Après « Un maire de province » et « L’intégriste », notre portraitiste poursuit
son œuvre en s’attaquant à l’une des figures les plus ancrées dans l’imaginaire
social : le tueur en série.
Le XIXème frémissait devant ses vampires, le
Moyen-âge craignait le lycanthrope, il fallait à notre temps un monstre
semblable capable de nous terrifier rationnellement puisque l’étrange et le
surnaturel ne conviennent plus à cette époque. Les hérésies totalitaires
auraient pu tenir ce rôle sans mal mais, trop vagues, nous leurs avons
préférées celui qui les synthétise en sa personne et en figure la version
individuelle. Phénomène essentiellement contemporain, quoiqu’un Gilles de Rais appartienne
déjà à cette funeste coterie, il incarne à merveille le croque-mitaine
d’aujourd’hui et, délesté des sobriquets magiques sous lesquels on le dénommait
jusqu’à lors : loup-garou, sorcier ou démon, vampire, c’est dans la nudité
de sa nature foncièrement humaine qu’on le désigne à présent. Plus terrifiant
encore parce que son visage ressemble au nôtre et que rien ne le distingue des
« gens normaux », hormis dans le secret de ses crimes, c’est
précisément un monstre de notre temps en cela qu’il n’en a pas l’air. Mais
mieux que son apparence, c’est sa psyché qui épouse l’époque dont il semble à
l’avant-garde comme déjà Lacan nous disait qu’Hitler était un précurseur.
A
bien des égards nous devrions ou le jalouser ou nous inquiéter d’avoir créé
pareil assassin, à moins que, existant de toute éternité, ce ne soit plutôt
nous qui nous en rapprochions dangereusement dans une sorte d’évolution
démoniaque. Tout entier asservi par ses pulsions mortifères, il n’en est
cependant que l’esclave consentant et sait les dissimuler ou les laisser
exploser au moment opportun ! Pour le condamner, et nous en séparer, nous
le diagnostiquons « pervers » mais son mode de fonctionnement, en le
regardant avec attention, semble mieux répondre à des promesses par nous
lancées et que nous refusons de tenir ; auxquelles nous ne sommes pas
encore prêts de répondre. Car comment ne pas reconnaître, à l’instant tragique
où il objective sa proie afin de la tuer en paix, ce délire joyeux où nous
communions ensemble quand, fiers d’avoir basculé dans l’oubli un nouveau tabou,
nous nous reconnaissons pour unique devise celle qu’il a faite sienne et qu’il
assume pleinement : « jouir
sans entraves ! ».
Malheureux
d’être né trop tôt, ou et de prendre nos rêves au sérieux, il ignore la
culpabilité dont nous peinons à nous débarrasser et ne comprend pas que nous
lui reprochions cette exigence de se vouer à sa seule jouissance, exigence
terrible à laquelle il sacrifie sa vie et celle de ses innocentes victimes.
Aussi s’étonne-t-il en son for qu’on le considère comme un malade, sauf s’il en
tire quelques bénéfices et qu’on lui laisse la vie sauve parce qu’on n’exécute
pas un fou. D’ailleurs, le dire coupable, c’est jouer contre nous et mieux vaut
espérer en sa folie plutôt que d’admettre qu’il eut le courage, avant nous, de
la cohérence. Il figure moins un monstre moderne qu’un prototype, dépareillant
avec nos jours, cependant qu’il sera la norme demain.
Craignons-le tout de même car il nous en dit long sur l’endroit d’où nous
sommes partis et sur celui en la direction duquel nous nous acheminons.
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