jeudi 30 avril 2015

Surcouf, l'école et les Républicains

Le capitaine d'un bâtiment de la Royale Navy s'adresse à Surcouf : « Vous, Français, vous vous battez pour l'argent. Tandis que nous, Anglais, nous nous battons pour l'honneur ! » Et Surcouf de répliquer : « Chacun se bat pour ce qui lui manque. »
L’anecdote est un classique, qu’elle soit authentique ou totalement inventée, comme c’est sans doute le cas. Elle a tout pour plaire, la justesse de l’aphorisme et la beauté du mot d’esprit qui fait imaginer sans peine le visage de l’officier anglais plus efficacement cinglé par la répartie que par une cravache. Les coups de canons en deviendraient presque inutiles.


« Le roi est nu », lançait dans le conte un petit garçon à l’empereur. L’officier anglais drapé dans sa fausse dignité se retrouve aussi soudainement fichu à poil que le souverain prétentieux par la simple morale contenue dans la fatale réplique : on méprise au fond ce que l’on prétend bruyamment chérir le plus. Le corsaire français, l’argent, et l’officier anglais, l’honneur.  
L’anecdote de Surcouf revient en tête à la lecture de deux faits d’actualité récents : la réforme du collège et la réforme du nom de l’UMP. Quel rapport, me direz-vous, entre un corsaire, une réforme scolaire et le changement de nom de l’UMP ? Avec le premier aucun,  en dehors de l’anecdote qui ouvre cet article. Les deux suivants, en revanche, partagent une commune indifférence à l'égard des valeurs qu’ils prétendent défendre : la démocratisation du savoir pour les réformateurs de l’école et la République pour les nouveaux « Républicains » de l’UMP.
L’avenir de l’école devrait susciter néanmoins un peu plus l’intérêt que le nouveau rite de résurrection sémantique du parti de droite. La journaliste Louise Tourret rappelait en avril 2014 que trente ministres de l’Education Nationale s’étaient succédé à la tête du ministère depuis les débuts de la Ve République. Depuis le passage de Vincent Peillon aux commandes, deux nouveaux candidats ont repris le flambeau jusqu’à Najat Vallaud-Belkacem aujourd’hui.  Ce qui porte le compte à trente-deux, soit une moyenne d’un ministre tous les 18 mois à peu près, chacun tentant de laisser sa marque dans l’histoire mouvementée de l’école, avec plus ou moins de bonheur, de Jean Berthoin (que Louise Touret avait peut-être oublié, ce qui porterait notre compte actuel à 34), chargé par De Gaulle de redessiner le système scolaire du nouveau régime, à la semaine de quatre jours de Xavier Darcos en 2008…Puis la fin de la semaine de quatre jours en 2013 avec Vincent Peillon.
Dans les interstices de ces grandes réorientations se glissent d’innombrables réformes des programmes dont la dernière en date, censée intervenir à la rentrée 2016, a pour ambition de  « rétablir la performance du système éducatif, en assurant la réussite du plus grand nombre et en luttant contre le déterminisme social, et de rendre à l’école sa mission de transmettre et de faire partager les valeurs de la République », rappelle le Ministre Najat Vallaud-Belkacem. La formulation adoptée avoue en elle-même l’objectif cosmétique fixé à la réforme. Pour lutter contre l’Infâme déterminisme, la formule magique est depuis longtemps statistique. « Rétablir la performance », cela veut dire taper sur les doigts des principaux et proviseurs pour obtenir des taux de redoublement présentables, protéger le Saint-Graal idéologique et afficher fièrement un taux de réussite de 87,9% d'admis et un pourcentage de bacheliers dans une génération s'élevant en juin 2014 à 77,3%. « Ce taux n'avait jamais été atteint », annonce fièrement le site officiel du ministère de l’Education nationale.
Le problème est que cette mirifique réussite statistique ne semble rien résoudre des désespérants déterminismes sociaux. Le chômage des jeunes s’établissait en octobre 2014 à 23,8 % tandis que l’Observatoire de la Vie Etudiante observait (puisque c’est son travail) que seul un quart des étudiants du supérieur sont des fils d’ouvriers…tout en sachant que le fait d’être un étudiant ne garantit plus vraiment un emploi. L’Observatoire des Inégalités (avec le nombre d’Observatoires que l’on compte en France on se demande bien comment l’on n’arrive pas à être plus clairvoyant…) souligne peut-être que l’on compte trois fois plus de chômeurs chez les non-diplômés mais une étude de l’APEC fait remarquer que 37 % des Bac+5 se retrouvent au chômage un an après l’obtention de leur diplôme…
Et si le combat contre le déterminisme social est mal engagé, celui en faveur des « valeurs de la République » ne paraît pas gagné non plus : « le nombre global de Français et résidents impliqués dans le djihad est passé de 555 à 1281 entre le 1er janvier 2014 et le 16 janvier dernier, soit un bond de 130% en un an », rapportait le Figaro en janvier, selon un dernier état des lieux des services de renseignement, tandis que France Info évoquait fin décembre 2014 une hausse de 116 %.
Face au tableau social d’une France comptant désormais 3 500 000 chômeurs et à l’engouement des jeunes français, issus ou non de l’immigration, pour la « guerre sainte », les décapitations d’otage, les viols en réunion et autres joyeusetés dignes des chroniques de Froissard, on peine à comprendre la logique suivie par le Conseil supérieur des programmes. Bernard Girard a beau tenter de défendre sur Rue89 que « l’angle de vue adopté par le Conseil supérieur des programmes (CSP) a consisté à retenir un certain nombre de thèmes larges (…) subdivisés en sous-thèmes facultatifs ou obligatoires » et d’expliquer que le christianisme reste d’actualité puisque ses débuts sont toujours enseignés en classe de sixième, on peut légitimement s’étonner de voir que des trois grandes aires de civilisation en Méditerranée au XIIe siècle, ne subsiste en enseignement obligatoire que l’Islam…
En vertu de cette conception des choses, l’enseignement de l’histoire des religions ne se réduirait-il donc qu’à une sorte de saupoudrage concurrentiel dans les programmes ? Même chose d’ailleurs en ce qui concerne le passage en enseignement facultatif des Lumières en classe de quatrième,  « A croire qu’il ne faut pas heurter certaines sensibilités religieuses », se demande le secrétaire général de l’association des professeurs d’Histoire-géographie, Hubert Tison. Il est vrai que dans l’article de Rue89 cité plus haut, l’auteur déplore que Najat Vallaud-Belkacem ait pu admettre dans un récent rétropédalage officiel que « la transmission de notre histoire commune et du récit national » reste un enjeu essentiel. Horreur, malheur, le nationalisme est encore à nos portes.

En laissant de côté les sujets qui fâchent, on pourra simplement se demander en quoi l’intégration de l’enseignement du latin et du grec dans le fourre-tout des « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) ou la suppression programmée des Sections Européennes (5800 sections et 200 000 élèves chaque année) va contribuer à renforcer l’enseignement des valeurs de la République et favoriser l’ouverture au monde des élèves du secondaire. Le refrain idéologique est bien connu dans le discours ministériel et une partie du monde enseignant : il s’agit de lutter contre les « enseignements élitistes » et contre les inégalités reproduites sur le plan scolaire et culturel. O  Bourdieu, que de crimes commis en ton nom !, car ce programme de nivellement par le bas démontre depuis quelques décennies qu’il aboutit aux résultats exactement inverses de ce qu’il recherche : l’abaissement constant du niveau d’exigence, la fuite des meilleurs élèves dans le privé et la disparition progressive de la première mission de l’école qui est d’offrir, et parfois d’imposer, aux élèves la possibilité de découvrir une autre culture que la leur, celle que l’on encense aujourd’hui par démagogie au nom d’un égalitarisme parfaitement mensonger.
Pour en revenir au changement de nom de l’UMP, on peut douter que celui-ci défende mieux l’idée républicaine parce qu’il s’appelle « Les Républicains » de la même manière que les bons pédagogues de l’Education nationale ne lutteront pas plus contre le déterminisme social à coups de tablettes numériques pour tous. Pour la petite histoire, racontée paraît-il dans le dernier ouvrage de Roselyne Bachelot, Nicolas Sarkozy revenu émerveillé d’une rencontre avec Barak Obama en 2006 avait exigé « qu’on lui trouve un noir », parce qu’il estimait peut-être que ça faisait plus américain et moderne. De même, pour faire moderne, ceux qui décident de l’avenir de l’école brandissent les enseignements transdisciplinaires à la carte et traquent sans relâche tout ce qui ressemble à l’élitisme honni soi-disant au nom de l’égalité. Surcouf avait bien raison, on clame toujours haut et fort que l’on se bat pour ce qu’au fond on estime le moins. On peut être pirate et parfaitement saisir les principes essentiels de la communication en politique. 



Publié sur Causeur.fr

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