Il y a quelques temps
déjà, Jean-Marie Le Pen faisait un étrange
pronostic en prédisant que notre actuel président n’aurait pas le cran de
concourir à nouveau en 2012. Bien sûr, cette fracassante annonce tenait
beaucoup du « même pas cap’ », ou pouvait être autrement assimilée au
fait que pour le vieux briscard, 84 ans en juin prochain, le poids des ans
commence à se faire sentir et amenuise d’autant sa lucidité politique. On pouvait
même penser que papa Le Pen prenait ses désirs pour des réalités et rêvait un
peu vite d’expédier sa blonde et véhémente progéniture sur la première marche
du podium au deuxième tour sans avoir même à se défaire en duel du petit
Nicolas.
Pourtant, à voir la
manière dont Papy faisait de la résistance et taillait un nouveau costard à
Dominique « Caliente » Strauss-Kahn en mai dernier, il ne semble pas
que l’on puisse encore déceler chez le président d’honneur du FN les premières
traces de la sénilité galopante. En énonçant ses pronostics sur la
présidentielle, Bélzébuth a même démontré que le sens de la formule était chez
lui toujours intact : il voit bien, dit-il, Sarkozy « "nous balancer au dernier moment un candidat
inopiné, souple comme une anguille, lisse comme un congre qu'on aurait des
difficultés à attraper, une espèce de Fillon. »
Dès lors, pour nous, à Idiocratie,
la prophétie de l’ex-leader du Front National devenait plus qu’inquiétante.
Soucieux en effet de considérer avec bienveillance et enthousiasme toutes les entreprises
visant à accélérer plus encore le processus déjà bien entamé de crétinisation
générale de notre société, il est évident que l’annonce de la candidature de
Nicolas Sarkozy est un événement qui revêtait pour nous une importance
essentielle. Quel meilleur ambassadeur en effet de cette utopie idiocratique
dont nous tâchons de cerner les contours encore imprécis que l’homme qui a pris
la courageuse décision de brader les stocks d’or de la France en
pleine crise financière ? Quel plus brillant représentant de l’arrivisme
conquérant que cet amateur de yacht,
de montre-bracelet et
de stylo-plume
de prix ? Quel plus crédible défenseur de la diplomatie à courte vue
que celui qui autorise sous son mandat un transfertde technologie massif vers des pays émergents pour sauver le Rafale et
Dassault (et accessoirement sa crédibilité électorale) ? Non vraiment,
pour nous ici, à Idiocratie,
l’absence de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles ne se concevait pas. La campagne avait besoin de son communiquant capital et nous ne nous réjouissions pas de voir l'haletante course à la présidentielle réduite à une triste empoignade de
sociaux-démocrates et de populistes qui nous aurait presque fait passer pour
des Autrichiens. L’Italie a eu son Berlusconi, nous méritons notre Sarkozy.
Il est vrai pourtant que ça n’allait jusque-là pas très fort du côté du prince des people, pas plus crédible dans son rôle de président has been que de wannabe candidat. Pataugeant face à la crise et aux reproches d’un peuple ingrat, le « pas encore candidat » a déjà surtout maintes fois prouvé qu’il n’a jamais été un président. C’est tout le drame de cet intrigant qui a démontré de si grandes aptitudes à la course à la lanterne mais qui ne connaît du pouvoir que la conquête et non l’exercice. Aujourd’hui pourtant, face aux convulsions répétées du système financier international et à l’effondrement de la « maison Europe », notre cancre vibrionnant a l’occasion de donner la pleine mesure de sa médiocrité. Pour la première fois peut-être de sa fulgurante carrière présidentielle, N. Sarkozy est confronté à une situation qui exige de lui de réelles qualités de chef d’Etat. On avait eu droit depuis 2007 à Sarkozy fait du bateau (la version bling-bling), puis à Sarkozy en fait trop (l’hyperactif qui est partout à la fois) avant l’émouvant récital « J’ai changé ! Ah ! Français ! Si vous saviez comme j’ai changé ! » (l’âge de raison). Bref nous sommes passés en cinq ans de 50cents à Guillaume Musso avec, en prime, pour le final, les épisodes Tintinesques de Sarkozy en Géorgie (épisode hilarant qui voit notre Super-Président revenir avec un traité de paix signé par des Russes goguenard, plastronnant comme Chamberlain après Munich, fier comme un chien avec une pomme de pin dans la gueule, comme dirait Montherlant…) et Sarkozy en Lybie (Perpétuant la tradition chiraquienne, Sarkozy est aujourd’hui plus populaire dans les pays arabes qu’en France. C’est sûr que ce n’est pas de ce côté-ci de la Méditerranée qu’on risque de chanter : « Oui ! Oui ! Oui ! Merci Sarkozy ! »).
Nous avons donc ainsi eu droit, pour bien récapituler, au grand communiquant, à l’amateur de Ray-Ban au sourire carnassier, au séducteur, au repenti, à l’aventurier, au sportif, au bagarreur, au type qui force un peu sur la vodka, au manager avisé (qui a fait exploser la dette de l’Etat) mais jamais, jamais, jamais encore en cinq ans nous n’avons eu de président. Or, c’est au moment où la campagne présidentielle bat son plein que celui qui n’est jamais aussi bon que quand il endosse la défroque du candidat aux dents longues se voit tenu de conserver le plus longtemps possible son habit usé de chef de l’Etat. Le lever de rideau est tragique pour le candidat-président : sa politique économique est affligeante, sa politique intérieure est nulle, sa politique étrangère est risible. Il est loin le temps où la dream team des Sarkoboys fêtait bruyamment son retour de Géorgie en 2010 en pensant avoir triomphé des Russes qu’ils avaient dû surtout bien faire rire.
Le secret de Sarkozy réside dans sa force de persuasion. Depuis sa prestation du dimanche 29 janvier, on se demandait pourtant s’il arrivait encore à se convaincre lui-même. Plus que détestable, la performance virait au pathétique. Malheureux Sarkozy ! La crise était bien pratique tant qu’elle se cantonnait à un argument de communication. On pouvait au choix brandir l’épouvantail de la récession, de la perte du triple AAA (ah quelle belle invention que cette notation qui rétribue désormais l’excellence chez les Etats, les banques et les andouillettes !), de la sortie de l’euro… Malheur ! Tout ceci est en train de réellement arriver. Il n’avait pas signé pour ça le pauvre Nico, voilà qu’il lui faut se colleter avec l’histoire et faire comme s’il était un vrai chef d’Etat. Il est tombé tellement bas que même Angela Merkel se croit autorisée à descendre de son Olympe germanique pour venir s’essuyer les bottines sur le débat présidentiel et livrer un Kolossal et enkombrant soutien à l’ami français qui n’en demandait sûrement pas tant. Même David Cameron (celui qui jouait le rôle du sidekick dans Sarkozy en Lybie) se fout ouvertement de la gueule de son homologue quand il parle de taxe Tobin. Tout cela fait peine à voir, c’est triste comme une place de village un lendemain de comices, c’est pesant comme un Allemand qui explique une blague.
Alors finalement, la prédiction de Le Pen pouvait
être prise au sérieux. Parce que notre caricature de président est un égomaniaque,
qu’est-ce qui pouvait empêcher de penser que la perspective de se voir écraser
par Flanby Hollande ou par Panzer Le Pen, c’est-à-dire la perspective de perdre (devant tout le monde en
plus !), et de devenir le Jospin de droite, soit si insupportable qu’il
nous concoctait en secret une sortie de bal plus honorable du style :
« J’ai beaucoup fait pour les Français mais cette lutte m’a épuisée, je
préfère m’en aller plutôt que de me salir à nouveau dans les luttes de partis.
Et puis j’ai garé mon Porsche Cayenne en double-file, allez j’me casse! »
Mais quel soulagement a apporté l’annonce de
mercredi ! Nous aurons bien une campagne aussi nulle, aussi pathétique,
bref aussi idiote, que nous sommes en
droit de l’espérer ! Car nous ne pouvons plus prétendre désormais à la
dignité de citoyens mais nous pouvons toujours faire valoir - et bruyamment
comme il se doit ! – notre
statut de consommateurs. Nous voulons du spectacle ! Nous voulons qu’on
nous caresse dans le sens du poil, nous voulons qu’on nous tance, qu’on nous
dise que tout est de notre faute mais que nous ne sommes pas responsables, nous
voulons, plus que jamais, que l’on nous prenne pour des cons ! Nous
exigeons de l’invective, du raccourci, des mensonges, de la nullité et tout
cela nous l’aurons ! Parce que, au vu du spectacle offert mercredi dernier
par le type qui s’est installé derrière le bureau du président de la République
depuis cinq ans, cette campagne s’annonce comme le meilleur moment du
quinquennat. La foire aux médiocres et le bal des cons ! Sarkozystes et ex-sarkozystes,
hollandiens, frontistes, bayroutards, mélenchoneurs, abstentionnistes ou
blanquistes, il y a 44 millions d’idiots en France qui attendaient ça. 44
millions de millions de téléspectateurs, et peut-être plus encore, qui ne
veulent pas être déçus. Alors, de tout cœur : « Oui ! Oui !
Oui ! Merci Sarkozy ! » Qu’il gagne, qu’il perde, dans tous les
cas, nous avons désormais l’assurance d’avoir droit à notre pathétique épopée
jusqu’en avril. Chesterton écrivait que « solliciter des
suffrages est tout à fait chrétien dans son principe. C’est encourager les
humbles ; c’est dire à l’homme modeste : ²Ami, monte plus haut.² »[1] Il écrivait cela il a un siècle et nous
sommes loin de lui désormais, nous qui vivons fièrement à l’heure de la crétinisation
mondialisée ! Et c’est un grand moment qui s’annonce pour nous. Avec
l’annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy, la campagne est vraiment lancée
et nous allons pouvoir faire la nique à Chesterton et montrer à ce vieux
chrétien libéral épouvantablement barbant jusqu’à quel point notre démocratie
moderne peut descendre et imposer à l’homme modeste comme au nanti cet unique
injonction : « Ami, rampe pour moi. »
Le roi est nu, vive le roi ! Et c’est
parfait, parce que désormais nous ne voulons plus de roi, nous voulons du cul,
de la chair qui s’étale, qui braille et gesticule, qui s’adresse à nous pour ce
que nous sommes : de la viande électorale, de pauvres types qui rampent et
relèvent une fois tous les cinq ans la tête en geignant vers les dieux minables
qui exhibent leurs chancres pour nous séduire.
Avé ! Que les jeux du cirque
commencent !
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