A Sciences-Po chaque jour
est une fête. Grâce à un bureau des étudiants hyperactif, l’année est plus
rythmée qu’une semaine au Club Med. On connaissait bien sûr la Queer Week,
« espace d’action et de réflexion autour des genres et des
sexualités », organisée depuis 2010, dont la marraine était cette année la
« lesbienne invisible » Océane RoseMarie. Cette année, durant une
semaine en mars 2016, les étudiant-e-s et leurs professeur-e-s ravi-e-s ont pu
admirer les stands de la Brigade du Stupre, ou celui du collectif GARCES dont
l’animatrice confie « arpenter les manifs pour crier des misandries
intersectionnelles et emmerder les mascu ». Après Océane Rosemarie, il se
dit que le Concombre Masqué parrainera l’édition 2017, placée sous le signe de
l’intersectionnalité heureuse et du mascu vaincu.
Si
le mois de mars était celui de la guerre des genres, du dévoilement
transgressif et de la chasse au mascu, en avril en revanche on ne se découvrira
pas d’un fil à Sciences-Po puisqu’un autre collectif d’étudiant-e-s a décidé
d’organiser cette fois un « hijab day » dans les murs de la vénérable
institution qui doit quelquefois se fatiguer elle-même d’être de tous les
combats. Après la récente polémique de la mode islamique, les étudiants de
Sciences-Po ont dû penser qu’il était temps d’inverser la vapeur et de hisser
les voiles pour voler au secours des minorités opprimées tout en restant trop
tendance. Non mais c’est vrai quoi : H&M se lance dans le burkini et
le petit hijab fashion et Sciences-Po devrait rester les bras croisés sans
réagir ? Pas question, quand on étudie à deux pas des plus jolies
enseignes parisiennes, de laisser passer la sortie d’une nouvelle collection
printemps-été ! Et puis afficher sa solidarité avec les femmes voilées
c’est bien, Esther Benbassa l’avait dit et Europe-Ecologie-Les Verts avait
organisé une ‘journée hijab’ contre la voilophobie il y a deux ans, en août
2013, dans le sillage de la styliste américaine Nazma Khan qui a lancé
l’initiative reprise aujourd’hui dans 140 pays…sauf la France, se désolaient il
y a quelques mois les initiateurs du World Hijab Day Lyon, « un événement
destiné à déconstruire les préjugés », malheureusement interdit en janvier
dernier par le méchant préfet Delpuech et la préfecture de Lyon, sous couvert
d’état d’urgence. Heureusement que Sciences-Po Paris est là pour rattraper le
coup ! Quand on pense que 116 pays ont pu tranquillement organiser une
journée du hijab, que la ville d’Ottawa a même accepté que s’organise une journée
d’ateliers d’essayage pour inviter les non-musulmanes à « porter le
foulard islamique pour mieux comprendre la réalité des hijabis, leurs sœurs
voilées », on comprend qu’un collectif d’étudiants de Sciences-Po ait
décidé qu’il était temps que la patrie d’Yves Saint-Laurent, Dior et Chanel
soit moins voilophobe et textilorétrograde. Et puis même Geneviève de Fontenay
est d’accord : « Moi je les soutiens ces femmes musulmanes !
Quand on voit la mode française avec ses jeans troués et rapiécés, tout cet exhibitionnisme,
soyons au moins tolérants ! » Avec une caution pareille, comment ne
pas se sentir légitime ? Pour remercier Geneviève, les étudiants de
Sciences-Po auraient dû imposer en sus du hijab celui du chapeau à large bord
pour toutes les étudiantes. Que les réfractaires se rassurent cependant, Fatima
Elo, présidente-fondatrice de l’association Politiqu’Elles, initiatrice du
Hijab Day de Sciences-Po, expliquait ce mercredi matin à l’antenne de
Jean-Jacques Bourdin sur RMC, que « personne ne sera forcé à porter le
voile, c’est du volontariat ». Par contre, on ne s’assiéra plus à côté des
grincheux voilophobes à la cantine.
Fatima
Elo expliquait également ce matin chez Bourdin que derrière l’initiative du
Hijab Day de Sciences-Po, « l’idée était d’aborder la question du voile
avec humour ». Apporter son joli foulard pour aborder avec humour le
traitement des femmes voilées et même dans certains coins de banlieue de France
où le port du voile n’est pas vraiment présenté comme du volontariat, c’est vrai
que la blague était à faire, et les nombreuses intéressées qui subissent
menaces, insultes et violences quand elles refusent de porter le voile ont dû
bien rire à cette bonne blague et être soulagées que les étudiants de
Sciences-Po s’intéressent enfin à leur sort. Comme les y invitait ce matin une
twitto : « Aux nanas de @sciencespo qui font le #HijabDay n'oubliez
pas de servir les garçons à table à midi et de mettre des gants pour serrer la
main. »
Mais
la blagounette a l’air d’être mal passée, à en juger par l’avalanche de
réactions négatives qu’elle a provoqué dans la presse. On pourrait presque
croire que le sujet est devenu ces derniers temps un peu sensible…Et comme on
n’est jamais aussi bien trahi que par les siens, voilà que l’antenne FN de
Sciences-Po Paris produit un communiqué assassin : « Ce geste relève
de l'imposture politique d’une bourgeoisie parisienne déconnectée des réalités
sociales, qui exacerbe par ce jeu naïf les tensions communautaires ».
Maudit Richard Descoings ! En instituant ses antennes ZEP et ses bourses à
destination des étudiants plus défavorisés, l’ex-vénéré directeur de
Sciences-Po a fait rentrer dans les murs une cohorte de jeunes loups qui ont
grossi les rangs du parti lepéniste et lui ont permis de faire une entrée
fracassante dans le pré carré du progressisme éclairé où il vient désormais
s’autoriser à gâcher la fête en toutes occasions.
Et
puisqu’un malheur n’arrive jamais seul, voilà qu’un collectif d’empêcheurs de
voiler en rond s’est rassemblé contre le Hijab Day pour proposer de
contrecarrer l’initiative de l’association Politiqu’Elles en organisant une
odieuse agitprop’ vestimentaire : « En réaction au "Hijab
Day", qui propose aux étudiants de Sciences Po de venir voilés, nous
proposons une journée pour s'habiller comme on veut : du crop top à la jupe
longue, tout est permis ! (Sauf les collants chairs, évidemment depuis la
jurisprudence Cristina Cordula). Pour les plus audacieux, un bikini peut même
se tenter ! », proclame la page Facebook du « Bikini/Jupe/Robe/Whatever
Day à Sciences-Po », organisé aujourd’hui à partir de 8h.
Au
XVIIe siècle, Miguel de Cervantès s’était moqué de la querelle des Anciens et
des Modernes, opposant les partisans de l’imitation des modèles antiques à ceux
qui voulaient s’en détacher :
Dans
ce grand tumulte tous ensemble se jettoient leurs Livres à la teste, & se
faisoient des armes de leurs Ouvrages. Vous jugez bien que les auteurs de
petite taille, comme vous pourriez dire les In-Douze, n’eurent pas l’avantage
dans ce démêlé ; certains géants qu’on appelle les Infolio les battirent à
plate couture, et c’étoit une pitié de voir comme on en accabloit d’autres, qui
n’avoient que des feuilles volantes pour leur défense.[1]
La
civilisation de l’écrit étant sur le déclin, nous voici parvenus à l’ère du
bout de tissu politisé et médiatisé. A l’image des auteurs de Cervantès,
verra-t-on à Sciences-Po, en ce jour de confrontation entre Hijab Day et
N’importe quoi Day, les porteuses de voiles et leurs adversaires se battre à
coups de foulards et de minijupes, le petit top skinny se confrontant au
burkini, les hijabs volant dans les plumes des robes à frou-frou et la bretelle
apparente lutter pied à pied contre la tunique musulmane de chez
Mark&Spencers ? L’affrontement promet d’être tendu comme une ficelle
de string.
Pour
leur prochain coup d’éclat, les assos étudiantes de Sciences-Po devront en tout
cas faire encore plus assaut d’originalité pour être à l’avant-garde de la
subversion. Après la Queer Week et le Hijab Day, il va falloir sérieusement se
creuser les méninges pour trouver quelque chose de nouveau et d’innovant. A
l’approche de la clôture des primaires américaines, on pourra leur proposer
d’organiser en juin un « Donald Trump Day ». Chaque étudiant sera
invité à venir coiffé d’un postiche blond pour rendre hommage au tribun
new-yorkais d’avoir déconstruit de manière foucaldienne l’establishment
politique de nos voisins d’outre-atlantique et fichu un fameux boxon au parti
Républicain. Après la Queer Week, le Hijab Day
et les Class Actions de tout acabit, ce serait la classe américaine,
tout simplement.
Article publié sur le FigaroVox
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