce fauteuil-Jean d’Ô ? Tout ringard, mou, tiède et usé qu’il soit, on s’y sent pas bien ? Non ? C’est un peu comme Notre-Dame-de-Paris ou Versailles ? À sa manière ? Si, si… Il y a un lien quelque part, promis ! » On ne sait plus où sont vos jambes et vos bras, ni combien de temps vos tendons supporteront semblable élasticité, relâchez-vous donc, cher Michel ! C’est bon !
Ce n’est pas grave. Allez… Tout ce cirque ! Cette voltige impossible ! C’est bon ! Vous avez témoigné de votre bonne volonté. Le patron doit être satisfait. C’est lui qui a fait cet absurde choix éditorial (enfin absurde du point de vue de l’esprit, non selon la matière), et vous, en dépit de votre goût et de votre conscience, vous voilà à vous auto-écarteler pour donner des gages… Au point qu’on ne comprend plus rien de ce que vous dîtes. Vous valez bien mieux que de pareilles acrobaties, cher Michel. Tout ça parce que vous non plus, décidément, vous ne plaisantez pas avec les hiérarchies.  Simplement, nous ne sommes pas soumis aux mêmes.
Avec mes salutations cordiales,

R.S.



Note des idiots: nous avons le triste devoir de malheureusement préciser que la NRF s'est déjà presque acquittée d'un numéro spécial sur Booba. Il s'agissait d'un éloge littéraire dans lequel, en 2003, Thomas Ravier comparait le rappeur à Antonin Artaud. Cent après Agnani, cela aussi aurait mérité une bonne beigne, avec gantelet de métal à l'appui si possible. 


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