C’est un des principes – et une des qualités – d’Idiocratie que de favoriser la confrontation des points de vue et il arrive ainsi plus que de coutumes que les erratiques rédacteurs du blog ne soient pas d’accord entre eux. C’est certainement le cas à propos de Patrick Buisson, qui s’est éteint le 26 décembre 2023, et qui aura, il est vrai, marqué d’une empreinte particulière la politique française de ces deux dernières décennies.
Camelots du Roi, Action Française, RPF, Front National, UMP...Le parcours de Buisson est presque académique, parfait symétrique de l’engagement des soixante-huitards qui, de l’autre côté du miroir des sixties, ont inscrit le FLN et le joli mois de mai au Panthéon de leur jeunesse. Pour les gens comme Patrick Buisson, la guerre d’Algérie a tenu lieu d’événement fondateur, l’OAS de symbole cathartique et Maurras, bien sûr...Maurras, le réprouvé et le paria, brandi contre le communisme, le Mouvement du 22 mars, sans oublier De Gaulle, traître à la cause algérienne.
La génération de Patrick Buisson est aussi celle de Daniel Cohn-Bendit. Soigneusement, durant un demi-siècle d’affrontements politiques, elle a poli les deux faces du binarisme politique français et composé la scénographie inépuisable des affrontements idéologiques qui se rejouent encore aujourd’hui sur les pavés battus par les manifs, autour des comptoirs de café, dans les salons virtuels des réseaux sociaux ou sur les bancs de l’Assemblée nationale. Mais tout ceci ressemble fort à un jeu de dupes et à bien y regarder, Patrick Buisson aura été l’un de ses plus talentueux metteurs en scène.
Inlassable avocat de l’union des droites, Buisson aura surtout été un emblématique représentant de cette droite qui se paie avant tout de mots, de grands mots, ronflants comme ‘décadence’, qui orne, maquillé en calembour menaçant, la couverture de son dernier ouvrage1, aussi prétentieux et truffé de grandes antiennes et des harangues ampoulées que le précédent2, pensum de cinq-cent pages sur la fin d’un monde, dont on ne sait dans quel ailleurs fantasmé il existe vraiment. La droite de Patrick Buisson, c’est celle qui se répand en pamphlets convenus contre un système médiatique qu’elle ne cesse de courtiser et qui dresse, comme il se doit, d’interminables éloge au ‘peuple’ qu’elle ne connaît pas plus que la gauche. Malheureux peuple, victime expiatoire, éternel dindon de la farce, tellement tiré à hue et à dia par tous les antisystèmes autoproclamés qu’il n’est plus qu’un bibelot politique comme un autre, énième élément de langage du grand cirque politico-médiatique germanopratin.
L’union des droites, Buisson s’y est dévoué corps et âme, consacrant une existence entière à explorer toutes les nuances de la sensibilité dextrogyre, passant en cinquante ans de la fascination pour l’OAS à l’affairisme sarkozien, avant de s’échouer dans le marigot du zemmourisme pourrissant. Entre les deux, il aura eu le temps d’aller draguer Jean-Marie Le Pen, Philippe de Villiers, Alain Madelin, François Bayrou, François Fillon et, enfin et bien sûr, Nicolas Sarkozy. Tour à tour courtisan, conseiller de l’ombre et, pour finir, traître, bien sûr, il est difficile de qualifier Patrick Buisson d’« égaré, (...) intellectuel maurrassien qui s’est mis au service de la pire engeance politicienne avec l’espoir, toujours déçu, de redresser un pays qu’il savait pourtant naufragé », comme si l’éminence grise de Sarko avait pu être une sorte de philosophe éclairé mais incompris, égaré au pays des loups. Buisson était un loup comme les autres, et bien plus un Iago qu’un Candide. Son propre fils peut en témoigner, qui a publié en 2019 un livre au titre évocateur sur la figure détesté de son père : L’ennemi3...Tout un programme. Le fils, Georges Buisson, y décrit une figure paternelle tyrannique, en même temps qu’un Raspoutine de basse cour, fasciné par le pouvoir et les gens de pouvoir, obnubilé par ses réseaux, obsédé par l’emprise qu’il peut exercer sur tous ceux, grands ou petits, puissants ou faibles, qui peuplent son entourage.
La figure de Buisson est une allégorie de cette droite prétendument nationale et patriote qui n’a que la ‘nation’ et le ‘peuple’ à la bouche, alors qu’elle ne rêve que d’épicerie et de tiroir-caisse. Historiquement confrontée à sa némésis lévogyre, cette droite-là a besoin de sa gauche, aussi prétendument révolutionnaire qu’elle, pour exister dans le grand jeu de dupe élaboré par les rebellocrates des années soixante, devenus princes des médias. Buisson peut bien vilipender à longueur de pages la société marchande et le règne de la télévision, il sait de quoi il parle, lui qui aura été par excellence l’homme des grands médias, de TF1 à LCI. Ses harangues moralistes sont du même tonneau que celles des prétendus antisystèmes biberonnés aujourd’hui par la pieuvre Bolloré. Elles ont la même valeur que le prétendu patriotisme d’un Eric Zemmour, qui s’empressait de qualifier la France de ‘pays-vassal’ et d’expliquer qu’il valait mieux ramper aux pieds de Vladimir Poutine plutôt que de donner l’impression qu’on s’alignerait sur les américains en soutenant l’Ukraine. Ce sera le dernier imposteur à l’oreille duquel Buisson aura murmuré, une belle manière de boucler la boucle...
La droite, dont Buisson a suivi avec tant de constance tous les errements, n’est que cela : un perpétuel vacarme de grandes déclarations faites la main sur le coeur, qui camouflent à peine la fausseté des intentions et la petitesse des actes, une tempête sur un marécage, la persistance dans l’erreur, toujours revendiquée au nom du « génie de la realpolitik » et la morale à géométrie variable comme seule réponse à l’idéologisme de gauche. On ne regrettera pas cette droite-là si elle finit par être avalée, comme sa jumelle de gauche, par les oubliettes de l’histoire mais ils sont nombreux encore les petits maîtres, comme Patrick Buisson, accrochés aux basques des puissants, intrigant sans relâche pour se partager les miettes du pouvoir, toujours au nom de la grandeur de la France, du peuple ou de l’humain, bien entendu.
La fin d’un monde, vraiment ? On l’espère de tout coeur. Ad nauseam Patrick Buisson.
1Décadanse, publié en 2023.
2La fin d’un monde. Albin Michel. 2021
3Georges Buisson. L’Ennemi. Grasset. 2019