Le
dimanche 7 mai, nous avons pu assister à la mise au tombeau du système
mitterrandien. Même si le PS parvient à survivre à la déconfiture électorale
qu'il vient de subir et à surnager à coup d'alliances et de « majorité
républicaine » - comme semblaient le suggérer à demi-mot certains
représentants socialistes sur le plateau de France 2 -, c'est tout un monde qui
vacille et s'écroule au soir de la dixième élection présidentielle de la Ve
République.
Nombreux sont ceux qui ont dénoncé, et
à raison, la confiscation du débat démocratique entre les primaires et le
premier tour de la présidentielle. Ils ont alors présenté Emmanuel Macron comme
l'héritier naturel de François Hollande, voué à poursuivre la politique du président
sortant, que son impopularité record empêchait de se représenter pour un
deuxième mandat. Le Front National n'a eu de cesse de ressasser cet argument,
parfois jusqu'à l'absurde, comme on a pu le voir avec Marine Le Pen lors du
débat du mercredi 3 mai. Pour autant, il apparaît caricatural et erroné de ne
voir en Emmanuel Macron qu'une création politico-médiatique issue des rangs
d'une majorité gouvernementale malade. Macron a reçu le soutien de plusieurs
ténors de la vie politique, de patrons de presse et des « élites »
mais on ne peut expliquer uniquement par le complot et la manipulation le
ralliement de près de neuf millions d'électeurs au premier tour et plus de
vingt millions au second. Tout comme le Front National qui récolte onze millions
de suffrages, Macron est allé à la rencontre d'un ressentiment et d'une
attente. Malheureusement, la rhétorique déployée par la candidate du FN a
démontré que le « parti des patriotes » n'avait pas su dépasser le
stade de l'exploitation du ressentiment, ce qui s'est traduit par un discours
électoral englué dans le slogan et l'invective et par une large défaite au
second tour. On parle déjà au FN de refondation du parti, de changement de nom
et d'évolution stratégique pour tirer toutes les leçons de cet échec. Le succès
de Macron et d'En Marche !, quant à lui, porte le coup de grâce au PS et
bouscule la géographie politique des partis de gouvernement. Cette montée en
puissance, qui a paru si soudaine, a été rendue possible parce que le PS de
1969, celui du Congrès d'Epinay, du Programme commun et du règne mitterrandien,
est parvenu au crépuscule de son existence. L'image de médiocrité, d'affairisme
et d'impuissance renvoyée par le quinquennat de François Hollande a achevé de
couler cette formation politique âgée de près d'un demi-siècle. A la tête d'En
Marche !, Emmanuel Macron a su exploiter ce naufrage et le fiasco
symétrique de la campagne des Républicains. La carrière du parti rénové recréé
par François Mitterrand paraît bien sur le point de s'achever.
Autre
naufrage, celui du « Front Républicain », antidote moral au succès du
FN qui est une autre création mitterrandienne. En 1974, quand Jean-Marie Le Pen
se présente aux élections présidentielles, il obtient 0,74% des voix. En 1981,
aux législatives, ce sont 0,18% des suffrages qui sont recueillis par les
candidats frontistes. Les cantonales de 1982, les municipales de 1983 et,
surtout, les européennes de 1984, permettent au FN de faire sa véritable entrée
dans le paysage politique mais c'est à l'occasion des législatives de 1986 et
du passage à la proportionnelle que le Front National pénètre à l'Assemblée
nationale. La stratégie mitterandienne n'a pas seulement été à cette occasion
de minorer une défaite attendue aux législatives de 1986 pour la gauche en
allumant un contre-feu à droite, elle a consisté à créer un Golem, un
instrument idéologique capable d'attirer durablement les voix de droite et
surtout de neutraliser une partie du débat politique en livrant certains thèmes
en pâture au Front National. L'euroscepticisme, le souverainisme, la question
migratoire ou la critique des dérives communautaires ont intégré une zone de
quarantaine idéologique dans les années 80 et 90, pour être systématiquement
associés à l'antisémitisme et à la xénophobie rocambolesque du chef du Front
National, Jean-Marie Le Pen, dont l'outrance idéologique et les progrès
électoraux furent les plus sûrs instruments de la désincarnation de la droite
gaulliste, constamment obligée de donner toute les garanties de sa
« non-compatibilité » avec les thèses du FN. Mitterrand y gagna une
réélection confortable en 1988 avant que Chirac, parvenu enfin au pouvoir en
1995, ne soit obligé de le partager – ironie du sort – avec un premier ministre
socialiste en 1997.
Les élections de 2002 ont peut-être été
un coup de tonnerre dans le ciel électoral français, elle n'ont pas pour autant
conduit à l'assainissement de la vie et du discours politique. Bien au
contraire, le règne de l'idéologie du Front Républicain et la progression
constante du Front National repris en main par Marine Le Pen ont réduit pour
quinze ans la vie politique à une opposition mortifère entre
« progressistes » et « réactionnaires »,
« fascistes » et « antifascistes », « racistes »
et « antiracistes ». L’hyper-simplification de la vie politique de
2002 à 2017, qui a sombré dans la caricature, a accompagné le phénomène de
l' « hyperprésidentialisation ». Brandi par des intellectuels ou
des figures politiques et médiatiques dogmatiques ou carriéristes,
l'épouvantail du « retour des années sombres » a étouffé toute
possibilité de débat serein et constructif et, en conséquence, les échéances
électorales successives ont été marquées par la domination du « vote
protestataire », auquel répondait l'injonction du « barrage républicain. »
Seule l'élection de Nicolas Sarkozy a rassemblé en partie en 2007 un vote de
conviction, captant à son profit une partie du vote Front National et
démontrant par là-même la volonté de l'électorat français de sortir du règne
mortifère du « vote utile ». L'illusion sarkozyste s'étant vite
dissipée entre un repas au Fouquet's et trois effets de manche, le règne du
« vote contre » a donné à François Hollande la possibilité
d'accomplir son propre rêve mitterrandien en croyant ressusciter l’œuvre du
maître à la mesure de sa personne. Malheureusement pour lui, la toise politique
ne le désignera ni comme un bon héritier, ni comme un grand président de la Ve,
mais tout juste comme un soldeur de compte. En voulant faire du hollandisme une
sorte de mitterrandisme renouvelé, François Hollande a incarné la fin d'un
cycle, et son échec personnel se confond aujourd'hui avec l'effacement
définitif de la figure qu'il a le plus tenté d'imiter.
En dépit de tous les ratés de cette
présidentielle 2017, un peu d'air frais semble entrer aujourd'hui dans la vie
politique française. Au soir de l'élection d'Emmanuel Macron, les tractations
vont déjà bon train et les perdants s'organisent pour tirer profit des
échéances capitales représentées par les législatives – ou du moins tenter d'y
survivre. Mais personne n'a parlé de « Front Républicain ». Comme si,
pour la première fois depuis bien longtemps, l'écroulement du PS et la
lamentable prestation de Marine Le Pen au débat du 3 mai, sanctionnée par le
résultat du 7, avaient rendu caduque, nulle et non avenue, cette sorte de prise
d'otage électorale représentée par la comédie répétée, d'élection en élection,
du vote utile. Le Front National est apparu, à travers sa présidente, pour ce
qu'il est : un parti englué dans la démagogie, qui a bâti son succès en se
nourrissant de la question européenne et migratoire, que les autres partis lui
ont abandonnée pendant si longtemps, avant de brouiller peu à peu son discours
et de sombrer dans l'amateurisme, au fur et à mesure qu'il s'est rapproché du
pouvoir. Les élections du 7 mai ont peut-être libéré le pays de cette
dichotomie imbécile : le « vote de la haine » contre le « vote
utile », le nationalisme et son inévitable corollaire antifasciste, le
requin et son poisson-pilote, une double construction fantasmatique qui prive
la France de tout débat politique depuis trop d'années en enfermant l'électorat
dans le schéma mortifère du vote par la négative. Or, on ne construit
strictement rien en ne votant que par la négative. On finit simplement par
mourir tout doucement bercé par la satisfaction d'avoir voté et pensé comme il
faut.
On peut aussi supposer que le
déchaînement du terrorisme islamiste contribue à décrocher du ciel les vieilles
lunes politiques et à faire « bouger les lignes », comme on dit. Il faut
espérer en tout cas qu'Emmanuel Macron sache, saisir derrière l'atmosphère
particulière de fin de règne idéologique qui l'a porté au pouvoir, la profonde
attente politique qui s'est manifestée dans les urnes et dont il a su profiter.
S'il se contente de reconduire pendant cinq années une politique dopée à la
moraline, masquant la dérégulation économique et la soumission à l'austérité
merkelienne sous le masque flétri du politiquement correct, l'issue des
prochaines élections pourrait être d'ores et déjà aussi prévisible que l'était
le résultat de cette présidentielle après la campagne d'entre-deux tours.
Personne n'a de boule de cristal pour le prédire mais la composition du
prochain gouvernement donnera certainement le ton. Les élections législatives qui
se profilent semblent en tout cas, et pour la première fois depuis longtemps,
offrir un jeu ouvert. C'est déjà beaucoup. Espérons qu'elles permettent
d'enterrer pour de bon les derniers restes de l'héritage mitterrandien et de
débarrasser la vie politique française de ce poison qui l'étouffe : celui
de l'éternel passé recomposé. Mais au préalable et pour s'en extraire définitivement, il faut bien parvenir sans hésitation à tuer le père.
François-Xavier Fabre. Oedipe et la Sphinge. 1806
Macron peut-il ou veut-il tuer le père, voire la mère, "porté" et entouré comme il l'est par des vieux et des vieilles qui s'en abreuvent ?
RépondreSupprimerMerci Geneviève, fidèle lectrice, pour vos commentaires toujours éclairés ! François ler le sortant entoure son protégé d'une bienveillance paternaliste et mortelle. L'auteur de cet article dont la conclusion verse à dessein dans un optimisme exagéré a néanmoins bien conscience que "tuer le père" n'est ici qu'un voeu pieux et que le jeune premier de la politique se retrouvera sans doute bientôt à la tête d'une maison de retraite remplie de "pères" et de "mères" jaloux de leurs prérogatives politiques et soucieux de serrer dans leurs vieilles mains avides le pouvoir qu'ils ne veulent pour rien au monde laisser échapper.
RépondreSupprimerC'est que le niveau des articles que vous sélectionnez est tel qu'il élève quelque peu le commentateur. Identification oblige.
SupprimerMerci. Le compliment va droit au coeur des idiots que nous sommes.
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