lundi 25 septembre 2017

Sutcliffe Jugend « Shame »

« Dans ce monde, la folie est la seule forme de liberté » (Ballard)



    La honte, nous le savons, est une brûlure. Chez SutcliffeJugend, cette combustion intérieure ne cesse jamais et se fige dans l’insoutenable. Pire : elle a le pouvoir maléfique de transformer les plus médiocres ruminations en hallucinations cauchemardesques, comme si les personnages de Simenon évoluaient dans l’onirisme sordide des romans de Burroughs. Shame est le théâtre intérieur d’une conscience carbonisée par la honte.
Bien entendu, il y est  question de fiasco sexuel, de disgrâce physique et morale, d’inceste, de meurtres d’enfants, ou, plus modestement, d’aspirations minables mais sans cesse contrariées. Sutcliffe Jugend  nous rappelle également que l'humanité est une saleté éphémère, le monde, un cloaque, un cachot suintant, une zone d’épandage, un charnier à ciel ouvert, et son créateur, une brute sadique. Bref, il nous est confirmé que sur cette terre  l’accès à la dignité n’est pas envisageable, ce que nous savions déjà depuis Throbbing Gristle, Whitehouse et plus lointainement les gnostiques, ces premiers experts en contemptuous Mundi.

Francis Bacon. Man in blue VII. 1954

Dans le genre industriel, Shame  est du grand art : les crissements sont ciselés, les jeux d’échos parfaitement oppressants, les distorsions acérées, les grésillements d’une haute définition, les vociférations d’un naturel glaçant et les vagues de bruit blanc ont une densité, une texture, un grain qui confinent à la perfection. Par sa violence, ses outrances, cet album est l’anti  safe space  par excellence. A son écoute, nous ressentons d'abord l'angoisse, voire l'effroi. Puis, nous comprenons vite que pour nous, gens de bonne volonté, il n'y a rien à craindre, que cette violence, salubre et nécessaire, est de notre côté.
En fait, cet album dépasse largement son sujet : davantage que la seule honte, il évoque les affects qui lui sont connexes : le dégoût, la peur, la colère et surtout, la haine. Non pas « la haine impuissante » disséquée par Stendhal, le froid ressentiment de l’impotent, non,  il s’agirait plutôt ici de  la haine comme « ultime réaction vitale » (Baudrillard) ; celle-ci ne se réduit pas à hanter la conscience mais la déborde, envahit l'organisme tout entier, pousse l’être hors de lui même, l’accule à l’extraversion la plus forcenée. 
Shame  semble la saisie sur le vif d’une mutation : ce moment où la honte éprouvée par un individu trop gentil devient si intense qu’elle se transforme en une interminable et délirante colère ; c’est un véritable saut qualitatif, l'instant bref, mais qui semble éternel, où le névrosé décompense. Pour lui, une nouvelle vie commence dans laquelle le surmoi ne sera plus qu’une vieillerie, un résidu psychique remisé, loin, très loin, au fin fond du cortex. La décence commune paraîtra alors un esclavage dont il sera urgent de s’affranchir. La musique de Sutcliffe Jugend  évoque la levée brutale d’un trop long  refoulement, le déversement d’un inconscient devenu béant et hors de tout contrôle.


Francis Bacon. Head III. 1949

Cet individu qui craque, ce nouveau fou-furieux, nous l’imaginons sans peine : c'est le vieux prof de maths sympa  qui un beau matin vomit des décennies de chahut et sévit au hasard, c’est le papa-gâteau bafoué par son infecte progéniture qui se décide enfin à cogner, c'est l'employé old school  longtemps harcelé par son manager, qui un jour s'écrie: « ça suffit! », serre les poings et retrousse ses manches, c’est le vieillard las des incivilités qui tire à vue du haut de son balcon, c'est la brave fille, outragée par un petit mufle, qui s’insurge et charge toutes griffes dehors, c’est enfin le boloss qui soudain bombe le torse, rend les coups  en hurlant:
- « POUR UN OEIL, LES DEUX YEUX ! POUR UNE DENT, TOUTE LA GUEULE ! »
Shame est une incitation à la riposte disproportionnée, la bande-son idéale de tout déchaînement vengeur, qu’il soit impulsif ou accompli de sang froid. A ce titre, le morceau bait, avec sa rythmique mécanique et lente qui fait songer à une  moissonneuse-batteuse fonctionnant au ralenti, nous prouve que, même Berserk, il est possible de rester appliqué et méthodique.

Plus largement, Shame, est apte à éveiller un désir de justice immanente même chez ses auditeurs plus avachis, et pour cette raison, devrait être apprécié par tous ceux qui préfèrent haïr que de se vautrer dans le statut confortable de victime. Cet album est donc profondément moral. Mieux : il suscite l'espoir et  s’impose comme l’antidote parfait à toute forme de résignation. C’est une véritable ode à la liberté. Il nous enseigne en effet, qu’à condition de le vouloir sincèrement, une autre vie est possible : La Berserk way of life.  Bref, la Vie, tout simplement. LA VRAIE.

François Gerfault



samedi 16 septembre 2017

Paris-plage : la réalité, c'est pour les nuls

Ah, Paris. Ville de l’amour, ville des lumières ! Traversée par la Seine, serpentant autour de ses rives. Sa Tour Eiffel, dressée fièrement sur la Rive Gauche. Sa Butte Montmartre, héritière d’une histoire si riche et foisonnante. Ses musées, sa vie fourmillante de jour comme de nuit. Sa… plage ? 



Menée depuis maintenant quinze ans par les successives mairies socialistes, à l’initiative du très festif Bertrand Delanoé, l’opération Paris-Plages consiste à transformer les voies sur berges, alors fermées pour l’été, et maintenant définitivement piétonnisées en plage, pour les parisiens qui n’auraient pas l’occasion de partir en vacances, ainsi que pour les touristes qui voudraient découvrir une facette moins urbaine de Paris. Louable intention, en apparence. Dans les faits, Paris-Plages est un énième avatar du festivisme si cher à Philippe Muray, où la ville glisse de lieu d’habitation à une « capitale musée » dédiée entièrement à un plaisir qui n’a plus rien d’hédoniste, car obligatoire et subventionné. La détente devient un mot d’ordre. Pendant l’été on est prié de se mettre en short et d’aller jouer à la pétanque sur les quais de Seine, s’il vous plait. Cependant, cette année, point de sable sur lequel marcher pieds nus pour se sentir vraiment comme à la plage, car la mairie de Paris n’a pas apprécié que son fournisseur de sable se fasse attraper en train de marchander avec Daesh. Mais rien n’arrête la mairie de Paris, pas même la réalité. 


Preuve en sont ces employés municipaux qui déambulent sur la voie Georges Pompidou, arborant un maillot dans le dos duquel est floqué leur rôle : plagiste. Qu’importe qu’il n’y ait pas de mer, qu’importe qu’il n’y ait pas de sable. Si l’on vous dit que cette étendue bétonnée, ornée de panneaux de signalisation et de feux rouges est une plage, c’est qu’il s’agit d’une plage. Après tout, à une époque où il suffit de se dire nuage pour être nuage, pourquoi pas. Anne Hidalgo dit « que les berges de Seine soient une plage », et ce le fut. Mais s’il n’y a pas de sable, que trouve-t-on à Paris-Plages ? Des transats, bien sûr, car l’avachissement est une condition sine qua non du moderne estival, mais aussi des boutiques de souvenirs « éthiques et responsable », dans lesquelles on peut acheter, pêle-mêle, des graines à semer, des jeux de quille respectueux de l’environnement, des sacs en chanvre biologique. Le tout à des tarifs qui bien entendu nécessitent de prendre un crédit pour quinze ans. Car le public visé par Paris-Plages n’est pas celui des jeunes déshérités dont les parents travaillent dur à la tâche et ne peuvent leur payer de vacances. À Paris-Plages, pas de prolétaires, et à 8€ la pinte de bière, on comprend que tout est surtout fait pour attirer le touriste et la classe moyenne aisée, qui peut se permettre d’acheter une « cagette apéro » à 22€ pour son « afterwork chill » sur fond de musique house. On trouve aussi des spectacles de rue, seuls vestiges d’une tradition populaire héritée des chansonniers, des musiciens qui jouent tous des musiques différentes à des distances bien trop petites pour que le tout ne ressemble pas à une cacophonie dans le pire des cas, ou comme une succession incohérente de bruits divers pour le badaud qui préfère la marche à l’arrêt. Beaucoup de papas en trottinettes, de petites filles en roller et de mamans à bicyclettes. Les jongleurs, punks à chiens et autres hippies ont quant à eux été repoussés plus loin, pour ne pas gâcher la fête. Il ne faut surtout pas gâcher la fête ! Seuls absents notoires, les Pierrots de la Nuit, ces mimes chargés de faire régner le silence et la discipline dans la nuit parisienne à grands renforts d’échasses et de charades. À Paris-Plages, la sécurité se fait d’une poigne de fer, et la police patrouille régulièrement. Au moins, les Berges de Seine ne deviendront jamais un territoire perdu de la République ! Pendant que les voitures ne peuvent plus rouler sur les voies sur berge, elles roulent maintenant sur les trottoirs. Les plages n’ont plus de sable et le monde n’est qu’une fiction que l’on se crée, bien à l’abri de la réalité, dans les couloirs d’une mairie.



Joseph Achoury Klejman


Revue Idiocratie à paraître !




Au sommaire du numéro zéro de la Revue Idiocratie : entretiens avec Mathieu Bock-Coté sur les ravages de l'idéologie multiculti, Gabriela Manzoni et ses comics retournés, Kevin Tomkins et la musique punk-industrielle du groupe anglais Suttcliffe Jügend. 

Articles et nouvelles de Sarah Vajda, Rémi Lélian, Arnault Destal, Laurent Gayard, Alexis Michequine...

Et les haïkus post-pro-actifs d'Emile Boutefeu.

Il est encore temps de contribuer en ligne et de commander son numéro !

https://www.lepotcommun.fr/pot/dc078i3w

mardi 5 septembre 2017

Lancement de la Revue Idiocratie



Chères amies et chers amis d'Idiocratie, après presque six années d'existence du blog, les idiots ont le plaisir d'annoncer publiquement leur plan d'expansion pour les mois qui viennent, dont voici les principales étapes :
1) Publier le premier numéro imprimé de la revue Idiocratie pour qu'il reste quelque chose de ce blog quand la Grande Coupure de Courant Mondiale mettra fin à la civilisation de l'Internet.
2) Contrôler le monde.
3) Démarrer la colonisation du système solaire.
N'étant pas tout à fait parvenus à réunir les conditions nécessaires à la réalisation des étapes 2) et 3), nous sollicitons votre aide pour l'étape 1. Nous avons beaucoup travaillé depuis quelques mois afin de composer le premier numéro de la revue. Il est fin prêt, et nous remercions les contributeurs, il n'attend plus que d'être imprimé, vous pourrez le découvrir à la rentrée.
Ne bénéficiant d'aucun soutien financier, en dépit des nombreux messages que nous avons laissé sur les répondeurs des différentes organisations occultes qui contrôlent le monde, nous en serons donc de notre poche, un sacrifice qui était largement prévu mais dont l'ampleur sera largement atténuée par votre générosité si vous acceptez de participer à l'aventure en laissant la somme de votre choix sur le Pot Commun créé pour l'occasion.
Nos besoins sont modestes. Ils nous suffit de rassembler 1000 € pour rentrer dans nos frais tout en publiant une revue fantastique, à la maquette impeccable et au ton novateur.



Comme indiqué précédemment, le montant de la souscription est laissé à votre discrétion (comme d'ailleurs est laissé à votre discrétion la décision de ne pas souscrire et de laisser les idiots à leur triste sort parce que vous avez autre chose à faire). Sachez simplement qu'une souscription de 10 € vous permettra d'obtenir un numéro (frais de port compris si vous n'habitez pas en Terre Adélie), dans la limite des stocks disponibles. Une souscription de plus de 50 000 euros vous donnera droit à un maroquin dans le futur gouvernement mondial de l'Idiocratie et une souscription de plus de 500 000 euros vous permettra de régner sans partage sur une des nombreuses colonies de notre future confédération spatiale.
A toutes et tous merci d'avance !
L'idiocratie est en marche ! (avec ou sans nous d'ailleurs, c'est ça qui est bien)


www.lepotcommun.fr/pot/dc078i3w

dimanche 3 septembre 2017

Haïku d'été (3)

Prince de la métaphore et orfèvre de la rime riche, Emile Boutefeu ne dédaigne pas de temps à temps à autre s'accorder une récréation sensuelle et subtile. Stupeur et tremblements, place à l'éveil des sens. 






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Amour, amour,


Le vigneron bourguignon emmanche sa bourgeoise,
le damoiseau hardi enfourche sa promise,
deux calices vides luisent au clair de lune,

philtres d'amour ?




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