mercredi 30 octobre 2013

L'infini en jeu



         Dans son dernier ouvrage Parier avec Pascal, l’abbé de Tanoüarn, animateur du Centre Saint-Paul, nous livre une méditation profonde sur le christianisme ; le christianisme vécu au plus près de l’individu, dans les entrailles même de la condition d’être humain. Il y a peu d’essai aussi revigorant sur le sujet, et aussi actuel, alors même que son fil conducteur en est l'exégèse d'un texte fragmentaire de Pascal intitulé « Infini-rien », et davantage connu sous le nom du Pari.

         On est d’emblée frappé par la modernité bien comprise d’un auteur du XVIIè siècle, c’est-à-dire une modernité qui postule que le progrès (progredior : « j’avance ») ne renvoie pas à une évolution linéaire, mais signale tout simplement que l’individu est pris dans un mouvement permanent dont il est le ressort premier. Et cet individu ne dispose que de sa raison éclairée par les sens (et pas seulement limitée à sa logique ratiocinante) pour tenter de comprendre le sens profond de sa vie spirituelle, d’approcher « le feu brûlant au cœur de notre vie ». En vain d’ailleurs. C’est cela le pari de Pascal, le pari fou de mettre sa vie au diapason de l’infini quand bien même il ne peut en résulter qu’un écart, un décalage dans lequel se déploie la vérité multiple, plurielle et contradictoire. Socrate ne disait-il pas qu’il préférait l’ignorance à tous les non-savoirs ?

         C’est le chemin auquel nous convie l’abbé de Tanouarn avec une force et, disons-le, une foi à toute épreuve car l’homme est un joueur au sens métaphysique du terme. Il faut bien sûr accepter de mettre Dieu au centre de l’existence humaine pour risquer la transcendance et faire l’expérience de son propre anéantissement. Il ne s’agit pourtant pas d’un retour à l’Un, d’une décréation aurait tenté Simone Weil, mais plus simplement d’une prise de conscience de soi au travers du fini qui s’oublie dans l’infini, ici et maintenant, de façon fragmentaire. Les dés doivent toujours être relancés si l’on veut que l’individu avance dans la vie, se libère progressivement des obstacles (corps, passion, etc.) et atteigne la grâce qui vient du désir de Dieu.

         L’homme est seul dans ce jeu, mais dispose de la vie pour terrain de grâce et du Christ pour modèle de liberté. Et le retour dans le monde se fait sous le signe de la charité, cette force qui réchauffe l’existence au feu de l’amour. Le contraire de la froideur, du calcul, de l’intérêt, bref, des joueurs qui veulent faire de leur vie une victoire, comme s’il était seulement possible de gagner quoi que ce soit. L’abbé de Tanoüarn rappelle que Pascal « croit l’évidence de Dieu et n’y croit pas », c’est la force de ceux qui savent que le chemin n’a pas de fin. Et le contraire de tous les intégrismes qui s’imaginent là où ils ne sont pas, dans l’enceinte divine.

         « Cela vaut la peine » dit encore Socrate et Jésus lui répond, comme en écho : « Celui dont les hommes sont capables ». Tout est là, dans les empreintes à peine visibles, dans le cœur de chaque homme, dans le jeu dont on fait le pari. Et il est à peine croyable que certains puissent ne pas vouloir jeter les dés en l’air, sans qu’ils ne retombent jamais, car cela a un nom : la vie. Et une marque : le sourire de celui qui se sait jouer avec l’infini. 



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