jeudi 13 janvier 2022

Les bonnes recettes du chef Houellebecq

 

A peu près tous les 5 ans, Michel Houellebecq transforme son inoffensive littérature de gare en alpha-oméga des lettres françaises. Mais comment fait-il ? On vous éclaire sur les trucs et astuces du basset des Olympiades.





Vous êtes le roi de la bistronomie littéraire. Vous savez toujours comment accommoder vos vieux fonds de sauce avec quelques ingrédients à la mode. Vous n’avez pas votre pareil pour resservir à une clientèle pâmée la même recette éprouvée, concoctée dans les marmites de votre jeunesse, au mitan des années 80. Mais comment faites-vous donc, ô grand kébabier du roman de mœurs ?

- D’abord, vous invoquez l’anticipation, un moyen habile pour se dispenser de toute précision sur vos contemporains. Vos romans se passent systématiquement quelques années dans le futur, mais pas trop : il ne faudrait surtout pas avoir à imaginer des bouleversements sociétaux ou des révolutions technologiques, cela vous demanderait trop d’effort. Non, en réalité cette anticipation vous permet surtout une légère translation du regard sans laquelle vos analyses sociologiques réchauffées paraîtraient encore un peu plus inutiles. Vos romans d’anticipation se gardent donc bien d’anticiper quoi que ce soit. D’ailleurs, vous ne voulez pas brusquer le lecteur, que vous savez fidèle et habitué à vos gentilles rodomontades. Le meilleur moyen de rassurer votre lectorat, c’est surtout de ne rien changer et de rester soi-même confit dans une bonne vieille grille de lecture des années 80. Vos lecteurs n’ont pas envie d’être dérangés, servez-leur toujours les mêmes réflexions ravaudées sur un monde qui n’existe plus depuis au moins la première mandature de Sarkosy en tant que ministre de l’Intérieur. Vous continuerez à faire comme si la misère sexuelle était la même depuis 1985 et comme si le Minitel Rose n’avait pas été remplacé par Tinder. D’ailleurs, vous savez à peine ce qu’est Tinder. Le monde réel a cessé de vous intéresser il y a bien longtemps. En réalité, vous restez un indécrottable petit ingénieur agronome élevé dans les années 70 et l’intégralité de votre œuvre repose sur votre regard d’alors, sur vos impuissances d’aspirant haut-fonctionnaire et sur la misère affective qui hantait les bureaux de la rue de Varenne - bien avant qu’ils ne soient transformés en open-space.

- Choisissez au hasard un sujet dans le vent, traitez-le si possible à la sauce polar. Par exemple, le piratage informatique. Ça vous donnera à peu de frais une coloration cyberpunk. Et puis, les lecteurs aiment bien les romans policiers. Après tout, vous faites dans le page-turner. Et tant pis si aucune de ces sous-intrigues n’aboutit. D’ailleurs, les intrigues ne vous intéressent pas vraiment, pas plus que la construction dramatique. Vous vous contenterez de dérouler savamment votre petit laïus monocorde sur notre post-modernité en bout de course. Histoire de réveiller votre lecteur, insérez toutes les 50 pages une fiche de lecture ou une notice Wikipédia qui lui donnera l’impression d’apprendre quelque chose. Vous connaissez bien le procédé, dans votre milieu professionnel on appelait ça des notes de synthèse. Vous êtes le roi des notes de synthèse.

- Mettez en scène quelques célébrités, les plus puissantes possibles, histoire de vous assurer un bon retour sur investissement (ROI). Cyril Hanouna et Bruno Lemaire, c’est un bon choix. Ça vous donne l’air de vous intéresser à vos contemporains et ça vous donne l’assurance qu’on parle de vous. Fascinées par leur propre rayonnement, les célébrités visées parleront immanquablement de vous dans leur talkshows, trop contentes d’avoir été immortalisées en héros romanesques, fût-ce à leur dépens. Et puis, vous n’êtes pas vraiment méchant avec elle. Tout juste taquin. Les célébrités aiment les taquinages.  

 


- On vous a souvent reproché votre indécrottable athéisme. Pas de bol, ces cons de cathos reviennent en force sur le devant de la scène. La mystique rhénane, les bondieuseries, ça fait vendre, maintenant que la gauche a tout déconstruit et patauge dans ses problèmes d’inceste. Alors servez leur un peu la soupe. Ça ne mange pas de pain.

- Par miracle et malgré l’obsolescence de vos analyses, vous passez encore pour un fin observateur du monde. Vous savez pourquoi, c’est votre marque de fabrique : la description appliquée des plats préparés et des marques de grande distribution. Ça marche à tous les coups et ça parle au plus grand nombre. Vos héros en consomment depuis votre premier roman publié en 1994. Vous continuerez à en parler, même si personnellement vous n’avez pas mangé de plats surgelés depuis votre première cuite avec Philippe Sollers et le prince Albert en 2002.

- Balancez-toujours les mêmes phrases rigolotes sur les bonnes femmes, pour faire fumer les féministes et les gauchos. A cet égard, vous parlerez invariablement de « bonnes suceuses ». Ça fera se poiler quelques beaufs et peut-être même que ça fait mouiller les bourgeoises. C’est toujours ça de pris.

- Essorez encore un peu plus votre style, si toutefois c’est possible (il était déjà fort minimaliste). Votre « voix blanche », comme on dit, c’est ce qui plaît à la ménagère. C’est facile à suivre. Alors vous pouvez-y aller à fond dans les descriptions cliniques. N’oubliez pas de limiter au maximum la longueur de vos compléments d’objets direct. Christine Angot l’a bien fait, elle. N’oubliez pas non plus les mots en italique, c’est rigolo.

- N’oubliez pas de faire pleurer dans les chaumières. Votre lectorat est principalement quinqua, c’est la tranche d’âge où l’on perd ses parents. L’âge où l’on connaît par cœur les services d’oncologie et l’étreinte tiédasse de la mort assistée. Allez-y à fond sur ce sujet, en plus, ça fait polémique.

- Votre fainéantise métaphysique et votre plasticité politique vous donnent l’insigne honneur d’être à la fois adoubé par Yann Barthès et par Éric Zemmour. Ne changez rien. Continuez donc à masquer votre indigence idéologique derrière une hauteur de vue. Vous serez donc gentiment conservateur et courtoisement réactionnaire.

- Servez le tout avec quelques illustrations qui vous feront passer pour un artiste transmédia.

- Evitez soigneusement toute interview. Faire sa propre exégèse lorsqu’on vient de pondre un tel soufflé au néant, ça reviendrait à se tirer une balle dans le pied.

- Servir bien tiède. C’est prêt ! En entrée, prévoyez des verrines de homard sur un nuage d’asperge (en émulsion).

 

 


 

 

 

 

 

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