Dans les semaines à venir, les idiots vont laisser passer une longue recension critique d'un ouvrage magistral, et absolument essentiel à la compréhension de notre temps.
En attendant, nous en proposons un
avant-goût, il s’agit du livre de Jean Vioulac, La logique
totalitaire. Essai sur la crise de l’Occident (Paris, Presses
universitaires de France, coll. « Epiméthée », 2013), p. 388-389.
« Fondé sur un économisme
scientiste qui voit dans l’avènement de la société de marché l’accomplissement
de l’Histoire universelle et la réalisation de la nature humaine, le
néolibéralisme, par le biais d’une avant-garde d’économistes professionnels,
promeut la production de l’homme nouveau adapté au marché mondial ; il
use, pour ce faire, de la propagande de masse qu’est la publicité et soumet
chaque individu à la discipline managériale qui lui impose l’entreprise comme
modèle de réalisation d’un soi préalablement défini comme
producteur-consommateur : il contribue ainsi à l’institution du marché
comme Totalité et s’emploie à détruire tout ce qui viendrait entraver sa
puissance de totalisation. Sa gouvernementabilité spécifique se déploie alors
comme biopouvoir, qui vient normer les individus dans l’immanence de leurs
désirs, et comme police, qui assure la coexistence pacifique des individus
désirants.
Le
capitalisme est un totalitarisme[1],
et le néolibéralisme est son idéologie ; s’il peut nier être totalitaire,
c’est qu’en effet il n’est pas application démiurgique d’un idéal élaboré
contre le réel, mais explicitation et accompagnement d’un processus de
totalisation et de reconfiguration totale de l’homme et de la société
parfaitement immanent, qui ne relève pas d’un dessein humain : mais un tel
processus de totalisation, en tant qu’il est autonome et automatique, est
précisément le totalitarisme même, et le néolibéralisme n’est autre que
l’idéologie du totalitarisme capitaliste – qui, dans l’image inversée de la camera
obscura idéologique, le présente systématiquement comme libération[2] ».
[1]
L’idéologie néolibérale a pu tout au long du XXè siècle et encore
aujourd’hui s’opposer aux totalitarismes politiques en se fondant sur le
critère discriminant de la terreur, qui fut en effet massive et
sanglante dans tous les régimes totalitaires : elle ne l’a fait cependant
que dans le déni complet du « terrorisme impitoyable » (Marx) propre
à l’accumulation primitive du Capital. Pour autant, il convient de définir la
terreur avec précision : la terreur est l’exercice du pouvoir de
l’Universel sur le particulier, qui use de sa souveraineté pour abolir la
singularité. En régime terroriste, montrait Hegel, l’individu comme tel a le
statut de suspect, en ce que sa singularité est en tant que telle inadéquate à
l’universalité de l’Etat. Mais le capitalisme donne lui-même un statut très
précis à l’individu, le statut de précaire […], et le précaire, tout comme le
suspect, vit constamment sous la menace que constitue son inadéquation à
l’Universel. Menace d’être inadapté à l’évolution du marché, et donc d’être
éjecté par la force centrifuge de la spirale de l’autovalorisation : la
logique immanente de la concurrence conduit ainsi à une purification du corps
social par l’élimination constante des losers qui n’auront pas su rester
performants, et rejette ainsi quotidiennement à sa périphérie tous ceux qui ne
s’intègrent pas à son dispositif de désintégration […]. A la menace de
l’exécution dans laquelle vit le suspect succède donc la menace de l’exclusion
dans laquelle vit le précaire – et l’exclusion est bien une forme de mort, la
mort sociale. Cette menace se double alors pour chacun de la peur de ne pas
être à la hauteur de ses propres objectifs, et de découvrir la nullité de ses
performances : la dépression est alors le vécu subjectif propre à un
individu qui ne se juge plus, par rapport à la loi, en termes de faute, mais,
par rapport aux normes, en termes d’insuffisance.
[2]
On pourrait aborder le mode capitaliste de domination en termes de pouvoir
charismatique : la masse atomisée se constitue en communauté charismatique
par sa référence commune au fétiche de l’argent, entité mystique qui incite
chacun à travailler pour lui et vers lui. Ce fétichisme charismatique est mené
à son terme aux Etats-Unis, où « 20% des Américains disent que la main
invisible derrière le capitalisme est celle de Dieu » (Le Monde du
28 octobre 2011), ce qui met en lumière la nature de la religion des Américains
– qui, en effet, invoquent le nom de Dieu sur leurs billets de banque – déjà
suspectée par Tocqueville. Rappelons la parole du Christ : « Nul ne
peut servir à la fois Dieu et l’argent » (Luc, 16, 13) et celles de
saint Paul : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de
l’argent » (1 Timothée, 6, 13), « Dans les derniers temps il y
aura des jours difficiles : en effet, les hommes seront égoïstes et amis
de l’argent » (2 Timothée, 3, 2).
Une lecture en parallèle, celle de
RépondreSupprimerVivre la fin des temps (2010)
Slavoj Zizek
Son originalité est d’être construit selon les étapes du deuil telles que Elisabeth Kübler-Ross les a formalisées (nonobstant le fait que tout le monde ne passe pas par toutes ces étapes - ou dans cet ordre).
déni
explosion de colère
tentatives de marchandage
puis dépression
enfin acceptation
Soit les chapitres :
1 - Déni : l'utopie libérale
2 - Colère : l'actualité du théologico-politique
3 - Marchandage : le retour de la critique de l'économie politique
4 - Dépression : le trauma neuronal ou la montée en puissance du cogito prolétarien
5 - Acceptation : la cause reconquise
c/o Flammarion
traduit de l'anglais par Daniel Bismuth
Merci pour la référence, détaillée qui plus est...
RépondreSupprimer