Les manifestants de « La nuit debout » sont d’une telle pauvreté inventive, entre slogans éculés de la gauche radicale et pratiques désuètes de la démocratie participative, que nous leur proposons, en guise de méditation – si ce mot a encore un sens dans leurs esprits conformistes –, une décharge d’adrénaline, une plus-que-vie jouissive qu’ils ont peu de chances de rencontrer dans leurs assemblées « conviviales » dont les gestes débilitants ont même été jusqu’à remplacer les paroles creuses.
Ayant
atteint ma destination, j’offris des roses rouges au Frate Francesco au
Vatican, je lançais plus de roses rouges, comme preuve d’amour, pour la Reine
et le Peuple au dessus du Quirinal. Sur le Montecitorio [le parlement italien],
je lançais un ustensile de fer rouillé attaché à un chiffon rouge, avec
quelques navets attachés à la poignée et un message : Guido Keller – Entrepris sur les ailes de la Splendeur –
offre au parlement et au gouvernement qui a régné grâce aux mensonges et à la
peur depuis quelques temps, une allégorie tangible de leur valeur.
Rome,
14e jour du 3e mois de la Régence.[1]
Voilà
comment Guido Keller – aventurier et aéro-poète futuriste – raconte le
« bombardement » du parlement italien qu’il accomplit le 14 novembre
1920 à bord de son monoplan Ansaldo SVA 5.2, afin de protester contre la
signature du traité de Rapallo le 12 novembre 1920 par l’Italie et la
Yougoslavie. L’équipée « aéro-romantique » du principal lieutenant de
Gabrielle D’Annunzio marquait symboliquement la fin de l’une des entreprises
les plus surprenantes de l’après-guerre : la prise et l’occupation de la
ville frontière de Fiume et la transformation, durant un an, de la cité en un
vaste champ d’expérimentation esthético-politique, que l’on peut considérer
comme une matrice aussi bien de l’avant-gardisme radical européen que des
nouveaux phénomènes politiques qui émergeaient à la faveur du règlement de la
première guerre mondiale, en particulier le fascisme italien.
La
ville de Fiume, ou Rijeka en croate, avait bénéficié en 1719 d’un statut de port
franc autonome accordé par décret par Charles VI d'Autriche puis par
l'impératrice Marie-Thérèse. En 1848, Fiume avait été brièvement occupée par la
Croatie avant de retrouver son indépendance en 1868. Ville par excellence
internationale, Fiume était, en 1919, peuplée d’Italiens, de Croates, de
Hongrois ou d’Allemands. L’italien restait la langue dominante et le dialecte
local, le « fiumien », se rapprochait du vénitien, tandis que le dialecte des
campagnes alentours correspondait plus à une variante du croate. Ce métissage
conférait à la ville une identité très forte et Fiume pouvait presque être
considérée comme un exemple en miniature du multiculturalisme qui avait marqué,
et aussi miné, l’empire austro-hongrois.
En
1919, le premier ministre Vittorio Emanuele Orlando avait quitté Paris, où se
tenait la conférence de la paix entre les vainqueurs de la Première Guerre
mondiale, ulcéré par les décisions prises à l’égard de son pays. Démentant
leurs promesses de 1915, les alliés avaient en effet ignoré les conditions
auxquelles avait été négociée l’entrée en guerre de l’Italie à leurs côtés
contre les puissances centrales[2] et notamment
l’attribution à l’Italie des fameux territoires irredente, dans lesquels
était comprise Fiume. Néanmoins, le président du conseil, Francesco Saverio
Nitti, plus préoccupé par les troubles sociaux qui secouaient l’Italie du Biennio
rosso[3],
avait accepté les conditions offertes à l’Italie par les puissances alliées et
signé officiellement l’armistice le 10 septembre 1919.
Parmi
toutes les voix qui s’étaient élevées à ce moment pour dénoncer la politique de
Nitti, celle du « poète-guerrier » Gabrielle D’Annunzio semblait
couvrir toutes les autres. Non content de traiter publiquement Nitti de cagoia,
D’Annunzio, entouré d’un petit groupe de fidèles et à la tête d’une véritable
armée personnelle de soldats démobilisés et d’aventuriers, prit la décision de marcher sur la ville de Fiume, dont il expulsa sans difficultés les corps
expéditionnaires américains, anglais et français qui l’occupaient, dans le but
de restituer la ville à l’Etat italien. Le gouvernement italien déçut cependant
ses attentes en refusant son offre. D’Annunzio pris alors la décision
d’instaurer à Fiume un gouvernement basé sur une charte rédigée par
l’anarcho-syndicaliste Alceste de Ambris, tenant lieu de constitution pour la
cité de Fiume, et prévoyant la création d’une « anti-société des nations »
alliée de tous les « peuples opprimés de la terre ». La « Régence du
Carnaro », ainsi créée et dénommée par D’Annunzio, inaugurait une
expérience politique unique en Europe qui allait s’étendre de septembre 1919 à
décembre 1920. Autour de D’Annunzio se pressaient les nouveaux maîtres de la
ville de Fiume : les arditi[4], mais
également des futuristes, des dadaïstes, des anarchistes, des monarchistes, et
toutes sortes d’aventuriers de tout acabit. La Russie bolchevique
fut le seul Etat à reconnaître l’existence de cette Cité-Etat insurrectionnelle
dans laquelle les notables locaux observaient, terrifiés mais impuissants, leur
cité se transformer en une immense scène de théâtre où l’on organisait des
mises en scènes baroques en l’honneur du Vate et des débats publics dans
lesquels on discutait d’amour libre, de libération de la femme, ou d’abolition
des prisons. « La mascarade, la raillerie et la dérision leur servent de
langage, écrit Claudia Salaris. Futuristes, dadaïstes et anarchistes
expérimentent le laboratoire fiumain, en discutant de thèmes aussi osés pour l’époque
que la libération de la femme, la drogue, l’abolition de l’argent et des
prisons. » [5]
On ne
considère en général l’équipée de Fiume que comme une démonstration
proto-fasciste de l’esprit de revanche qui anime une partie des élites d’une
Italie mutilée par la victoire. Or, il convient d’appréhender l’épisode sous un
angle beaucoup moins réducteur. Dès la fondation de la Régence du Carnaro, les
principaux artisans de l’aventure fiumienne considèrent en effet leur entreprise
comme le point de départ d’un mouvement révolutionnaire qui doit répondre aux
aspirations à la fois politiques, mais aussi sociales et esthétiques les plus
radicales des avant-gardes et des déclassés de l’après-guerre, conscients de
faire partie d’un pays dévasté qui n’appartient plus, quant à lui, qu’à
l’arrière-garde des vainqueurs. Mélange hétéroclite de revendications
nationalistes, de passions anarchistes et de sensibilité libertaire, agrégat
tumultueux de soldats en rupture de ban, d’aventuriers, d’artistes de la
grenade, de futuristes enragés, de dadas de combat, de monarchistes désespérés,
de criminels fantasques, de poètes en uniforme, de révolutionnaires sans cause
et de quelques véritables candidats à l’asile psychiatrique, la « république du
Carnaro », décrétée par D’Annunzio du 12 septembre 1919 au 30 décembre 1920 a
constitué une expérience unique dans le chaos de l’Europe d’après-guerre.
Proclamée lieu de l’amour et de la fête perpétuelle, elle attise la curiosité
de Mussolini qui reste dubitatif, mais n’oublie pas de tirer pour lui-même les
leçons essentielles du théâtre permanent organisée par D’Annunzio à travers sa
révolution. Elle suscite au contraire le dédain de Marinetti qui ne voit dans
les activistes de Fiume qu’une collection d’agitateurs jetant dans la même
mêlée hystérique anarchistes, futuristes et monarchistes. La charte du Carnaro,
rédigée par l’anarcho-syndicaliste italien Alceste De Ambris, montre la
méfiance des nouveaux maîtres de Fiume à l’égard de l’Etat moderne et entend se
fonder véritablement sur la souveraineté populaire mais elle inscrit aussi dans
la nouvelle constitution un certain nombre d’avancées sociales difficilement
imaginables pour l’époque. Outre le fait que la charte se soit rendue célèbre
pour avoir déclaré la musique comme principe fondamental d'État, elle autorise
le divorce, accorde le droit de vote aux femmes, légalise l'homosexualité,
l'usage de stupéfiants et le naturisme. Le poète belge Léon Kochnitzky, proche
ami de D’Annunzio, voit quant à lui le « fiumanisme » comme une entreprise
révolutionnaire universelle, propre à renverser l’ordre établi du vieux
monde :
Rassembler en une formation compacte
les forces de tous les peuples opprimés de la terre, nations, races…etc…etc…Et
utiliser ceci pour combattre et triompher des oppresseurs et des impérialistes
qui veulent faire prévaloir leurs intérêts financiers sur les sentiments les
plus sacrés des hommes : la foi, l’amour de la patrie, la liberté individuelle
et la dignité sociale.[6]
Ludovico Toeplitz, cinéaste italien et
polyglotte, était quant à lui chargé
des relations extérieures de la régence du Carnaro et, à ce titre, il mit
également tout en œuvre pour faire de la ligue de Fiume une véritable
« antisociété des nations », selon le vœu même de Gabrielle
D’Annunzio :
J’ai
pris contact avec tous les mécontents de divers pays autour du monde: avec
Zagloul Pascia en Egypte, pas encore premier ministre mais leader du parti des
Fellah ; avec Kemal Pacha, le puissant leader du parti des Jeunes Turcs,
qui prendra sans doute très prochainement le pouvoir. A Fiume, nous avons fondé
l’Anti-société des Nations, en opposition à l’inique traité de Versailles.[7]
Le ravitaillement de cette cité pirate
moderne, assiégée dès le début de l’année 1920 par l’armée italienne, était
assuré par d’audacieux coups de mains, supervisés par le principal lieutenant
de D’Annunzio : Guido Keller, un personnage si fantasque qu’il ne semble
encore aujourd’hui n’avoir pu exister que dans un roman. Ancien as de
l’aviation italienne, aéropoète
futuriste et mystique fantasque, Keller avait
réinventé dans les airs une forme de duel courtois consistant à prendre le
dessus sur son adversaire avant de le laisser avec noblesse prendre la fuite.
Il était également le fondateur de la confrérie des cheveux coupés, que l’on
intégrait après avoir démontré que l’on était capable de se couper les cheveux
en vol, et avait fait installer un service à thé dans son avion qu’il pilotait
d’ailleurs la plupart du temps en pyjama.
A
Fiume, au beau milieu de la joyeuse anarchie constitutionnellement instaurée
par la Régence du Carnaro, il n’était pas rare de voir Keller passer une partie
de la journée dans le plus simple appareil ou éventuellement grimé en Poséidon.
Il dormait dans les arbres, était végétarien et considérait comme une manifestation
de joie tout à fait opportune le fait de faire exploser une grenade un peu à
tout propos. « Quand il avait des moments de libertés, écrivait Atlantico Ferri
dans la Testa di ferro, il montait dans l’arbre, complètement nu,
et, dans son aérienne demeure remplissait toutes les fonctions – y compris les
plus naturelles…- que la plupart des hommes remplissent au niveau du sol. »
Epaisse chevelure noire, barbe méphistophélique, Keller semble presque plus
tenir du faune que de l’être humain. Il semble d’ailleurs que l’un de ses
passe-temps favoris était de faire peur aux jeunes couples qui allaient
s’embrasser près du cimetière de Fiume en allant y pousser la nuit des
hurlements de bêtes au point que le commandante D’Annunzio alla jusqu’à
mandater une compagnie de soldats pour prouver qu’aucun mort-vivant ou
loup-garou ne se cachait là. Spécialiste des coups de main et actes de
piraterie par lesquels la cité survivait, Keller rédigea également une
circulaire invitant tous les fous d’Italie et pensionnaires d’asile à demander
leur libération pour rejoindre Fiume[8]
et fut aussi le fondateur de la société secrète Yoga qui entretenait en
Europe des relations avec les futuristes de tous
bords et de toutes nationalités ainsi qu’avec des dadaïstes allemands[9]
ou les bolcheviques russes et hongrois. Lénine
avait déclaré avant la guerre qu’il considérait Gabrielle D’Annunzio comme le
seul véritable leader révolutionnaire en Italie[10] ;
il avait omis de mentionner l’indispensable compagnon du Vate, Guido
Keller, capable aussi bien d’organiser un assaut romantique et théâtral –
intitulé « Le château d’Amour » - du palais de la présidence de
Fiume, que de s’emparer de cinquante chevaux au nez et à la barbe de l’armée
italienne. Comme d’Annunzio, Keller était convaincu que Fiume était devenue à
la fois la « cité de l’Holocauste » et la « cité de l’Amour »,
l’épicentre du séisme qui devait ébranler l’histoire, libérer les peuples et
renverser les Etats assassins et les gouvernements d’imposteurs.
L’épisode
fiumain, anachroniquement moderne, semble à la fois suspendu hors du temps et
en même temps installé au cœur, au point charnière, de l’histoire européenne.
Les révolutionnaires de Fiume réussissent à instaurer le complet envahissement
de l’existence par l’art, et dans le même temps la complète politisation de
l’art. Le geste de révolte devient manifestation artistique et la révolution,
la guerre, le combat une manifestation esthétique : l’allégorie ultime du
mouvement de la vie, de la mort et du chaos. Les futuristes, les dadas de
combat et les poètes révolutionnaires monarchistes, anarchistes ou
nationalistes que l’on pouvait rencontrer à Fiume ont eu des prédécesseurs en
plein XIXe siècle dont ils reprennent les slogans, reproduisent les poses et
rééditent en partie les engagements, à l’échelle d’une ville et d’une
expérience un peu folle au cours de laquelle esthétique et action ne forment qu’un
seul geste.
La
mise en place du gouvernement de Fiume s’accompagna de la prise de pouvoir
partielle au sein de la cité de la société Yoga qui avait pour charge
d’affirmer la vocation avant-gardiste et internationaliste du mouvement
fiumien. Dans la Testa di ferro, revue de la société Yoga animée par le
futuriste Mario Carli, surnommé « Notre bolchevisme » ou « Le petit père du bolchevisme », on célébrait « la cité
italienne de Fiume – cité de la vie nouvelle – libération de tous les opprimés
(peuples, classes, individus – discipline de l’esprit contre toute discipline
formelle – destruction de toutes les hégémonies, dogmes, conservatismes et
parasitismes – creuset des énergies nouvelles – peu de mots, beaucoup de
substance. » [11]
L’Unione Yoga appelait de ses vœux un « ordre lyrique » capable à
la fois de libérer les peuples et la créativité de l’individu en combattant
toute forme d’aliénation. « Révolutionnaires non contre un parti ou pour un
parti, mais révolutionnaires contre ce que nous sommes », proclamait le
premier numéro de la revue, publié le 13 novembre 1920. Les armes que se
donnaient les membres de Yoga relevaient de l’art de la rhétorique tout autant
que de celui de la guerre. Il s’agissait de « vaincre l’adversaire par
l’ironie, l’exposer au ridicule en lui ôtant toute autorité barbante, ainsi que
sa maladresse le méritait »[12],
en d’autre terme, d’opposer l’ironie au conservatisme et à la pose :
Contre les lunettes dorées à branches
Contre les ‘Adieu mon cher’
Contre les ‘r’ gorgés
Contre la pose
Contre la folie comme il faut,
organisée à domicile sérieuse et spirituelle et à des fins exhibitionnistes.[13]
La
Yoga a transformé le temps d’un coup d’Etat la cité de Fiume en théâtre
permanent, multipliant les coups de main et les interventions publiques et
spontanées que les avant-gardistes nommeront plus tard happening, en
pleine rue, sous les yeux d’une population éberluée et au grand dam des
notables de la ville. On organisait aussi des consultations publiques au cours
desquelles l’on abordait tous les sujets, où l’on parlait de tout, vite, avec
enthousiasme pour ceux qui s’imaginaient que la parole libérée accélérerait la
chute du vieux monde ou simplement avec l’ardeur des désespérés qui savaient au
fond que la « cinquième saison du monde » s’achèverait sans doute
bientôt :
Au cœur de la vieille ville de san Vito
se trouve la place où nous nous retrouvons. Un grand arbre protège de sa
plénitude l’harmonie du parler.
(…)
Un soir, on parlait de l’abolition de
l’argent, un autre de l’amour libre, un autre encore, de l’homme politique, du
règlement de l’armée, de l’abolition des prisons, de l’embellissement de la
ville.
(…)
C’est ainsi que la conversation coule,
admirable, sur la vieille place, dans une harmonie parfaite entre la prostituée
et le poète, entre le navigateur et l’antiquaire, entre le banquier et
l’intellectuel, tandis que la présence des animaux, dans leur mutisme, est appréciée.[14]
Alors
que Margherita Keller Besozzi, cousine de Guido Keller et figure féministe
décrétait que : « La femme de Fiume n’est autre que la mère de la
femme moderne », les révolutionnaires, par l’entremise de leur revue,
lançaient des mots d’ordres toujours plus radicaux, à mesure que semblait se
rapprochait l’issue tragique de l’aventure de Fiume :
Bloquez donc les trains et les navires,
inondez les mines obscènes, fermez les ateliers (cages de fous inventées par
des diables), mettez le feu aux bureaux, aux ministères, aux Bourses où l’on
gagne ce qui ne vaut pas la peine d’être gagné…et sauvez la vie ! […] Avec
quelle volupté je mettrais le feu à vos stupides « académies », à vos
putrides « musées », pleins des restes d’une beauté fanées (créées par
des ouvriers pour des princes), que vous n’êtes plus capables de comprendre, à
vos « écoles d’art », où en grande pompe des cadavres ensevelis
enseignent à ceux qui n’ont pas de génie comment on fait pour devenir plus
médiocre que son maître.[15]
Le « Noël sanglant » du 24
décembre 1920 mit fin à l’aventure de Fiume et à la tentative de révolution
ésotérique et an-historique de D’Annunzio, contraint d’évacuer
la ville après une semaine de rudes combats contre l’armée italienne. Le Vate
terminera sa vie presque assigné à résidence dans sa demeure du lac de
Garde, devenu invalide après être mystérieusement « tombé » de sa
fenêtre dans la nuit du 13 au 14 août 1922.
Pour Guido Keller, l’échec de Fiume fut
le début d’une errance qui le mènera de l’Italie à l’Amérique du sud, où il
tentera encore de donner vie à ses rêves libertaires. Il tenta d’abord de
mettre en place une pièce de cirque aérien intitulée La conquête du soleil
puis s’exila en Turquie pour y monter une école de pilotage, avant de devenir
officier de l’escadrille militaire de Cyrénaïque à Benghazi. Abattu par les
rebelles, il sympathisa avec eux avant d’embarquer pour l’Amérique du sud et le
Pérou - « patrie de la coca – princesse généreuse » - où il se lança dans une tentative
révolutionnaire, écrasée dans le sang. « Les morts sont semblables à ceux de
Fiume, écrit-il à Sandro Pozzi. Je suis le chemin tracé par le destin : j’ai
cherché ma lointaine terre tranquille et, comme Ulysse, j’ai échangé un cheval
borgne contre une monture aveugle. » Le dernier acte de son existence le vit
s’associer au peintre et sculpteur Hendrik Andersen afin de créer une « cité de
vie » sur une île perdue de la mer Egée où aucune loi ou forme d'ordre ne
devait avoir cours et où seuls les artistes et les aventuriers auraient été
autorisés à vivre. Le projet n’aboutira jamais. En 1929, Guido Keller décède,
victime d’un accident de moto sur une route d’Italie, comme Thomas Edward
Lawrence, dit Lawrence d’Arabie, six ans plus tard. D’Annunzio meurt quant à
lui en 1938 et Mussolini lui accorde des funérailles nationales, dont il se
serait sans doute bien passé, lui qui était devenu un indésirable politique
assigné à résidence par le régime fasciste. Le temps n’est plus aux rêveurs et
aux poètes et dans une Europe livrée à nouveau à l’affrontement des empires,
les idéologies carnivores dévoreront ensemble les utopies et les peuples.
[1]
Guido KELLER. Feuillets autographes. in
Janez JANSA. Il porto dell’amore. Texts by Domenico Cuarenta. Quis
contra nos 1919-2019. www.reakt.org/fiume
[2]
Des négociations qui prévoyaient que l’Italie, en échange de sa participation
au conflit, obtienne, après la guerre les régions : du Trentin, du Tyrol
du Sud jusqu'au Brenner, de l'Istrie, de la Dalmatie, des villes de Trieste,
Gorizia et Gradisca, d'un protectorat sur l'Albanie, de la souveraineté sur le
port de Vlora, de la province de Antalya en Turquie, en plus du Dodécanèse et
d'autres colonies en Afrique de l'Est et Libye. La quasi-totalité de ces
accords seront ignorés à la conférence de Paris en 1919.
[3]
Cette expression désigne les deux années, de 1918 à 1920, qui après la fin de
la guerre sont marquées en Italie par une très forte agitation sociale et la
crainte d’une prise de pouvoir par les communistes, d’où le nom de
« Biennale rouge ».
[4]
Les « ardents ». Compagnons de D’Annunzio, pour la plupart d’anciens
soldats, dont l’uniforme, le cri de ralliement, me ne frego, et
l’organisation devaient par la suite grandement inspirer Mussolini lors de la
création des faisceaux de combat.
[5]
Claudia SALARIS. A la fête de la révolution. Artistes et libertaires
avec D'Annunzio à Fiume. Paris, Éditions du Rocher, 2006. p. 11
[6]
De Felice, D’Annunzio politico 1918-1938, Roma-Bari, Laterza, 1978, p.
73. Cité par Janez Jansa. Il porto dell’amore. Aksioma - Institute for
Contemporary Art, Ljubljana
[7] Ludovico Toeplitz, Cial a chi
tokka, Milano, Edizioni Milano Nuova, 1964, p. 49
[8]
A la même époque, Marinetti proclame : « Il est temps que l’on fasse aussi de
la folie (bouleversement des rapports logiques) un art conscient et évolué.
» Ce genre de déclarations rappelle
bien entendu les déclarations surréalistes et les tentatives réalisées en Allemagne
par le SPK à la fin des années 70 pour libérer les hôpitaux psychiatriques.
Tentatives qui s’étaient soldées au final par l’intervention musclée du GIGN
allemand dans un établissement « autogéré par les malades. »
[9]
L’expédition de Fiume fut d’ailleurs saluée avec chaleur par le club Dada de
Berlin, dans un télégramme envoyé au Correrre Del Sierra : « Conquête est une
grande action dadaïste, et nous emploierons tous les moyens pour assurer sa
reconnaissance. L’atlas mondial Dada Dadaco reconnaît déjà Fiume comme une
ville italienne. »
[10]
Le gouvernement illégal de Fiume entreprit d’ailleurs très tôt de lier contact
avec la Russie bolchevique qui fut le seul état à reconnaître son existence.
[11]
Phrase emblématique apparaissant dans nombre de numéros de La Testa di ferro.
[12]
Sandro Pozzi dans La Testa di ferro.
[13]
Manifeste-affiche : « Fondation à Fiume de la Yoga »
[14]
Giovanni Comisso. Il Il porto dell'amore. Longanesi [Biblioteca di narratori]. 2011.
[15]
Yoga n°2. 20 novembre 1920.
Admirable article. Enfin de la culture dans la nuit des damnés.
RépondreSupprimerMerci beaucoup ! Vate !
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