L'Arbresle
est une jolie petite commune de 6161 habitants (recensement de 2012)
dont l'histoire se confond avec l'abbaye bénédictine de Savigny,
érigée au XIe siècle et tombée en ruine au XVIIe siècle. Sur la
« route Royale » qui reliait Paris à Lyon durant
l'époque moderne avant de devenir la Nationale 7, l'abbaye de
Savigny dressait jalousement tout autour d'elle les petits bourgs
fortifiés qui devaient la protéger des guerres et des invasions :
l'Arbresle, Savigny, Saint-Bel, Eveux...Il ne reste pas grand-chose
aujourd'hui de l'abbaye, progressivement délaissée par les moines,
tout comme du château de L'Arbresle qui la défendait. Le petit
village a perdu sa vocation de place-forte pour accueillir une
pacifique et prospère bourgeoisie lyonnaise à la Renaissance avant
de se convertir à l'industrie textile au XIXe siècle, comme toute
la région de Roanne et sa bonneterie trente kilomètres plus à
l'ouest jusqu'à Lyon et ses Canuts, dix kilomètres plus au sud.
Après le déclin de l'industrie textile à la fin des années 1960,
L'Arbresle est retombée dans la torpeur. Il reste aujourd'hui un
petit village entouré de champs, avec son donjon et sa porte
fortifiée et le pont de la Madeleine, construit dans la « pierre
dorée » qui est la marque de fabrique du pays. Les habitants
de L'Arbresle ont peut-être conservé dans le folklore local le
souvenir de la Bête du Lyonnais qui terrorisa la région entre 1754
et 1756, faisant une trentaine de victimes, principalement des
enfants, mais ce sont bien d'autres sujets qui occupent aujourd'hui
les conversations depuis que le
préfet du Rhône Michel Delpuech a, dans le cadre de l'article 8 de
la loi relative à l'état d'urgence, a décidé de fermer la salle
de prière, dite « mosquée », située au 33 bis rue
Gabriel Peri à l'Arbresle. « Prenez le centre de l'arbresle
,en direction de sain bel vous allez trouver un pont eh bien juste
aprés le pont garer vous sur le parking a droite la mosquée est a
30seconde », peut-on encore lire sur le site du Guide
Musulman
qui précise que les prêches s'effectuent en français et que la
salle de prière comporte un espace pour les femmes.
Selon
les chiffres du ministères de l'Intérieur, il y avait, en 2012,
2.131
lieux de culte musulmans en France métropolitaine et
318 outre-mer. Il en existait 150 en 1976, 200 en 1979, 900 en 1985,
1035 en 1987 et 1.555 en 2001. Le nombre de mosquées en France a
donc été multiplié
par dix
en l'espace de vingt-cinq ans, de 1979 à 2001. D'après les
statistiques données par l'OCDE
et le département des affaires économiques et sociales de l'ONU
(Fondation
Robert Schuman),
le nombre d'immigrés s'est stabilisé à six millions et a augmenté
plus graduellement à partir de 1980. L'immigration due au
regroupement familial et l'installation durable d'une partie des
migrants a remplacé la logique de l'immigration de travail qui avait
cours jusqu'aux années 1970. Selon le ministère de l'Intérieur, la
France compterait aujourd'hui 5 à 6 millions de Musulmans, un
chiffre ramené à 4 millions de personnes de 18 à 50 ans se disant
musulmanes selon l'INED. Selon les mêmes sources, un tiers environ
de ceux que l'on sera bien obligé de nommer, faute d'une expression
plus précise, des « personnes de culture musulmane »,
seraient pratiquants. En 2008, l'INED évoquait 2,1 millions de
personnes, pour 11,5 millions de catholiques, qui disposent de 45 000
lieux de cultes en France. Mais parmi les lieux de prière musulmans,
bien peu sont en réalité des mosquées et les deux tiers sont des
salles de prières ne dépassant pas cent mètres carrés,
apparaissant et disparaissant très facilement. Elles sont financées
par les fidèles ou par des « donations » venues de
France ou de l'étranger, dont l'encadrement peut poser problème,
tout autant que l'origine, surtout quand elle est saoudienne. A la
date du 29 juin 2015, il y avait en France, 393 projets de
construction de Mosquées, dont trois dépassent le million d'euros :
Bordeaux, Marseille et Mulhouse1.
La grande mosquée de Lyon, inaugurée le 30 septembre 1994, est
sortie de terre en grande partie grâce à des fonds saoudiens.
« L’Arabie Saoudite nous a accordé le financement qu’elle
nous avait promis », rapportait le recteur de la grande mosquée
de Lyon au site SaphirNews
le
27 août 2014. Le rapport
déposé au Sénat le 17 mars 2015 par Hervé Maurey2,
sénateur et maire de Bernay (Eure), a pointé du doigt quelques
inquiétudes et souligné les avantages que pourrait avoir
l'instauration d'un co-financement public complétant le financement
par les fidèles, selon les élus locaux (toutes tendances
confondues) consultés pour les besoins du rapport, qui ont confié
avoir éprouvé : « l’impression d’une certaine
opacité dans le financement des lieux de culte musulmans aujourd’hui
(liens éventuels entre certains financeurs et des organisations
terroristes) et la crainte de financement provenant directement
d’Etats étrangers comme l’Algérie, l’Arabie Saoudite ou
encore le Qatar (pour ne citer qu’eux) leur suggèrent de prendre
des mesures claires afin de réguler ces situations. »
La
première inquiétude provient bien sûr de la nature de l'islam
salafiste que l'Arabie Saoudite, notamment, finance à coups de
pétrodollars depuis plus de vingt ans, et du risque de voir un islam
français majoritairement sunnite basculer en partie sous l'influence
de la « finance spirituelle » saoudienne. Si les grands
projets de « mosquée-cathédrale » comme celle de Lyon
ou de Marseille sont des symboles religieux très visibles, les
multiples salles de prières (plus de 1500) sont disséminées non
seulement dans les cités, comme celle des Minguettes à Vénissieux,
fermée le 18 novembre, mais aussi dans les communes rurales, comme à
L'Arbresle, visée aujourd'hui par une interdiction préfectorale.
"Fréquentée
par de nombreux salafistes, dont certains en relation avec des
individus pouvant se trouver en Syrie, cette salle, dans le contexte
actuel postérieur aux attentats de Paris, présente un risque
sérieux d'atteinte à la sécurité et à l'ordre public",
explique la Préfecture
du Rhône.
Le chercheur Samir Amghar, docteur en sociologie à l'EHESS, auteur
du livre Le
salafisme d'aujourd'hui (Ed.
Michalon), estimait en 2012 que : "Selon les
renseignements généraux, les salafistes sont entre 12.000 et 15.000
en France, mais les salafistes jihadistes sont ultra-minoritaires",
un avis pas nécessairement partagé par son collègue politologue
Gilles
Kepel, qui jugeait lui, dans le même article de La
Dépêche
"inquiétant, quand les salafistes imposent leurs règles, par
exemple le port du voile intégral, aux autres musulmans".
Le
problème ne provient pas en effet nécessairement du nombre de
salafistes mais de leur emprise discrète sur une communauté
musulmane hétérogène. Emprise d'autant plus discrète qu'en dépit
de la conviction partagées par les spécialistes du renseignement
que le recrutement au sein des mosquées a été considérablement
réduit depuis 2001 grâce à la surveillance exercée par les
services de renseignements, encore faut-il que les pouvoirs publics
aient parfaitement connaissance de l'existence d'une salle de prière
et que la présence de radicaux salafistes puisse justifier la
mobilisation d'une structure de renseignements. En ce sens, le
dernier facteur qui complique dangereusement le phénomène est celui
d'internet. Depuis une dizaine d'année, on assiste en effet à la
montée en puissance d'un islam radicalisé de nouvelle génération,
un islam mutant, dont les pratiquants, souvent jeunes, attirés par
les mirages romantico-nihilistes du djihadisme, vont parfaire leur
progression politico-religieuse sur internet avant même de mettre
les pieds à la mosquée, ce qui rend évidemment l'évolution du
phénomène encore plus difficile à surveiller. L'Etat d'urgence
donne peut-être les moyens aux pouvoirs publics de lutter de façon
très éphémère contre le radicalisme islamiste en menant des
perquisitions et en prononçant des fermetures par arrêté
préfectoral mais cette agitation soudaine a surtout pour effet de
médiatiser le laisser-aller dont les autorités politiques portent
aujourd'hui la responsabilité, tout autant l'administration de
Nicolas Sarkozy que celle de François Hollande ou de Jacques Chirac
d'ailleurs, pour ne pas remonter encore plus loin. Et quand la
mosquée salafiste de L'Abresle ou des Minguettes est fermée,
combien, comme celle de Lunel, sont restées trop longtemps en
activité tandis que nos dirigeants continuaient – et continuent
encore – à serrer la main des pourvoyeurs de fonds saoudiens. «
Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la
main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons
contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table »,
déclarait très récemment le juge
Marc Trévidic.
L'argent n'a peut-être pas d'odeur mais le djihadisme sent quand
même fortement le pétrole.
1http://www.desdomesetdesminarets.fr/2014/02/04/islam-en-france-plus-de-300-projets-de-nouvelles-mosquees-la-liste/
2 http://www.liberation.fr/societe/2015/03/17/aucune-regle-n-a-ete-posee_1222727
Etude de l'INED 2008: https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19558/dt168_teo.fr.pdf
Etude de l'INED 2008: https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19558/dt168_teo.fr.pdf