Dans son dernier ouvrage Parier avec
Pascal, l’abbé de Tanoüarn, animateur du Centre Saint-Paul, nous livre une
méditation profonde sur le christianisme ; le christianisme vécu au plus
près de l’individu, dans les entrailles même de la condition d’être humain. Il y a peu d’essai aussi revigorant sur le sujet, et
aussi actuel, alors même que son fil conducteur en est l'exégèse d'un texte fragmentaire de Pascal intitulé « Infini-rien », et davantage
connu sous le nom du Pari.
On est d’emblée frappé par la modernité
bien comprise d’un auteur du XVIIè siècle, c’est-à-dire une
modernité qui postule que le progrès (progredior :
« j’avance ») ne renvoie pas à une évolution linéaire, mais signale
tout simplement que l’individu est pris dans un mouvement permanent dont il est
le ressort premier. Et cet individu ne dispose que de sa raison éclairée
par les sens (et pas seulement limitée à sa logique ratiocinante) pour tenter
de comprendre le sens profond de sa vie spirituelle, d’approcher « le feu
brûlant au cœur de notre vie ». En vain d’ailleurs. C’est cela le pari de
Pascal, le pari fou de mettre sa vie au diapason de l’infini quand bien même il
ne peut en résulter qu’un écart, un décalage dans lequel se déploie la vérité
multiple, plurielle et contradictoire. Socrate ne disait-il pas qu’il préférait
l’ignorance à tous les non-savoirs ?
C’est le chemin auquel nous convie
l’abbé de Tanouarn avec une force et, disons-le, une foi à toute épreuve car l’homme est un
joueur au sens métaphysique du terme. Il faut bien sûr accepter de mettre Dieu
au centre de l’existence humaine pour risquer la transcendance et faire
l’expérience de son propre anéantissement. Il ne s’agit pourtant pas d’un
retour à l’Un, d’une décréation aurait tenté Simone Weil, mais plus simplement
d’une prise de conscience de soi au travers du fini qui s’oublie dans l’infini,
ici et maintenant, de façon fragmentaire. Les dés doivent toujours être
relancés si l’on veut que l’individu avance dans la vie, se libère
progressivement des obstacles (corps, passion, etc.) et atteigne la grâce qui
vient du désir de Dieu.
L’homme est seul dans ce jeu, mais
dispose de la vie pour terrain de grâce et du Christ pour modèle de liberté. Et
le retour dans le monde se fait sous le signe de la charité, cette force qui
réchauffe l’existence au feu de l’amour. Le contraire de la froideur, du
calcul, de l’intérêt, bref, des joueurs qui veulent faire de leur vie une
victoire, comme s’il était seulement possible de gagner quoi que ce soit.
L’abbé de Tanoüarn rappelle que Pascal « croit l’évidence de Dieu et n’y
croit pas », c’est la force de ceux qui savent que le chemin n’a pas de
fin. Et le contraire de tous les intégrismes qui s’imaginent là où ils ne sont
pas, dans l’enceinte divine.
« Cela vaut la peine » dit
encore Socrate et Jésus lui répond, comme en écho : « Celui dont les
hommes sont capables ». Tout est là, dans les empreintes à peine visibles,
dans le cœur de chaque homme, dans le jeu dont on fait le pari. Et il est à
peine croyable que certains puissent ne pas vouloir jeter les dés en l’air,
sans qu’ils ne retombent jamais, car cela a un nom : la vie. Et une
marque : le sourire de celui qui se sait jouer avec l’infini.
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