mercredi 18 octobre 2023

Constance Courson, le corps de l'écrivain

 


         Publier un premier roman aujourd’hui, dans le grand parc d’attraction qu’est devenue la France, est une gageure, pour le moins, d’autant plus que l’entre soi des milieux littéraires, le consentement des libraires à toutes les niaiseries à la mode et le succès de la littérature qui fait du bien (roman feel good) rajoutent encore des aléas à un pari décidément bien hasardeux – comme la vie.

         Pourtant, à la lecture du premier roman de Constance Courson, Le corps de l’écrivain, l’on devine rapidement que l’auteure se fiche éperdument de l’air du temps (zeitgeist) et qu’elle dispose des tripes suffisantes pour affronter ce qu’elle est : un écrivain en puissance. Avec une écriture qui est justement attaché à un corps jugé malingre et mal accordé, à un corps qui se trimballe parmi les livres au gré des envies et des besoins de solitude, à un corps qui s’éveille aux délices et aux supplices des premiers amours, à un corps qui épouse les ondulations de la vie, bref, à un corps d’écrivain.

         C’est l’histoire que nous raconte Constance Courson, le roman échevelé d’une jeune femme qui rythme son pas sur celui de Jack Kerouac pour sillonner les routes de Bretagne à la recherche de mots et d’aventures. « Quelque part sur le chemin je savais qu’il y aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin, on me tendrait la perle rare » prédisait le beatnik américain aux celtiques racines.

         Et on la suit, nous aussi, Constance Courson dans le roman de ses périples bretons, de Rennes la ville des punks à chiens à la petite chapelle Saint-Aubert en passant par la provinciale Dol, la grondante Groix, la légère Belle-Ile, etc. On la suit d’autant plus près que ses aventures ne manquent pas de piquant et qu’à l’image de son guide les rencontres inattendues, les prises de gueule, les bouteilles éclusées et les amours cabossés s’enchaînent – sur la route. La perle rare, sans doute pas, mais l’ivresse en cheminant, assurément. 

 


         Et on la suit encore, Constance Courson, dans ses phrases longues et chaloupées qui cisèlent le réel avec douceur et qui rebondissent sans cesse sur les émois de l’âme. Un style « littéraire », si le mot n’était galvaudé, qui ne se perd jamais dans la forfanterie de ceux qui se regardent écrire, de ceux qui tournent autour de leur nombril, mais qui s’accroche au monde comme à la lune, pour en ressentir les plus secrètes palpitations, quand l’intime se dévoile à l’histoire. Avec charme :

 

       « (…) – sentant, un jour que je piétinais doucement dans l’eau chaude en m’amusant à faire couler le sable gris et pailleté entre mes orteils, une présence, et relevant la tête pour découvrir à quelques mètres de moi un homme aux cheveux très noirs qui m’observait, accoté à un tronc, les poings dans les poches de son pantalon de treillis, et avec qui j’irais quelques jours plus tard découvrir dans une palombière ce que peut peser de douceur le poids d’un homme qui vous délivre enfin de ce qui vous a si longtemps brûlée – (…) »

        

         Avec Le corps d’un écrivain, l’on voyage évidemment dans les effluves de Kerouac mais l’on s’égare également du côté de Houellebecq, dans une société remplie de managers sans âme, outrageusement bienveillants, puis l’on rebondit chez Richard Millet à travers les descriptions langoureuses d’une Bretagne encore sauvage et, enfin, l’on se tient droit et féroce, le corps désirant, prêt à cracher son cœur, comme Lydia Lunch. Pour un premier roman, c’est pas mal, pour le moins – un corps d’écrivain.

 


 

 

Retrouvez d'autres recensions dans le dernier numéro en date d'Idiocratie, covidé mais encore disponible.  Cliquez sur la photo.

https://www.helloasso.com/associations/idiocratie/paiements/idiocratie-numero-moins-deux

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire