Commençons par les inévitables basiques questions : votre histoire ? Vos influences passées et contemporaines ?
Greg (guitares, chant, musique) et moi (textes, batterie, musique) avons formé Varsovie en 2005 à Grenoble. Nos influences viennent de la scène post-punk de la fin des années 1970 qui déborde jusqu'au milieu des années 1980 (Joy Division, The Sound, Bauhaus, Siekiera…). La base « punk » ou organique du post-punk reste essentielle chez nous. Nous avons également des racines dans le rock plus ou moins obscur, mais aussi dans la cold-wave ou chez des artistes comme Bashung. Notre quatrième album "L'Ombre et la Nuit" est sorti en mai 2021 sur le label français Icy Cold Records.
Varsovie est un groupe lettré. Beaucoup de vos morceaux sont traversés d’allusions littéraires, à Pavese, Drieu la Rochelle, Essenine, Schnitzler, Mishima, Fitzgerald, Saint Exupéry, bien d’autres. Comment concevez-vous le lien entre la littérature et la musique ? La littérature est-elle à l’origine de votre processus créatif ou l’accompagne-t-elle ?
La littérature a un impact, mais comme chez pas mal de nos influences. Joy Division était traversé par Kafka, Ballard, Burroughs ou Dostoïevski. Les paroles de Ian Curtis étaient poétiques, cryptées, ciselées. Idem pour And Also the Trees, Nick Cave, Bauhaus, Noir Désir, Alain Bashung avec Fauque ou Manset, même Daniel Darc et plus récemment Nicolas Ker... Mais les allusions littéraires dans Varsovie restent la plupart du temps des allusions, justement. Elles font partie du décor, renvoient à un état d'esprit particulier et participent à l'atmosphère du morceau au même titre que d'autres types d'influences comme le cinéma ou le fait divers. En tout cas, si la littérature accompagne parfois le processus ou qu'un auteur évoqué va donner une certaine couleur, un certain regard sur les choses, mes textes restent au service de la musique et non le contraire.
Ce dernier album est placé sous le patronage de Francis Giauque auquel vous avez même emprunté le titre de votre album. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce poète suisse méconnu ? Pourquoi l’avoir choisi ?
À cause de son écriture à bout de souffle, pleine de rage, chargée de fulgurances. J'ai aussi été touché par la brutalité de sa vie, son obsession pour l'incommunicable, sa haine du faux et son inaptitude à faire taire le flux de ses pensées en dépit de tentatives toujours plus radicales pour le noyer. Dans son existence éclair marquée par le combat contre son extra-lucidité toxique, il n’aura finalement publié que deux courts recueils, dont L’Ombre et la nuit en 1962. Son image et son nom se sont imposés en cours d'écriture, pourtant Francis Giauque ne fait ici que passer et n'est même pas vraiment le sujet. Un fantôme parmi d'autres.
À la lecture de vos paroles il semblerait que Varsovie ait le romantisme guerrier, non pas victorieux certes, mais plutôt désespéré, version Charge de la brigade légère ou dernier juron du dernier carré, impression qui s’aggrave à l’écoute de certains morceaux du dernier album comme L’Offensive, Magnitizdat. Cette impression est-elle fondée ?
L'idée que l'on ne se batte pas spécialement pour « gagner », mais parce qu'il le faut au nom d'un sens supérieur a quelque chose de fascinant. En fond, ça flirte parfois avec cette lutte récurrente dans l'absurde kafkaïen. D'où peut-être cette passion pour le dernier carré, le dernier assaut, le combat dit perdu d'avance, mais dont la dynamique dépasse l'intérêt immédiat des impliqués. À l'heure où l'on s'auto-distribue des médailles comme jamais et à tous les sujets depuis quelques années, j'aime me dire que çà et là, quelles que soient les époques, quelles que soient les zones, des gens s'en sont vraiment pris plein la gueule, ont vraiment tout sacrifié, en bout de course, totalement isolés, sachant pertinemment qu'ils n'allaient pas jouir de leur geste et encore moins pouvoir s'en vanter sur les réseaux. Cela dit, un morceau comme L'Offensive possède également un double fond lié à des turbulences plus intimes.
Vous aimez les femmes d’exception aux trajectoires accidentées comme Sunsiaré de Larcône, Mlle Else, Lydia Litvak, Evelyn McHale… Pourquoi ce faible pour les égéries qui finissent mal ? Qu’est-ce qui vous a fasciné chez chacune d’entre elles ?
Elles sont devenues des figures un peu malgré elles, sans passer spécialement par la case posture, étant à la fois trop ancrées dans le réel et en net décalage avec leur temps. Ça rejoint un peu la question précédente. Alors que la pose domine à peu près tout aujourd'hui, la sincérité et la cohérence en deviennent forcément un peu fascinantes. Cela dit, la notion même d'authenticité rejoint celle de résistance. Les mots ont perdu leur charge, on les a mis à toutes les sauces, on les entend à longueur de journée. Je n'ai rien contre les déguisements, le fait de jouer un rôle cinq minutes, mais il est parfois salutaire d'être vaguement honnête avec soi-même. Tout le monde lutte à différents niveaux, au jour le jour, c'est une évidence, mais tout n'est pas du même ordre. Je crois que l'on finit par crever de ça, la confusion de tout.
Arnault, tes textes sont volontiers sibyllins, voire hermétiques. De manière bien peu originale, je les qualifierai d’impressionnistes, le sens de chaque morceau se devinant, émergeant peu à peu, par petites touches et après plusieurs écoutes. Cette démarche esthétique ne participe-t-elle pas, parfois, à « un art d’écrire » (au sens donné à ce terme par Léo Strauss) dans le sens où elle peut être le moyen d’aborder certains thèmes dont la brutalité pourrait heurter un public rock dont on sait les opinions et représentations congelées dans les années 80 ?
Je n'ai jamais vraiment trop réfléchi à la méthode. Je dirais bêtement qu'il s'agit d'un processus de décryptage, puis de cryptage. Au-delà des sujets que j'ai envie d'aborder frontalement, des fragments me viennent et je tente ensuite de les déchiffrer pour voir où ils mènent. En phase finale, je fais la démarche inverse en recryptant l'ensemble, pour que seules les impressions surnagent et que les idées initiales ne soient pas si évidentes aux premières écoutes. Les raisons sont diverses et il est probable que ce que je sous-entende mérite un ravalement. Un des objectifs reste d'exorciser certains points pour soi-même et de mettre les formes pour d'éventuels récepteurs. J'aime que l'auditeur puisse plaquer ses propres visions, son parcours, ses projections, ses fantasmes, même si l'on s'éloigne de l'idée initiale, d'où cette habitude d'injecter du brouillard à plus ou moins haute dose. À ce sujet, j'ai récemment appris que l'inspiration du morceau The Eternal de Joy Division venait d'un enfant trisomique condamné au jardin de ses parents que Ian Curtis voyait depuis la rue quand il était lui-même enfant. C'est la vision de ce même garçon, « identique », au même endroit, 15 ans plus tard, qui aurait inspiré le texte du morceau. Il est évidemment impossible de le deviner à la seule lecture du texte. Le savoir rend la chanson d'autant plus vertigineuse et ouvre d'autres perspectives, mais est-ce que cela remet en cause toutes les impressions et images construites au fil des années en l'écoutant ? En tout cas, comme je le disais plus haut, je compose souvent la ligne vocale sur un riff de Greg ou un rythme, bien avant que le texte ne soit totalement achevé, donc la musique prime, elle commande, même si j'aime faire en sorte que certains textes puissent aussi se suffire.
On observe une certaine constance dans l’évolution de votre discographie : chaque album fait figurer une femme en couverture, chaque album, ou presque, possède un titre qui est l’association de deux termes : L’heure et la trajectoire, Coups et blessures, L’ombre et la nuit, l’ensemble (pochettes comprises) s’orientant toujours vers davantage de noirceur. Est-ce le fruit du hasard ?
Sur les deux premiers albums, c'était plus ou moins voulu. C'est plus accidentel sur le troisième. Et le dernier aurait pu être très différent, puisque nous étions partis sur quelque chose d'un autre ordre, mais le hasard a fait que je suis tombé sur l'artiste Irlandaise Deborah Sheedy en cours de composition et il nous a été très difficile de nous dire que son travail ne collait pas avec ce que nous étions en train de faire. Pour les titres, je ne crois pas avoir réfléchi à une logique. Quant à la noirceur particulière du dernier, elle doit être le reflet de notre état d'esprit à ce moment-là.
Pensez-vous vraiment que « la trame est pourrie depuis les origines » ?
Cette phrase est tirée du morceau Evelyn McHale évoquant plus ou moins la personne du même nom. Elle fait en partie référence au mot d'adieu laissé au 86ème étage de l'Empire State Building par la même et qui disait en substance que sa propre trame était pourrie depuis ses origines. De manière générale, je ne pense pas que nous aurions fait Varsovie en l'état si nous ne percevions pas quelque chose d'un peu pourri dans notre société ou dans la marche du monde, à différents niveaux. Quant à la notion d'origine, cela dépend où on la place. En partant du principe que toute origine est la fin d'un processus, on peut remonter loin.
Vous vous inscrivez indéniablement dans l’UG, comment expliquez-vous le décalage, en France, entre cette scène dont la qualité n’est plus à prouver et une scène Mainstream affligeante alors que partout ailleurs, du moins dans le monde anglo-saxon, la première influence la seconde ?
Aucune idée précise à ce sujet. Je vois simplement que beaucoup ont de plus en plus de mal à hiérarchiser entre le produit marketing pur, ultra opportuniste, et le canal historique ou la nouveauté qui sort vraiment du lot et mérite de l'attention, et ce, au-delà même des clivages underground/mainstream, ce qui n'arrange rien. Mais trop de paramètres en jeu. Difficile à dire hors des logiques de packagings, d'effets de mode, de vraies arnaques jetables conçues pour, d'uniformisation, etc. De notre côté, tant que nous estimons que nous avons quelque chose à dire, nous tentons de garder le cap, de construire notre discographie le plus franchement possible, au fil des chapitres, que nous passions sous les radars ou non.
Quels projets pour les prochains mois ?
Une date à Lyon le 9 octobre pour le Rituale Lugdunum Fest, une autre à Paris le 31 octobre avec les Italiens de Hapax et le 24 novembre à Nantes avec les Russes de Motorama. Tout ça avec notre nouveau bassiste live, Gilles. Puis, la Belgique, l'Allemagne, etc. en 2022… La crise actuelle n'arrange rien à une situation déjà complexe pour la sphère underground, donc le reste sera annoncé au compte-goutte sur notre page FB. À côté de ça, nous composons la suite. Merci !
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