Littéralement, la fantasmagorie consiste à produire dans l’obscurité, sur une toile transparente, au moyen d’appareils de projection dissimulés, des figures lumineuses diaboliques. Une définition qui colle parfaitement au cinéma de Nicolas Winding Refn et tout particulièrement à sa dernière œuvre : la série hypnotique Copenhagen Cowboy.
Produite par Netflix avec une débauche de moyens, le cinéaste danois déjoue tous les codes du genre pour proposer un conte fantastico-vintage au rythme liquide, à la fois lent et syncopé, à l’histoire désuète et à l’imagerie fascinante. Il pousse tous les curseurs de son art aux niveaux les plus élevés jusqu’à obtenir un condensé de tous les fantasmes qui le traversent. Une musique électronique omniprésente qui plonge le spectateur dans l’ambiance d’un nightclub des années 1990 situé en bordure de galeries commerciales ou calé au fond d’un parking souterrain ; des personnages archétypaux à la beauté froide, trouble et perverse qui se déplacent dans un décor scintillant et déshumanisé ; un déluge de couleurs criardes, telle une boule à facettes de bleu-rouge, qui déréalise chaque scène pour en faire un songe romantique et sépulcral ; des tenues hiératiques, proches de l’uniforme, qui alternent entre le disco flamboyant et le sadomasochisme martial ; des gueules de truands coupées à la serpe et des silhouettes féminines iconiques, le parfait croisement entre le magazine de mode et la galerie des horreurs ; des ambiances lascives que la violence soudaine et brutale déchire pour laisser place au choc traumatique. En bref, une série fétichiste pour les fétichistes !
Refn ne fait pas dans la demi-mesure ; il fascine ou il révulse. Nous appartenons à la première catégorie, celle qui croit encore dans la possibilité du conte, celle qui voit dans la réalité hybride et faussée de la modernité un autre fond, un double fond, où les mythes, les légendes et les fantasmes continuent de s’agiter. Seulement, ils n’apparaissent plus dans les vieux schèmes mais surgissent au détour d’un parking, d’une carabine, d’un lampadaire, d’un stroboscope, etc. Ainsi, les frontières entre humains et non-humains s’estompent : des vampires, des cochons, des extraterrestres, des forêts et des lasers se parlent et s’affrontent dans l’antique lutte qui met au prise le bien et le mal. Comme dans un conte postmoderne, ou une science-fiction de l’âme.