dimanche 10 février 2019

Limonov et ses démons





Edward Limonov est une personnalité extraordinairement attachante et parfois exaspérante. Comme tous les écrivains en mal d’imagination, il fonde son œuvre sur sa propre vie et inversement. Dans son dernier ouvrage (traduit en français), la couverture résume à elle seule cet angle d’approche puisque le nom de l’auteur s’intègre dans le titre : Edward Limonov Et ses démons. Le premier chapitre poursuit dans la même veine : intitulé « Comment il a commencé à mourir », l’écrivain russe se raconte à travers la grave opération du cerveau qu’il a subi le 15 mars 2016. C’est l’occasion pour lui, à l’âge de 73 ans et dans un style d’une franchise déconcertante, de revenir sur certains épisodes de sa vie, dont le dernier en date. Il décrit, par exemple, avec un humour féroce les institutions hospitalières « euro-fascistes » et s’en prend régulièrement à la caste de médecins parvenus qui le font patienter des heures durant. Le « grand écrivain » connu internationalement est un russe comme les autres chez lui. 


La prise de puissants médicaments et surtout la peur de la mort qui rôde se traduisent par une multitude de visions dans lesquelles très souvent les démons l’assaillent. Sur la base de prémonitions qui lui ont été faites, Limonov est d’ailleurs persuadé de mourir en 2018 – rassurons-nous, il est toujours bel et bien vivant. On le découvre alors sous une teinte volontiers spiritualiste, beaucoup plus proche des vieilles traditions chamaniques sibériennes que des rites de l’église orthodoxe. Chemin faisant, il parle également à plusieurs reprises de son Parti, devenu L’Autre Russie depuis l’interdiction du Parti national-bolchévique en 2007. Le Président, comme il se nomme lui-même, s’inquiète de sa succession : dans son proche entourage, peu de personnalités lui semblent à la hauteur – ses amis apprécieront. Des années de résistance et de persécution ont épuisé les militants, même les plus aguerris. Les intellectuels du Parti ont fini par emprunter des chemins moins périlleux. Dans un style bravache, Limonov rappelle que lui est resté un radical. Et on le croit bien volontiers : c’est littéralement un punk de la politique ! Un peu moins engagé dans l’opposition à Poutine, il n’en reste pas moins une cible du pouvoir, comme le rappellent les nombreuses menaces dont il fait l’objet.



Enfin, l’ouvrage est aussi une déambulation dans la vie passée et présente de Limonov : les aventures particulièrement érotiques avec sa maîtresse Fifi, les réminiscences familiales, le souvenir de la grande aventure du Haut-Altaï (pour laquelle il a été condamné à quatre années de prison), les rapports fraternels avec ses gardes du corps, etc. La dernière partie renoue avec l’actualité immédiate : en effet, Limonov revient sur le conflit du Donbass et explique comment des dizaines de membres du Parti sont partis combattre à la frontière ukrainienne. Une nouvelle fois déçu, il se rend compte rapidement que ces mercenaires ne parviendront pas à créer des bataillons représentatifs de L’Autre Russie. On sourit de la naïveté du « Président », comme si les troupes russes entrées illégalement sur le territoire du Donbass n’allaient pas encadrer rigoureusement ces quelques électrons libres. 
Au final, Et ses démons reste un beau roman autobiographique. Le monstrueux égocentrisme de Limonov finit même par se dilater avec l’approche de la mort. L’auteur regarde alors avec un brin de nostalgie et une grande lucidité le chemin parcouru. Qu’en restera-t-il à la fin ? Pas grand-chose, c’est le lot de toutes les vies, des plus célèbres aux plus anecdotiques.
        
         « L’appartement lui paru étranger. Lorsqu’il eut refermé la porte derrière les gardes du corps, il explora soigneusement les deux pièces, la grande et la bibliothèque. Il s’assit en silence dans les fauteuils noirs et s’arrêta devant les tableaux. Il en vint à penser qu’après sa mort, tout cela serait ramassé et jeté au diable, sauf peut-être deux ou trois toiles à l’huile, pour peu que la personne chargée d’effacer les dernières traces de son existence s’avise qu’un tableau, on peut le vendre. » (p. 41.)


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