« Ne
soyons pas trop généreux, seuls les chiens chient à toute heure. »
Christophe Fiat nous délivre un petit Nietzsche portatif d’autant plus savoureux qu’il est parfois bancal et souvent drôle. Il appartient sans doute au genre de la pop philosophie si l’expression n’était pas galvaudée et bien peu séante, avouons-le, pour une tête brûlée comme l’auteur de la Gaya Scienza. Aussi, l’approcher sous des angles inattendus, par le petit bout de la lorgnette, permet de redécouvrir les tics et les tocs du personnage, sa délectation par exemple pour le jus de viande Liebig, sa découverte enjouée de la machine à écrire, son bizarre amour pour Lou, son choix du verdâtre pour illustrer la couverture de Zarathoustra, etc.
En neuf petits chapitres et 152 pages, Fiat nous invite donc à redécouvrir Nietzsche à partir de quelques sentences : « Comment Nietzsche y va fort avec son Zarathoustra », « Comment Nietzsche fait de la poésie une arme », « Comment Nietzsche tombe amoureux », etc. La forme épouse le fond et glisse allègrement du côté du jeu, de la caricature, de la pure invention ou de l’autofiction. L’insertion d’extraits de la correspondance que Fiat entretient avec sa dulcinée, grande lectrice et bonne connaisseuse de Nietzsche, sont particulièrement plaisants, à tel point qu’on se demande pourquoi ce n’est pas elle, Charlotte en l’occurrence, qui l’a écrit – ce putain de livre. Quelques dialogues inventés d’une pièce, la réécriture intrigante d’un morceau de vie de Nietzsche, la présence ludique des questionnaires de Proust et de Nietzsche et d’autres trouvailles donnent à la lecture un peu de légèreté sans nuire au propos.
En effet, le travail de recherche est copieux et derrière les anecdotes se profile une véritable
introduction à l’œuvre avec, notamment, quelques-unes des marottes du
philosophe : l’intelligence du corps, les puissances de vie, l’académie
des grands esprits, le rejet du christianisme, etc. On regrettera seulement que
l’auteur cherche à tout prix à réhabiliter Nietzsche en l’édulcorant un peu
trop, notamment dans ses rapports aux femmes. Il n’était certes pas un misogyne
patenté mais de là à en faire une sorte de précurseur du féminisme, il y a
quand même un monde. Et quand Nietzsche dit : « Tu vas chez les femmes ?
N’oublie pas la cravache », je ne suis pas sûr qu’il veuille à tout prix
souligner « l’impuissance masculine tout en révélant le pouvoir à venir du
féminin ».
En tous les cas, ce petit guide offre une belle entrée en matière et rappelle, si besoin était, que Nietzsche était surtout et peut-être avant tout un aristocrate du rire. Comme il le signalait dans sa série de « Chansons du prince hors-la-loi » :
« Loué soit Dieu sur terre
Qui aime les jolies filles,
Et qui pareilles peines de cœur
Lui-même se pardonne volontiers.
Tant que sera joli mon petit corps,
Je ferai bien d’être pieuse :
Et que le diable m’épouse
Quand je serai une vieille édentée »
(…)
« Dérobons à chaque plante
Une fleur pour notre gloire,
Et deux feuilles pour notre couronne.
Dansons comme les troubadours
Parmi les saints et les putains
La danse entre Dieu et le monde ».