Tout le génie de notre époque, c'est qu'elle ne déçoit jamais. Elle réinvente toujours avec plus d’aplomb une idiotie qui ne semble jamais devoir être fatiguée d'elle-même. Elle le fait avec une telle prétention et une si grande ingénuité que le premier réflexe, face à ses plus outrancières crises d'autocélébration, est de penser à une blague potache...Jusqu'à ce que l'on se rappelle que cette société, qui a fait de "l'impertinence" une religion, a perdu depuis longtemps tout sens de l'humour. Philippe Muray, lui, ne l'a jamais perdu. Et quand les narcisses qui veulent guider le peuple jouent leur péplum en première page, il nous manque décidément plus que jamais.
"Notre
époque ne produit pas que des terreurs innommables, prises d’otages
à la chaîne, réchauffement de la planète, massacres de masse,
enlèvements, épidémies inconnues, attentats géants, femmes
battues, opérations suicide. Elle a aussi inventé le sourire de
Ségolène Royal. C’est un spectacle de science-fiction que de le
voir flotter en triomphe, les soirs électoraux, chaque fois que la
gauche, par la grâce des bien-votants, se trouve rétablie dans sa
légitimité transcendantale. On en reste longtemps halluciné, comme
Alice devant le sourire en lévitation du Chat de Chester quand le
Chat lui-même s’est volatilisé et que seul son sourire demeure
suspendu entre les branches d’un arbre.
On
tourne autour, on cherche derrière, il n’y a plus personne, il n’y
a jamais eu personne. Il n’y a que ce sourire qui boit du
petit-lait, très au-dessus des affaires du temps, indivisé en
lui-même, autosuffisant, autosatisfait, imprononçable comme Dieu,
mais vers qui tous se pressent et se presseront de plus en plus comme
vers la fin suprême.
C’est
un sourire qui descend du socialisme à la façon dont l’homme
descend du cœlacanthe, mais qui monte aussi dans une spirale de
mystère vers un état inconnu de l’avenir où il nous attend pour
nous consoler de ne plus ressembler à rien.
C’est
un sourire tutélaire et symbiotique. Un sourire en forme de giron.
C’est le sourire de toutes les mères et la Mère de tous les
sourires.
Quiconque
y a été sensible une seule fois ne sera plus jamais pareil à
lui-même.
Comment
dresser le portrait d’un sourire ? Comment tirer le portrait
d’un sourire, surtout quand il vous flanque une peur bleue ?
Comment faire le portrait d’un sourire qui vous fait mal partout
chaque fois que vous l’entrevoyez, mal aux gencives, mal aux
cheveux, aux dents et aux doigts de pieds, en tout cas aux miens ?
Comment
parler d’un sourire de bois que je n’aimerais pas rencontrer au
coin d’un bois par une nuit sans lune ?
Comment
chanter ce sourire seul, sans les maxillaires qui devraient aller
avec, ni les yeux qui plissent, ni les joues ni rien, ce sourire à
part et souverain, aussi sourd qu’aveugle mais à haut potentiel
présidentiel et qui dispose d’un socle électoral particulièrement
solide comme cela n’a pas échappé aux commentateurs qui ne
laissent jamais rien échapper de ce qu’ils croient être capables
de commenter ?
C’est
un sourire qui a déjà écrasé bien des ennemis du genre humain
sous son talon de fer (le talon de fer d’un sourire ? la
métaphore est éprouvante, j’en conviens, mais la chose ne l’est
pas moins) : le bizutage par exemple, et le racket à l’école.
Ainsi que l’utilisation marchande et dégradante du corps féminin
dans la publicité.
Il
a libéré le Poitou-Charentes en l’arrachant aux mains des
Barbares. Il a lutté contre la pornographie à la télé ou contre
le string au lycée. Et pour la cause des femmes. En reprenant cette
question par le petit bout du biberon, ce qui était d’ailleurs la
seule manière rationnelle de la reprendre ; et de la conclure
par son commencement qui est aussi sa fin.
On
lui doit également la défense de l’appellation d’origine du
chabichou et du label des vaches parthenaises. Ainsi que la loi sur
l’autorité parentale, le livret de paternité et le congé du même
nom. Sans oublier la réforme de l’accouchement sous X, la
défense des services publics de proximité et des écoles rurales,
la mise en place d’un numéro SOS Violences et la promotion de
structures-passerelles entre crèche et maternelle.
C’est
un sourire près de chez vous, un sourire qui n’hésite pas à
descendre dans la rue et à se mêler aux gens. Vous pouvez aussi
bien le retrouver, un jour ou l’autre, dans la cour de votre
immeuble, en train de traquer de son rayon bleu des encoignures
suspectes de vie quotidienne et de balayer des résidus de
stéréotypes sexistes, de poncifs machistes ou de clichés
anti-féministes. C’est un sourire qui parle tout seul. En tendant
l’oreille, vous percevez la rumeur sourde qui en émane et répète
sans se lasser : « Formation, éducation, culture,
aménagement du territoire, émancipation, protection, développement
durable, agriculture, forums participatifs, maternité, imaginer
Poitou-Charentes autrement, imaginer la France autrement,
imaginer autrement autrement. »
Apprenez
cela par cœur, je vous en prie, vous gagnerez du temps.
Je
souris partout est le slogan caché de ce sourire et aussi son
programme de gouvernement. C’est un sourire de nettoyage et
d’épuration. Il se dévoue pour en terminer avec le Jugement
Terminal. Il prend tout sur lui, christiquement ou plutôt
ségolènement. C’est le Dalaï Mama du III e millénaire.
L’Axe du Bien lui passe par le travers des commissures. Le bien
ordinaire comme le Souverain Bien. C’est un sourire de lessivage et
de rinçage. Et de rédemption. Ce n’est pas le sourire du Bien,
c’est le sourire de l’abolition de la dualité tuante et humaine
entre Bien et Mal, de laquelle sont issus tous nos malheurs, tous nos
bonheurs, tous nos événements, toutes nos vicissitudes et toutes
nos inventions, c’est-à-dire toute l’Histoire. C’est le
sourire que l’époque attendait, et qui dépasse haut la dent
l’opposition de la droite et de la gauche, aussi bien que les hauts
et les bas de l’ancienne politique.
Un
sourire a-t-il d’ailleurs un haut et un bas ? Ce ne serait pas
démocratique. Pas davantage que la hiérarchie du paradis et de
l’enfer. C’est un sourire qui en finit avec ces vieilles
divisions et qui vous aidera à en finir aussi. De futiles
observateurs lui prédisent les ors de l’Élysée ou au moins les
dorures de Matignon alors que l’affaire se situe bien au-delà
encore, dans un avenir où le problème du chaos du monde sera réglé
par la mise en crèche de tout le monde, et les anciens déchirements
de la société emballés dans des kilomètres de layette inusable.
Quant
à la part maudite, elle aura le droit de s’exprimer, bien sûr,
mais seulement aux heures de récréation. Car c’est un sourire qui
sait, même s’il ne le sait pas, que l’humanité est parvenue à
un stade si grave, si terrible de son évolution qu’on ne peut plus
rien faire pour elle sinon la renvoyer globalement et définitivement
à la maternelle.
C’est
un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même
nom.
C’est
évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri
et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le
sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil
de tout.
Les
thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette
d’un cher disparu."
Phlippe
Muray. Le sourire à visage humain.
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