« Nous somme
Charlie ». Ah bon pourquoi ? Sans doute déjà par simple compassion
avec les victimes, les familles. Dans ce cas il faudrait ajouter aussi, par
respect pour tous ceux qui sont morts, que nous sommes aussi flics et employés municipaux
et tous pris en otage, bien sûr, par cette armée de terroristes anomiques qui
démontrent avec une froideur professionnelle à quel point la liberté est pour
eux un objet de mépris ; des tueurs qui préfèrent les caméras aux caricatures
et ont troqué au nom d’Allah leur défroque de petite racaille pour le costume
de croisé
Nous sommes Charlie donc.
Pas pour le plaisir d’aller défiler auprès d’Anne Hidalgo ou de Bertrand
Delanoë mais parce que nous sommes en guerre. Pas le retour des années trente ou
je ne sais encore quelle bondieuserie de journaliste en mal de marronnier, non,
la guerre, celle qui remet brutalement à l’heure les pendules de l’histoire, la
bête furieuse qui réclame du sang, des vies et des peuples. Les événements de
cette fin de semaine ne sont pas des crimes isolés commis par de simples
déséquilibrés comme il semble être devenu d’usage de qualifier désormais les
entreprises terroristes. Ce sont des actes de guerre, accomplis par des soldats
entraînés, visant des cibles précises et symboliques et servant un but très
clair. Les cibles se sont des dessinateurs qui osèrent jouir de leur liberté et
caricaturer un prophète de malheur, ce sont aussi des représentants des forces
de l’ordre, abattus lâchement dans le dos ou achevés à terre, ce sont les juifs
visés en tant que juifs et massacrés dans un hypermarché. Le but, quant à lui,
est d’imposer aux esprits le respect et la crainte d’un islam qui fait payer
toute critique au prix du sang.
L’objectif des attentats et
des prises d’otages dont, jamais la France n’avait connu une telle succession
en si peu de temps, est de plonger la société française dans une crainte
suffisamment respectueuse pour que plus personnes n’ose à l’avenir s’attaquer à
l’islam ou à Mahomet. Charb est le premier nom que les tueurs auraient prononcé
en pénétrant dans la salle de rédaction, avant d’abattre le directeur de la
publication et ses collaborateurs. En 2013, le magazine en ligne Inspire,
publié par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, avait fait figurer son nom sur
une liste de personnalités recherchées pour « crimes contre l'islam » et le
dessinateur vivait sous protection policière depuis que Charlie avait
osé publier les fameuses caricatures de Mahomet. La menace n’était pas fantasmée,
n’en déplaise aux Indigènes de la République qui, toujours bien
inspirés, publiaient il y a deux ans, après l’incendie criminel qui avait
ravagé les locaux de Charlie Hebdo, un appel dans lequel on pouvait lire
notamment : « qu’il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les
journalistes de Charlie Hebdo, que les dégâts matériels seront pris en
charge par leur assurance, que le buzz médiatique et l’islamophobie ambiante
assureront certainement à l’hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes
décuplées, comme cela s’était produit à l’occasion de la première « affaire des
caricatures. »[1]
Rokhaya Diallo, l’une des signataires, a peut-être été un peu rudoyée
avant-hier par Ivan Rioufol, il n’empêche que ses larmes de crocodile ont du
mal à émouvoir aujourd’hui quand on relit le texte auquel elle a apposé sa
signature.
On peut penser ce que l’on
veut de Charlie-Hebdo. On peut détester ce journal pseudo libertaire, on
peut trouver que Charlie n’était qu’un repère de rebellocrates et que le
célèbre « beauf » de Cabu était le symbole de la condescendance de
classe et du conformisme idéologique. Il n’empêche : en choisissant de
reproduire les caricatures de Mahomet, celles pour lesquelles le peuple danois
est allé jusqu’à défiler pour s’excuser, les journalistes de Charlie ont
fait preuve d’un entêtement salutaire et ont rendu hystériques quelques chefs
de guerre et de gros émirs à la graisse violemment agitée par des frissons
d’indignation religieuse à la vue des dessins proscrits. En résumé ils ont eu
des couilles et ils l’ont payé de leur vie. En continuant à défier à coups de
unes scatos, de dessins crados et de jeux de mots potaches un islamisme dont la
principale caractéristique, en plus de former des assassins, et de haïr
l’humour au nom de la religion. Charb et ses amis sont restés debout et l’ont
payé. Dans les temps actuels, nous n’avons pas si souvent l’occasion de saluer
ce genre de courage.
Il va en falloir, pourtant,
du courage, dans les temps à venir. Et défiler avec sa petite pancarte
#jesuischarlie n’aura de sens que si l’on y ajoute, bien visible : J’EMMERDE
LE PROPHETE. Parce que c’est cela qui a tué mercredi, jeudi et vendredi,
c’est la volonté d’une faction religieuse de nous imposer à tous le délit de
blasphème. Et la peine requise pour ce délit est la mort. La guerre sainte
arrive chez nous en terrain partiellement conquis. Depuis quelques décennies,
nos dirigeants, partagés entre lâcheté et aveuglement, tentent de nous
enseigner, avec le concours des plus grands médias, que l’islamophobie est désormais un crime capital aux yeux de la république. A leur décharge,
reconnaissons qu’ils ne font que suivre une tendance générale. Comme le
rappellent en effet Isabelle Kersimon et Jean-Christophe Moreau dans un
excellent essai dont l’actualité est tragiquement confirmée aujourd’hui :
« C’est sur la scène internationale que la dénonciation de l’islamophobie
s’est traduite par l’émergence du concept de ‘diffamation des religions’. Les
Nations Unies, de 1999 à 2011, ont en effet consacré la légitimité de cette
notion pour le moins baroque, en adoptant régulièrement des résolutions qui
enjoignaient solennellement les Etats à intégrer dans leur législation
nationale des dispositions contre les stéréotypes négatifs sur les
religions. »[2]
Cette campagne de « lutte contre la diffamation des religions » fut
lancée par l’Organisation de la Conférence Islamique et notamment par le
Pakistan et le Yémen, deux pays en pointe comme chacun le sait, dans le domaine
de la défense de la liberté d’expression. « Jusqu’en 2010, note donc les
auteurs d’Islamophobie, la contre-enquête, l’Assemblée générale [des
Nations Unies] adoptera ainsi chaque année une résolution exhortant les Etats à
sanctionner le blasphème au nom du ‘dialogue entre civilisations’. »[3]
Nul doute dès lors que nos
dirigeants, et tous les médias soucieux « d’éviter les amalgames » ne
pourront qu’approuver le communiqué réalisé par Mounir Tlili, ministre des
affaires religieuses en Tunisie, qui, après le massacre et alors que les
assassins cavalaient toujours, a tout simplement invité « les médias du
monde entier à respecter l’éthique journalistique et à éviter de porter
atteinte aux religions et au sacré qui pourraient entraîner des réactions
émotionnelles »[4] ;
Le message est on ne peut plus clair, il l’est d’ailleurs tout autant que celui
qui nous est adressé par les foules en liesse dans les rues d’Alger après l’annonce
de l’attentat.
Le massacre de Charlie
Hebdo et les fusillades et prises d’otages qui l’ont suivi font apparaître
avec brutalité la confrontation meurtrière entre un islam radical prêt à
prendre sa place dans l’histoire et nos sociétés démocrates et libérales
travaillées par la tentation de l’auto-anéantissement, rejetant l’héritage de
leur propre civilisation pour ne s’entretenir que de leur propre vide.
« Le soldat qui meurt à Verdun souffre de devoir mourir, écrit Robert
Redeker, mais il connaît une exaltation forte liée à la gloire de la patrie. Le
djihadisme, par exemple, relève du même phénomène. » Les événements de
mercredi ont si brutalement mis en lumière cette opposition violente qui rend soudain
dérisoire toute autre grille de lecture partisane.
Les sociétés musulmanes
contemporaines ne sont pas, à bien des égards, les perdants radicaux
qu’imaginait l’essayiste allemand, H.M. Enzensberger[5],
elles assument au contraire une logique de conquête et font peu de cas de
l’avance technologique de l’occident tant que la conscience de leur supériorité
spirituelle leur est acquise. C’est bien nous qui, aux yeux des vrais croyants,
faisons figure de perdants radicaux et c’est parmi les perdants qu’elles
recrutent les soldats du djihad. Toutes les chaînes de solidarité, les
rassemblements républicains, aussi dignes soient-ils, ne pourront rien y
faire : aux yeux des croyants radicaux nous offrons, avec notre humanisme
croulant et notre république complaisante un spectacle des plus pathétiques. La
laïcité que nos dirigeants brandissent comme si elle était une véritable
contre-religion, n’est qu’un vide à combler pour les prosélytes les plus
déterminés ou les nouveaux croisés, petites racailles qui, chez nous, sont
passés du grotesque clinquant du rap US à la révélation du djihad. La société
républicaine qui a abandonné vis-à-vis de ses immigrés tout projet
d’assimilation et qui s’engouffre tête baissée dans un consumérisme progressiste
négateur de toute construction, de tout socle historique, n’a en réalité plus
rien à offrir à ses nouveaux combattants de l’Islam auxquels elle n’a jamais
rien eu d’autre à offrir que la complaisance victimaire et la frustration
pécuniaire. Elle est donc aujourd’hui complètement désemparée face à ces
candidats au martyr anomique qui sont capables du jour au lendemain de passer à
l’action pour attaquer partout et nulle part les symboles et les membres
anonymes de cette société de cadavres ambulants pour lesquels ils n’ont que
mépris. Tous les rassemblements, même les plus dignes, mêmes les plus
solidaires, contre l’intolérance, le fanatisme, en faveur de la liberté
d’expression, n’y feront rien : on ne combat pas son propre vide.
« Les sociétés fabriquent les hommes dont elles ont besoin, expliquait il
y a quelques temps le philosophe Robert Redeker. L’imaginaire guerrier n’est
plus à l’œuvre. Le show bizness et le sport fabriquent les êtres, modèlent des
corps, ils apportent à chacun
l’imaginaire nécessaire à cette anthropofacture. L’âme est remplacée par le
mental tendu vers la réussite individuelle et l’épanouissement
personnel. » Redeker est lui aussi menacé par une fatwa, depuis 2007.
Avant de devenir la cible des islamistes, le philosophe a d’abord dû subir les
anathèmes des bien-pensants et des amis du désastre. A l’époque où Redeker
était attaqué par tous car il osait s’attaquer à l’Islam, Pascale Clark
prévenait déjà, menaçante : « on ne critique pas les gens qui
croient. » Aujourd'hui, c'est Edwy Plenel qui twitte du Zola pour tâcher de nous convaincre que nous aurions tout simplement "créé" le "monstre de l'islamisme" à force de discours stigmatisant. C'est bien, entre Soral et lui, le califat s'il s'installe un jour pourra compter sur des serviteurs zélés.
Il paraît d'ailleurs que la tendance
est en ce moment sur les réseaux sociaux d’écrire que douze morts ce serait
bien fait et de s’en vanter avec un joli #jenesuispascharlie ou #bienfait.
C’est vrai qu’il faut toujours en toute occasion, même la pire, jouer les
minoritaires et les anticonformistes qui courent à rebours du troupeau. Et puis
il y a aussi bien entendu ceux qui se réjouissent du carnage et qui, au Maghreb ou
au Moyen-Orient, sortent dans la rue pour brailler que Mahomet a été vengé ou
déversent sur internet une joie minable. Rien que pour eux, nous espèrons chez les idiots que Charlie
Hebdo continuera à exister afin de leur dédicacer toutes les têtes de gland
et tous les trous du cul qui seront peut-être encore croqués et publiés par les
successeurs de Cabu, Tignous ou Charb dans les années à venir.
[1]
http://www.politis.fr/La-Liberte-D-Expression-N-Est-Pas,15901.html
[2] Isabelle Kersimon.
Jean-Christophe Moreau. Islamophobie, la contre-enquête. Editions Plein
Jour. Octobre 2014. p. 138-139
[3]
Ibid. p. 141
[4]http://www.businessnews.com.tn/attaque-de-charlie-hebdo--le-gouvernement-tunisien-condamne-un-acte-terroriste-lae,520,52621,3
[5]
http://www.amazon.fr/Le-perdant-radical-hommes-terreur/dp/2070781771
horreur :
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