A l’occasion de l’invasion burlesque du capitole à Washington, digne d’un Walt Disney qui aurait (un peu) mal tourné, les quolibets « idiocracy » ont fleuri sur la toile en référence au film de Mike Judge sorti en 2006. Celui-ci décrivait une société américaine devenue totalement abrutie par la consommation, la pollution, la bêtise et la vulgarité. A voir les tenues et les postures des dangereux terroristes qui ont pris d’assaut le temple de la démocratie américaine armés de lances et d’arbalètes, fourrures de bison sur le dos, casque cornu sur la tête et visages grimés d’étoiles, on peut effectivement s’interroger du sérieux de l’affaire. Nos chers insurgés étaient d’ailleurs les premiers surpris de voir que le bal costumé se poursuivait jusque dans les allées et les bureaux du capitole. Après deux ou trois coups de feu et surtout des milliers de selfies, de tweets, de photos, de rodomontades et de chevauchés sur le mobilier institutionnel, chacun, fier, est retourné en héros dans sa bourgade le drapeau sudiste flottant au vent[1].
Ces images sympathiques, hautes en couleurs, nous ont rappelé à front renversé celles des défilés de la Love Parade, des manifestations LGBT et des postures Antifa. Une même foule bigarrée qui déambule benoitement dans les rues pour revendiquer, par delà les causes défendues, son droit d’exister et surtout sa hargne à dénier ce droit à celui de l’autre camp. Les idées sont d’ailleurs moins exprimées en termes clairs qu’elles ne sont incarnées pour ne pas dire exhibées sur des corps peinturlurés, des chevelures peroxydés et des tenues criardes sans compter les slogans provocateurs, les attitudes grossièrement genrées et les multiples signes de distinction identitaire. Bref, c’est la foire aux idées dans le grand folklore de la zone mondiale.
Evidemment, les méchants nazis aux tatouages de guerre sont vilipendés par les bonnes consciences soucieuses de préserver les valeurs d’une démocratie qui s’est depuis longtemps vendue aux plus offrants. A l’opposé, les gentils gauchistes jouissent d’un traitement de faveur de la part des grands médias qui y voient l’occasion de célébrer à nouveau le culte d’un progrès évaporé depuis également des lustres. Pendant que le spectacle bat son plein, le système capitaliste redistribue les cartes de son jeu pour faire de l’Etat-marché l’étalon de la croissance verdâtre, et de l’individu-marché le rouage de l’ingénierie algorithmique.
Idiocratie partout ? Sûrement à condition, toutefois, de ne pas se référer à celle du film de Mike Judge, à savoir une ignorance crasse qui réduit l’homme à ses instincts bestiaux. Au contraire, l’idiocratie actuelle est savante ; elle est tatillonne, revêche, complexe, jargonnante et raisonneuse. Ultima ratio pourrait être sa devise, une raison devenue complètement folle à force d’avoir ingurgitée de l’information, décelée des milliards de connexions souterraines, essorée tous les arguments contraires et éliminée la moindre parcelle d’incertitude. Arrivée au bout d'elle-même, elle finit par délivrer sa vérité malade dont se saisissent des cerveaux échauffés au bord de l’apoplexie.
La vérité peut mijoter dans les théories du complot, les ressentiments individuels et les doctrines revanchardes pour sauver la nation comme elle peut surgir de la haine de soi, de la déconstruction à tous crins et de l’émancipation généralisée pour inventer un monde complètement hors-sol. L’on ajoutera que la vérité officielle, la prudente, la sensée, la mitigée, celle qui dispose du luxe de juger les autres ne vaut pas mieux, d’autant plus quand elle est portée par des sermonneurs et des donneurs de leçons qui, dans la plupart des cas, ne tiennent qu’à assurer des positions bien établies et à toucher les profits d’investissements si longuement mûris. Idiocratie versus idiocratie. La raison pour elle-même, prétentieuse, obèse, péremptoire et imbécile.
Or, une raison qui ne se ressource pas dans la vie, phénoménologiquement vécue, et qui ne se dissout pas dans l’âme, élevée au rang de poétique, conduit systématiquement aux pires abominations humaines.
[1] On se demande quelle mouche a-t-elle bien pu piquer le président Macron pour qu’il se décidât à l’aube d’intervenir, les yeux embués et le verbe pleurnichard, pour dénoncer l’action des factieux américain dans une mise en scène pathétique. Si besoin était, cette nouvelle intervention, unique dans le concert des réactions européennes, ne fait que confirmer l’atlantisme outrancier de la politique française. Il faut croire que les médias officiels, qui assurent normalement le service après-vente de la politique macronienne, se soient rendu compte du ridicule de la situation étant donné la surface très réduite des commentaires qu’ils ont consacré à l’affaire.
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