Une grande
victoire, qu’il faut saluer ici, à Idiocratie,
vient d’être obtenue par les ligues féministes (et par les restrictions
budgétaires !). Après une longue bataille médiatique et juridique,
celles-ci ont enfin obtenu la disparition des formulaires administratifs du
titre « Mademoiselle ». Qualificatif ô combien dégradant, évocateur
de sages froufrous, de regards furtifs, de silhouette gracile et de cœur à
prendre, « Mademoiselle » est priée d’aller promener ailleurs ses
jupons et de cesser ses manières. On ne tolérera désormais que la dignité un
peu austère de « Madame », qui elle au moins sait se tenir et ne
s’avise pas de minauder avec les airs de charmante victime de sa consoeur.
« Madame » n’est ni prise, ni à prendre, ni à séduire, foin désormais
de cette distinction discriminante entre la jeune fille et celle qui sera
adoubée par l’institution rétrograde du mariage. Circulez SVP, phallocrates et
profiteurs sexistes ! « Madame » désormais se tient fière et
droite sur le podium de l’égalité des sexes aux côtés, ou plutôt en face, d’un
« Monsieur » qu’on tient à l’œil et qu’on ne reprendra plus à couler
des regards en coin vers les « Mademoiselles » dans les recoins des
formulaires.
Au-delà du juste combat pour une
égalité parfaite que nous ne nous aviserons pas de discuter ici, cette avancée
législative est aussi une avancée linguistique. Soucieux que nous sommes de valoriser
chaque nouvelle bataille remportée par la modernité, il nous faut ici saluer
une avancée décisive en termes de langage. Il y a plus de soixante-dix ans, un
penseur réactionnaire établissait dans un méchant petit ouvrage, avec une
mauvaise humeur teintée d’ironie acerbe, que les combats menés par les
avant-gardes, pour revenir à la pureté originelle d’un langage qui ne trahirait
plus la pensée, interdisaient désormais d’employer des lieux communs comme
« des yeux fondus » ou « douceur vespérale », clichés
auxquels, d’un point de vue stylistique, on pourrait certainement adjoindre
« ironie acerbe », « pureté originelle » et « penseur
réactionnaire » tant ces maladroites constructions traduisent des
évidences… Ce combat était en tout cas d’un autre temps. La chasse aux clichés
et aux lieux communs dans les années d’entre-deux guerres n’était qu’un prélude
esthétique qui ouvrait modestement la voie aux réalisations formidables des
grandes utopies révolutionnaires (ah ! encore un cliché !).
Aujourd’hui, tandis que nous vivons une époque au sein de laquelle nous avons matériellement
et juridiquement conquis un bien-être relatif et une harmonie sociale
apparente, les conquêtes, après s’être réalisées dans les lois, doivent se
poursuivre dans les cœurs et les consciences.
On ne demande plus, comme aux
temps héroïques (tiens, encore un…) des avant-gardes historiques (et de
trois…), à la littérature de préparer les temps nouveaux. En fait, on ne lui demande plus rien. Cependant, si le
bannissement des demoiselles représente une avancée législative comme on n’en
avait plus vu depuis le droit de vote des femmes en 1944, il convient de
continuer à mener la bataille du langage pour finalement gagner celle des âmes
en entreprenant, partout, de traquer le démon
protéiforme de la pensée discriminante. Amen. On peut d’ores et déjà
suggérer que les ligues de vertus égalitaires ne se contentent plus, dès
aujourd’hui, d’écarter des formulaires administratifs l’ombre menaçante des
jeunes filles en fleur, mais qu’elles osent s’attaquer aux forteresses
inexpugnables (et de quatre !) du sexisme ordinaire (cinq ?), à
« Monsieur », le Minas Morgul de la terreur phallocratique, et à
« Madame », le Minas Tirith du consentement bourgeois. Dès à présent,
nous osons soumettre à la bienveillante sagacité (nous vous prions d’agréer nos
salutations les plus distinguées…) de nos maîtresses en anti-sexisme, les jolis
termes, bien plus égalitaires, de « compère » et
« commère » pour remplacer « Monsieur » et
« Madame ». Avec un peu de chance il y aura bien un usager qui se
prénommera Goupil ou Ysengrin : fou-rire et bonne humeur assurés au
guichet des ASSEDICs, même en cas de radiation définitive…
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